L’endos de la médaille dans la relation police-médias
Tout débute en janvier. Le service de police de la ville de Montréal reçoit une lettre d’une source prétendant qu’un enquêteur fournissait des informations à visée internationale à Arian Azarbar, homme d’affaires montréalais et prétendu agent de renseignement iranien. Philippe Paul, « policier vedette de sa division du crime organisé » se voit alors ouvrir une enquête par le service de police de la ville de Montréal (SPVM). La Gendarmerie royale du Canada (GRC) et le Service canadien de renseignement de sécurité (SCRS) ont rapidement prie part à l’enquête. Pour plus de détails sur l’affaire, voir l’article de Mary-Kathryn de Champlain Ferland : une pomme pourrie dans un sac passé date !. Récemment, Philippe Paul a pris sa retraite ; ce qui fait ressurgir de nouveau l’histoire. Ce que les médias nomment le devoir de suite. En attendant les résultats de l’enquête interne, les médias suivent le tout de très près. À la recherche d’article pour ce travail, je dénombre entre 5 et 10 articles entourant ce sujet. Les uns plus accrocheurs que les autres.
Mercredi 29 janvier, le Journal de Montréal fait la manchette « Enquête sur un autre policier du SPVM ». Dans l’article du jeudi 13 février du Journal de Montréal, on peut lire « Des espions, un informateur et un policier sous enquête ». Le dernier parut le 1er avril 2014, annonce la démission de l’enquêteur en question… Avec un titre digne des films de suspenses ; « Philipe Paul prend sa retraite en pleine controverse ».
Il semble que le Journal de Montréal ait oublié son travail de collaboration avec la police en ce qui à trait à la nouvelle médiatique. Sachons-le, police et médias entretiennent des liens étroits. Dit de manière simpliste, la police sert aux médias ce que le média sert à la police. Source officielle d’information, la nouvelle médiatique se base presque exclusivement sur l’information policière. Celle-ci garantit un accès privilégier et reconnu sur les crimes ou les tendances criminelles ainsi que sur des faits ou détails particuliers d’événements criminels. Une information venant du « terrain » amène un réalisme vendeur et une amélioration de la confiance du public en raison de la source fiable et reconnue, la police étant maintenant vue comme une police professionnelle et experte de la criminalité. Simultanément, la police a bien fait d’entretenir une bonne relation avec les médias. En effet, la police s’adresse aux médias pour rejoindre le plus grand public possible. À cette étape, la police peut faire diverses promotions ; leurs visions du crime, la mise en valeur de leurs organisations par l’entremise des bons coups effectués et principalement, leurs besoins en ressource supplémentaire. L’aide à l’enquête est un facteur additionnel dans la relation police-médias.
Il y a cependant l’endos de la médaille. L’affluence de nouvelles concernant Philipe Paul n’est qu’un seul exemple parmi une liste très longue. Le devoir premier des journalistes est de donner de l’information aux citoyens pour qu’ils puissent se forger une opinion personnelle sur ce qui se passe dans leurs communautés, le monde. Et le droit du citoyen d’être informé. La fédération professionnelle des journalistes du Québec dans son guide sur la déontologie journalistique indique que le rôle essentiel du journaliste est de :
rapporter fidèlement, d’analyser et de commenter le cas échéant les faits qui permettent à leurs concitoyens de mieux connaître et de mieux comprendre le monde dans lequel ils vivent. Une telle information complète, exacte et pluraliste est une des garanties les plus importantes de la liberté et de la démocratie. Les informations d’intérêt public doivent circuler librement et en tout temps. Les faits et les idées doivent pouvoir être communiqués sans contraintes ni entraves. Les journalistes ont le devoir de défendre la liberté de presse et le droit du public à l’information, sachant qu’une presse libre joue le rôle indispensable de chien de garde à l’égard des pouvoirs et des institutions. Les journalistes servent l’intérêt public et non des intérêts personnels ou particuliers. Ils ont le devoir de publier ce qui est d’intérêt public.
[…] Les journalistes basent leur travail sur des valeurs fondamentales telles que l’esprit critique qui leur impose de douter méthodiquement de tout, l’impartialité qui leur fait rechercher et exposer les divers aspects d’une situation, l’équité qui les amène à considérer tous les citoyens comme égaux devant la presse comme ils le sont devant la loi, l’indépendance qui les maintient à distance des pouvoirs et des groupes de pression, le respect du public et la compassion qui leur font observer des normes de sobriété, l’honnêteté qui leur impose de respecter scrupuleusement les faits, et l’ouverture d’esprit qui suppose chez eux la capacité d’être réceptifs aux réalités qui leur sont étrangères et d’en rendre compte sans préjugés.
[…] Les journalistes doivent situer dans leur contexte les faits et opinions dont ils font état de manière à ce qu’ils soient compréhensibles, sans en exagérer ou en diminuer la portée.
[…] Droit de la personne. Les journalistes doivent accorder un traitement équitable à toutes les personnes de la société […].
Cependant, les médias, en tant qu’entreprise dont le but est de faire du profit, ont développé une tendance vers ce que l’on nomme le sensationnalisme. Le but étant d’attirer l’attention du public pour augmenter les ventes. Il s’agit là de l’endos de la médaille. Alors qu’ils entretiennent une relation que l’on peut qualifier de professionnelle, les médias par devoirs ou soif de sensationnalisme utilisent également les histoires impropres commises par des policiers : bavures policières, abus de pouvoir, corruption, etc. La ligne est donc mince entre partenariat et devoir journalistique. Déplaçons la situation de monsieur Paul à une autre personne, sans histoire, monsieur et madame tout le monde ; l’effet et l’ampleur médiatique aurait-il été le même? Difficile d’y croire. Un tel agissement de la part d’un citoyen « normal » aurait eu sa place dans le journal, mais pas la manchette comme ici ; la personne étant inconnue et le geste moins répréhensible qu’un policier, qui sont souvent mis sur un piédestal par la population qui semble parfois oublier que ce sont des humains.
Cette situation amène son lot de conséquences. La sélectivité dans laquelle s’exécute la nouvelle amène une remise en question pour le public. La couverture de possible corruption et d’enquête comme celle-ci peut conduire le public à une méfiance envers l’organisation policière. La manière que la nouvelle est présentée et la répétition d’articles à ce sujet en peu de temps amènent à croire que nous ne sommes pas réellement ou totalement en sécurité. Et ce, même si cela concerne qu’une « pomme pourrie » et non l’organisation en entier. Cela entraîne aussi des dommages pour la personne contestée : Perte d’emploi et perte de réputation pour ne cibler que les principaux. L’un des fondements du droit constitutionnel (common law) concerne le fait d’être innocent jusqu’à preuve du contraire. Mais avec un tel acharnement, difficile d’en croire le contraire.