Big Brother est (aussi) sur le web …
Dans l’imaginaire des citoyens, les activités de police et de sécurité de l’État sont représentées par le patrouilleur des routes ou le policier enquêtant sur un crime. Peu de gens savent que l’État a, à sa disposition, plusieurs organes pour assurer sa sécurité. En d’autres termes, la police n’est que la partie visible de l’iceberg.
Les institutions ont à leurs dispositions plusieurs agences de renseignements, qu’elles soient civiles ou militaires. Ces organes, comme la NSA (National Security Agency, États-Unis), MI5 (Security Service, communément appelé MI5, Grande-Bretagne), DCRI (Direction Centrale du Renseignement Intérieur, France) et SCRS (Service canadien du renseignement et sécurité, Canada) collectent des informations en lien avec la sécurité sur le territoire national, le terrorisme ou le contre-espionnage et agissent souvent sans faire les titres des journaux. Les opérations vont de la collecte d’informations, filature, manipulation à action sur le terrain. Mais principalement, les services de renseignement se focalisent sur la collecte d’informations, informations qui peuvent servir pour d’autres services de sécurité ou pour mettre en place différentes politiques.
Depuis les attentats du 11 septembre 2001, toutes les agences occidentales de renseignement ont vu leurs objectifs passer du contre-espionnage de guerre froide à la lutte antiterroriste. Cette réorientation se traduit par la mise en place de systèmes et opérations visant à éviter tout attentat. En juin dernier, des révélations du Washington Post et du Guardian évoquaient un programme de renseignement américain mis en place par l’agence de sécurité nationale américaine la NSA avec pour nom «PRISM» sur la base de révélations d’un ex-agent: Edward Snowden.
Ce programme, créé en 2007, sous la présidence de Bush permet à l’agence, sous réserve d’accord de juridictions spéciales américaines, de demander à des entreprises nationales de nouvelles technologies, telles que Yahoo, Google, Facebook, Apple, Microsoft, AOL et Verizon des informations sur leurs utilisateurs à condition qu’ils soient hors du territoire américain.
Concrètement les analystes de l’agence américaine pourraient obtenir la localisation d’un utilisateur du moteur de recherche Google, peu importe sa localisation, utilisant le mot «bombe» et «Al-Qaïda» dans la même phrase. L’agence se retrouverait alors avec toutes les données de l’utilisateur, tel ses mots de passe, ses messages privés, fichiers privés, ses vidéos, ses recherches et même pour certains, le contenu de son ordinateur. L’utilisation d’Internet est une véritable mine d’or pour l’agence américaine quand on sait que les principaux logiciels de navigation sur le web sont américains et que tous les serveurs de ces sites sont à disposition de l’agence. L’analyste autorisé de l’agence aurait face à lui toute la vie numérisée du citoyen ciblé ainsi que tous ses contacts, ce qui signifie vraiment que « Big brother » est aussi sur le Web. Rappelons que « Big brother » est une expression utilisée pour qualifier les institutions ou pratiques portant atteintes aux libertés fondamentales et à la vie privée des populations ou des individus.
Les possibilités étant énormes, il a ainsi fallut mettre en place des barrières pour protéger la vie du citoyen. De ce fait, la demande d’information faite aux entreprises américaines serait conditionnée par un accord d’un juge membre d’une cour spéciale (Foreign Intelligence Surveillance Court). Le juge déciderait ou non d’accorder la surveillance en fonction du risque que représenterait la cible pour les États-Unis. L’accord du pouvoir judiciaire serait donc nécessaire à l’agence pour fouiller dans la vie des citoyens pourvu qu’ils soient non américains. Une fois l’autorisation donnée, l’entreprise concernée aurait l’obligation de donner les informations demandées par la NSA.
La NSA espionnerait aussi sur son territoire national les intérêts étrangers, les représentations de délégations étrangères comme les ambassades, entreprises stratégiques, câbles de communication et siège à l’ONU de New York. Même le téléphone de la chancelière allemande Angela Merkel serait mis sur écoute par les fonctionnaires américains, ce qui prouve que personne ne peut être épargné, peu importe son statut.
Le problème est qu’il est difficile d’avoir accès aux procédures exactes dans le monde opaque des renseignements. Certains, selon les dires d’Edward Snowden, évoquent une absence totale de contrôle de la part du juge et se posent la question des réels agissements de la NSA. D’autres parlent de dérives aboutissant à la surveillance de citoyens américains sur le territoire américains, ce qui serait contraire à la loi créant PRISM. Il ne paraît pas impensable dans un monde hyper connecté qu’est le nôtre et sans contrôle de la puissance publique, que la NSA mette de côté les interdictions au profit de la «sécurité nationale» des États-Unis. Ainsi un agent pourrait contrôler un appel émis par un citoyen américain sur le territoire américain avec Verizon en toute illégalité.
On ne sait que peu de choses sur la quantité de données accumulées par la NSA. Certaines sources parlent de 117 000 données pour une seule journée avec 1856 dossiers de surveillance pour l’année 2012. Mais il est sûr qu’avec un budget de 15 milliards de dollars annuel l’agence a probablement pu amasser des milliards de données privées dans ses serveurs.
Ainsi l’agence de renseignement lutte contre le terrorisme mais aussi elle facilite une guerre économique entre les pays puisqu’avec ses moyens, elle pourrait s’introduire dans les serveurs de grandes entreprises étrangères et porter atteinte à leurs intérêts au profit d’entreprises américaines. Cependant, une grande part des actions de renseignement de la NSA seraient orientées vers la lutte antiterroriste.
Contre ces violations de la vie privée il apparaît essentiel d’assurer au citoyen un anonymat sur internet, tout en permettant aux agences de renseignement de prévenir efficacement les possibles atteintes à la sécurité de l’État. Un État, au nom de l’impératif de la sécurité de ses membres, peut-il réduire à néant toute vie privée de ses citoyens ? C’est un dilemme qui n’est pas près d’être résolu puisque cela reviendrait à couper beaucoup de prérogatives propres aux agences de renseignement, ces propres agences devant opérer de manière officieuse pour lutter contre le terrorisme. D’ailleurs, les organisations terroristes ne sont pas des organes définis comme pouvaient l’être un service d’espionnage soviétique, mais plutôt des groupes composés d’individus des quatre coins du monde. Le fichage et l’identification de ces individus ainsi que de leurs contacts sont impératif si l’on veut opérer sur une organisation entière et prévenir toute menace.
Mais PRISM n’est pas le seul programme de renseignement qu’utilise la NSA. The Guardian parle d’un certain programme «XKeyscore» qui serait un véritable moteur de recherche exploitant les données accumulées par PRISM partout dans le monde. Il permettrait de scanner les contacts et toutes les actions d’un individu sur internet et de mettre en lien toutes les personnes qui ont eu une relation virtuelle avec la cible. Ce puissant logiciel est un atout pour la NSA et une atteinte à l’anonymat sur internet. Mais ce n’est pas tout, selon certains, la NSA pourrait même se connecter à des ordinateurs pourtant déconnectés d’Internet, une fois connecté, elle pourrait récupérer toutes les données de l’utilisateur.
Toutefois, il semble que les citoyens américains se préoccupent peu du contrôle qu’exerce sur eux les services de renseignement au nom de la sécurité. Un récent sondage d’USA-Today montre qu’ils ne sont que 63 % à souhaiter une réforme du système du renseignement. Et cela n’est pas prêt de s’inverser puisque l’administration américaine pointe du doigt l’efficacité du programme en matière de lutte contre l’insécurité. Les citoyens américains semblent donc prêt à renier une part de leur vie privée au profit d’une sécurité collective intrusive. Aux États-Unis les nouvelles technologies amènent plus globalement une nouvelle matérialisation des systèmes de sécurité tels que PRISM. En outre, de plus en plus de drones font leurs apparitions au-dessus du ciel américain, avec pour mission d’assurer la sûreté des zones de survol. En prenant un peu de recul, on s’aperçoit que la mise sous surveillance des citoyens n’est qu’une adaptation aux moyens technologiques actuels, comme l’était la mise sur écoute des téléphones il y a cinquante ans.
Face à ces révélations, les pouvoirs publics du monde entier s’indignent et exigent des explications de la part de l‘administration américaine. Cependant, beaucoup de ces mêmes pays pratiquent une surveillance nationale d’Internet sur leur propre territoire et il n’est pas improbable que les services de sécurité de ces pays envient la toute-puissance de l’agence américaine sur le web. Ces pouvoirs publics semblent même parfois frappés d’amnésie, puisque leurs propres services de renseignement collaborent avec l’agence américaine de renseignement, comme c’est le cas en France.
Mais une question reste en suspens. PRISM est t-il la partie visible de l’iceberg qu’est le renseignement américain, comme l’est le patrouilleur pour la sécurité d’un État ?
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