La S.Q. à Manawan pour discuter de la tragédie de 1977
Au mois de mars 2016, des enquêteurs de la Sûreté du Québec se sont présentés à une rencontre publique à Manawan, une réserve amérindienne dans la région de Lanaudière comptant plus de 2000 individus, devant les familles des victimes d’une tragédie qui s’est produite en 1977. Cet accident routier a causé la mort de 5 Atikamekws âgés entre 15 et 34 ans, soit 3 femmes et 2 hommes et impliquait 2 blancs, sortis indemnes. Or cette affaire, qui a eu lieu il y a presque 40 ans, affecte encore les membres de la famille par des questionnements qui n’ont jamais été satisfaits par les autorités policières de l’époque.
Cet événement s’était produit dans la nuit du 25 au 26 juin 1977. La camionnette, qui transportait les cinq autochtones, a fait une sortie de route du chemin forestier reliant la communauté de Manawan et la ville de Saint-Michel-des-Saints. Le véhicule s’est retrouvé dans la rivière du Milieu. Les deux blancs seraient sortis par une fenêtre de la voiture et ont nagé jusqu’à la rive. Ils ont fini par allumer un feu et ont quitté les lieux aux petites heures du matin pour aller prendre un café avant d’alerter les policiers. Lors de leur déclaration, ils affirmé avoir crié aux passagers de les suivre par la fenêtre et ont monté sur le toit du véhicule. Dans le rapport de police, le conducteur a avoué avoir bu 18 bières dans la journée. Aucune autopsie n’a été pratiquée sur les corps des victimes et le coroner a conclu que les victimes sont mortes de noyade reliée à un acte criminel, soit aux facultés affaiblies des deux survivants.
Ce sujet est resté tabou pendant toutes ces années, compte tenu qu’aucune accusation n’a jamais été portée contre le conducteur et il n’y a eu aucune déclaration, annonce ou enquête pour prendre les témoignages de la communauté. La police de l’époque a fermé le dossier avec la conclusion d’accident de la route, sans même informer la communauté ni annoncer la nouvelle aux familles des victimes, qui ont appris la nouvelle de la bouche des enfants qui circulaient de maison en maison.
Cette affaire est ressortie du passé suite aux témoignages de la sœur d’une des victimes, Denis Petiquay, âgée de 18 ans au moment de l’accident, à l’Association des familles des personnes assassinées ou disparues (AFPAD). Nancy Roy, la directrice générale de l’association et avocate, a obtenu le rapport du coroner, dont la famille n’a jamais eu connaissance. L’avocate croit que si cet accident avait impliqué 5 personnes non-autochtones, le comportement de la police aurait été différent.
L’Association a profité de cette vague de dénonciations de la part des autochtones dans les médias, sur divers traitements subis dans le passé, pour encourager la famille à parler. Parmi les événements qui ont fait la manchette, on retrouve aussi les révélations des femmes autochtones abusées par la S.Q. à Val d’or, la Commission de vérité et réconciliation portant sur les pensionnats autochtones ainsi que la tenue de l’enquête nationale sur les femmes disparues ou assassinées. Les médias et les groupes sociaux ont cette influence sur la police.
La fin de cette affaire semble témoigner d’un problème de discrimination vis à vis d’une population qui connaissait déjà des bouleversements comme celui des pensionnats. Même si cette affaire appartient à une autre époque, la réputation de la police a été entachée. Les policiers n’avaient pas de données sur le taux d’alcool du conducteur mais il avait avoué avoir consommé. Le test du taux d’alcool dans le sang fait son apparition dans les années 1960 et devient obligatoire en 1969. Avant, le fait de reconnaître qu’on a consommé de l’alcool et l’odeur de l’alcool qui émane habituellement de l’individu étaient suffisants pour porter des accusations de facultés affaiblies.
Les médias ont surtout permis de faire réagir la population générale et de faire mobiliser les autorités policières. La Sûreté du Québec a confirmé la réouverture du dossier lors de sa rencontre avec la population de Manawan. Quoi qu’il en soit, on retrouve une réaction rétroactive de la police qui va peut-être se solder par de nouvelles informations pour le tribunal grâce aux nouvelles technologies ou stratégies d’investigation policière. Sans trop s’attarder à un changement en profondeur d’attitude générale de la police envers les autochtones, on peut peut-être s’attendre à un traitement plus équitable, surtout à notre époque où c’est plus facile d’attirer l’attention sur les injustices avec les réseaux sociaux et les nouvelles technologies de communication.