La GRC veut garder le secret sur sa technologie lors d’un procès

La «police du renseignement criminel» (intelligence-led policing) implique, en partie, de savoir calculer les probabilités qu’un événement arrive et ensuite de permettre d’agir avant que les crimes ne soient commis. L’élément fondamental d’une telle police est donc la collecte d’information. Elle permet d’identifier des zones dangereuses et des délinquants particulièrement actifs. Un des facteurs qui la rend possible est l’apparition de nouvelles technologies qui ont permis d’analyser plus facilement le renseignement. De plus, dans la police du renseignement criminel, on ne se concentre plus uniquement sur les événements, mais surtout sur leurs auteurs. Dernièrement, un événement remet en question l’utilisation de telles technologies et aussi démontre la volonté des différentes agences qui font du renseignement de ne pas dévoiler leurs techniques.

Durant la période entre 2010 et 2012, des détectives de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) ont utilisé une nouvelle technologie qui permettrait d’identifier différents appareils mobiles comme les cellulaires, probablement un IMSI catcher de marque Stingray qui sert à intercepter les communications. Cette technologie a été mobilisée lors d’une enquête impliquant plusieurs membres de la mafia qui s’envoyaient des messages cryptés à l’aide de téléphones BlackBerry. À la suite du meurtre d’un homme impliqué dans ce groupe, Salvatore, la GRC a transféré les informations qu’elle avait récoltées à la police locale de Montréal pour éviter que la situation ne dégénère. Cela a mené à l’arrestation de 7 individus.

Suite à ces arrestations, la défense à aussitôt demandé à ce que la GRC dévoile les caractéristiques de sa technologie d’information comprenant entre autres, le fabricant, son usage pratique et si celle-ci respecte les lois du Canada. En novembre dernier, un juge de la Cour Supérieure du Québec a ordonné que la GRC donne des détails sur cette nouvelle technologie lors du procès, car les accusés avaient le droit d’en connaître plus à ce propos. La Couronne a alors fait appel à cette décision, en affirmant que la révélation de telles informations permettraient d’identifier les méthodes de la GRC et qu’elles permettraient de les contourner. La Couronne et la défense doivent participer, le 30 mars 2016, à une audience permettant de décider s’ils doivent dévoiler les détails d’une telle technique de collecte d’information lors du procès des accusés.

La défense croit que la technologie utilisée durant l’enquête permet de collecter les données des cellulaires en agissant comme une tour et en les incitant à lui communiquer des informations. Les IMSI catchers, ou cell-site simulators, sont une technologie controversée déjà utilisée aux États-Unis, souvent sous le nom de «Stingrays». Dans plusieurs États, les différentes polices utilisant cette technologie s’opposent aussi au dévoilement de ces informations. Malgré tout, certaines ont du dévoiler les détails d’une telle utilisation comme le NYPD.

Il est possible de comprendre en quoi cette situation est problématique pour la GRC et les autres services policiers ou de renseignement utilisant cette technologie. En effet, il est dans leur intérêt que cette technique de renseignement reste secrète. Si elle était connue du public, les criminels trouveraient des moyens de se protéger contre elle. Le sujet est tellement sensible que lorsque l’on demande des informations à propos de ces technologies, les différentes polices restent très évasives sur le sujet ou lorsqu’elles sont obligées de répondre à certaines questions, l’information donnée est lourdement censurée. Cette affaire est donc particulièrement importante, puisque cela serait la première fois que la GRC aurait été prise sur le fait et obligée de divulguer des informations sensibles au sujet de cette technologie.

Cela amène donc un questionnement: les avocats de la Couronne ont laissé entendre qu’il existait un privilège policier en matière de technique d’enquête criminelle et qu’il doit être respecté. D’un autre côté, le citoyen a le droit d’accès à l’information, il faut donc se demander s’il est nécessaire de contourner ce droit en invoquant un privilège, lorsque l’on parle d’assurer l’efficacité des techniques policières.

Finalement, il est aussi possible de se demander de la légalité de cette technologie. En effet, celle-ci est assez puissante pour permettre d’espionner une grande partie de la population. Peut-on décider d’espionner à leur insu des milliers de citoyens? Doit-on imposer des balises quant à l’usage que l’on peut faire avec les divers renseignements obtenus? Le fait que cette méthode ait été exposée remet sur le devant de la scène ces questions.