Santé mentale et maintien de l’ordre: mort d’Alain Magloire

L’enquête publique sur la mort d’Alain Magloire, un sans abri atteint de maladie mentale abattu par les policiers du SPVM alors qu’il était en crise, s’est amorcée le 12 janvier dernier au centre judiciaire Gouin à Montréal.

Les tragiques événements sont survenus dans la matinée du 3 février 2014. Les policiers du SPVM ont reçu un appel provenant d’une auberge sur la rue Berri. L’information qu’avaient les policiers à ce moment est qu’il y a un homme en crise qui menace le personnel de l’établissement et qui casse des vitres avec un marteau. Arrivés sur les lieux, les policiers ont vite localisé l’homme en crise et ont tenté de désamorcer la situation en communiquant avec M. Magloire et en lui demandant de jeter son marteau. Celui-ci n’a pas obtempéré et a continué de marcher sur la rue Berri. M. Magloire avait encore son marteau en main et les policiers le suivait à pied, avec leurs armes de service dégainé. Lors de la poursuite, les policiers on fait la demande du pistolet à impulsion électrique à plusieurs reprises, mais celui-ci n’arrivera pas à temps pour sauver la vie de M. Magloire. Les policiers ont également tenté d’utiliser le poivre de cayenne, mais les conditions métrologiques n’étaient pas favorables et la présence de vent en a empêché l’utilisation efficace.

Plusieurs policiers sont à proximité de M. Magloire et tentent de lui faire lâcher son marteau. Il décide plutôt de marcher en direction des policiers. Un policier répondant à l’appel et arrivant en auto-patrouille décide alors de tenter de déstabiliser M. Magloire en le heurtant avec son auto-patrouille. M. Magloire se ramasse sur le capot du véhicule. C’est à ce moment qu’un des policiers croit apercevoir une opportunité pour désarmer l’individu en crise, mais cette tentative ne s’est pas avérée fructueuse et le policier est tombé au sol. M. Magloire, marteau en main, s’est alors retrouvé par-dessus le policier. Il a amorcé un mouvement de frappe avec le marteau. C’est à ce moment qu’un des policiers, craignant pour la vie de son collègue au sol, a fait feu à 4 reprises sur M. Magloire. Les policiers et ambulanciers ont prodigué les premiers soins et ont tenté de sauver la vie de M. Magloire, mais celui-ci a succombé à ses blessures.

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Comme il est le cas avec toutes les interventions résultant en mort d’homme impliquant un policier, un autre corps de police (la Sûreté du Québec) a fait enquête sur les événements. Le 3 septembre 2014, il est décidé qu’aucune accusation ne sera portée contre les policiers impliqués dans l’intervention.

Pourquoi donc tenir une enquête publique?

Malheureusement, ce n’est pas la première fois que ce genre d’événement se produit. Le 6 janvier 2012 Farshad Mohammadi, un homme de 34 ans, aussi sans-abri et souffrant de maladie mentale, a attaqué avec un exacto des policiers qui tentait de lui faire quitter la station de métro Bonavanture. Il a été atteint par les balles des policiers et a aussi succombé à ses blessures. Dans son enquête, le coroner Jean Brochu recommandait de meilleurs services pour les personnes atteintes de maladie mentale et de trouble de consommation, la présence d’un plus grand nombre d’unités d’intervention mobiles composé de policiers spécialement formé et de professionnelles de la santé, une formation plus importante pour l’ensemble des policiers en matière d’intervention auprès de personne dont l’état mental est perturbé ainsi qu’un plus grand nombre et une plus grande disponibilité de pistolet à impulsion électrique.

Ce cas a lui-même été précédé quelques mois auparavant par une autre intervention mortelle auprès d’un homme sans abris souffrant de maladie mentale. Le 7 juin 2011, Mario Hamel était en train de déchirer des sacs de poubelles sur la rue Saint-Denis lorsqu’il a été atteint mortellement par des policiers qui tentaient de le maitriser. Lors de l’intervention, une balle perdue a également atteint mortellement Patrick Limoges, un homme de 40 ans qui se rendait au travail en vélo. L’enquête publique, également menée par Jean Brochu, recommandait entre autres d’équiper plus de policiers avec des pistolets à impulsion électrique, plus de formation au niveau de l’utilisation de l’arme de service ainsi que plus de service pour les sans-abri souffrant de maladie mentale.

C’est donc avec ces deux précédentes enquêtes en tête que le coroner Luc Malouin examinera le présent dossier. Il examinera l’ensemble des faits de la présente intervention ainsi que la façon que procède habituellement le SPVM lorsqu’ils doivent intervenir auprès de clientèle ayant des problématiques de santé mentales.

Je crois donc que cette enquête publique est fort pertinente et nécessaire; car il semble que l’ensemble de notre système social ait laissé tombé M. Magloire et ne lui a pas porté assistance aux moments où il en avait le plus besoin. Avant d’amorcer son dur combat avec la maladie mentale, M. Magloire était un biochimiste accompli, père de deux fillettes et avait même oeuvré pendant 10 ans auprès de jeunes enfants handicapés. Une pilule d’ecstasy consommé lors d’un party rave aurait déclenché sa problématique de santé mentale. Le lendemain, “Alain était devenu paranoïaque et pensait que tous les services de police de la planète couraient après lui” a affirmé son père. M. Magloire a tenté d’aller chercher de l’aide. En novembre 2013, Magloire s’est présenté à l’hôpital Sacré-Coeur de Montréal et a dit au personnel médical qu’il désirait tuer quelqu’un et voulait voir un psychiatre ou un travailleur social. Il a été relâché de l’hôpital le jour suivant, sans suivi. À peine une semaine après sa sortie de Sacré-Coeur, il a été arrêté par les policiers du SPVM après avoir refusé de quitter un McDonald du centre-ville. Il a alors exprimé son désir de tuer aux policiers lors de l’intervention. Ceux-ci ont conduit M. Magloire à l’hôpital Notre-Dame où, encore une fois, il a été aussitôt relâché et apporté à la Mission Old Brewery, un organisme qui oeuvre auprès de sans-abris à Montréal. Il a alors refusé de participer à un programme d’aide pour ses problèmes de santé mentale et a été laissé à lui seul. Dans une entrevue, son frère dit “avoir apporté Alain plein de fois à l’hôpital, mais on s’est toujours fait un peu reviré de bord, et Allain, après ça par lui même, est allé, et on l’a reviré de bord encore” (entrevue ici). Deux mois plus tard, il s’écroulait, atteint par balle, alors qu’il était en état de crise.

En tant que société, je crois donc qu’il est primordial de se poser de très sérieuses questions sur l’approche des problèmes de santé mentale. Tel que Sir Robert Peel le préconisait dans ses 9 principes fondateurs de la police moderne, il vaut mieux prévenir le crime et le désordre plutôt que de les réprimer. Et cette prévention pour être efficace doit s’amorcer avant même que le problème se matérialise. En l’occurrence, nous avons eu plusieurs chances de prévenir ce drame, mais à chaque fois que M. Magloire cognait à une porte, on lui fermait la porte au nez sans lui porter assistance.

Sir Robert Peel énonçait aussi comme principe qu’il était primordial de n’utiliser la force qu’en dernier recours; ce qui fut le cas dans la présente intervention. Le policier qui a tiré a craint pour la vie de son partenaire et a attendu que M. Magloire lève son marteau avant de prendre la déchirante décision de faire feu; décision que tout policier espère ne jamais avoir à prendre dans sa carrière. Ainsi, il importe de travailler en amont de l’intervention policière et d’offrir de l’aide et les ressources nécessaires aux personnes qui vivent des situations semblables à celle de M. Magloire, tel que l’ont recommandé les deux précédentes enquêtes publique et tel que le recommandera assurément l’actuelle enquête publique.