Police de la tolérance zéro: Programme de bonis pour les cadres du SPVM

16 à 18 constats par jour : Voilà les quotas à respecter pour les agents du SPVM. Dans son article sur les bonis réservés aux cadres associés à ces quotas, le journaliste Pierre-André Normandin explique que ce programme de bonis permet aux cadres de recevoir jusqu’à 8% de leur salaire si leurs agents performent suffisamment. Le président de la fraternité des policiers de Montréal s’insurge d’une telle pratique. Il dénonce l’aspect non éthique de cette méthode d’évaluation de rendement chez les cadres.

Coalition Avenir Québec s’est outrée de cette pratique qu’elle qualifie d’indécente. Le député de Shefford affirme qu’il serait plus utile que les policiers emploient leurs temps à retrouver les adolescents (tes) qui fuguent des centres jeunesse — ce qui, bien sûr, nous éloigne du sujet.

Le journaliste commente aussi le fait que ce programme de bonis arrive à point avec une chute notable du nombre de constats enregistrés depuis juin 2014.

Tandis que certains crient à l’indécence, les maires des villes ayant adopté les quotas y voient une façon de gouverner les cibles des policiers-patrouilleurs afin de faire respecter davantage le Code de la route. Ces quotas sont ainsi justifiés par la fréquence des plaintes de citoyens sur le non-respect des codes de la route dans leur quartier. Il est aussi question de jeter le blâme sur certains policiers qui seraient soi-disant « moins-performants ». Pour les maires, l’objectif de ces quotas serait avant tout de faire diminuer les accidents de la route. Bref, ce serait pour la sécurité.

Serait-il possible que les nombreuses villes ayant adopté les quotas aient découvert une relation négative entre le nombre de contraventions distribuées et les accidents de la route? En ajoutant des primes pour les cadres chez le SPVM, il va sans dire que cette relation semble être prise au sérieux dans la métropole. Cependant, en admettant que cette relation soit nulle, est-il envisageable que les policiers soient contraints de répondre de façon strictement réactive à ce problème complexe?

Comparatif élémentaire

D’abord, il est impératif d’évaluer s’il y a bien l’ombre d’un lien entre la variable « nombre de contraventions » et la variable «accident de la route ». Sans faire une étude empirique sur le sujet, il est tout de même possible d’émettre l’hypothèse selon laquelle il n’y aurait pas de corrélation négative entre ces deux variables. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer les recettes rapportées par les contraventions de la ville de Montréal avec le nombre d’accidents de la route de 2009 à 2013. Il est présumé ici que plus il y a de de recettes, plus il y a de constats d’infractions.

  2009 2010 2011 2012 2013
Recettes provenant des constats 211,5 M$ 186,5 M$ 181,4 M$ 181,6 M$ 195,8 M$
Accidents de la route à Montréal 27 396 23 391 22 768 20 090 20 003

Les accidents de la route diminuent sans se soucier des fluctuations des recettes provenant des contraventions. Il est à noter que les recettes incluent aussi les stationnements non réglementaires et que ceux-ci ne sont pas ciblés par les quotas. Il est maintenant à espérer que le maire de la Ville de Montréal ait accès à des données un peu plus pointues pour évaluer la situation.

L’application de la théorie de la vitre cassée pour expliquer les plaintes

S’il n’y a pas de liens entre le nombre de contraventions distribuées et le nombre d’accidents, pourquoi les citoyens se plaignent-ils du non respect du Code de la route? Dans une ville, les habitants se sentiront plus en sécurité si l’ordre règne. À la moindre manifestation de désordre, les médias amplifient généralement le phénomène afin d’encourager la peur du crime. N’importe quel symbole de désordre peut être un élément déclencheur. En effet, il n’y a pas que la propreté qui peut donner l’impression que le quartier est sécuritaire : il y a aussi le respect de la limite de vitesse des automobilistes, le respect des arrêts, etc. Plus il y aura de «désordre» sur les routes, plus le quartier aura l’air anarchique. Il y a donc lieu de croire que les nombreuses plaintes sur le sujet pourraient être dues à une croyance générale selon laquelle plus le quartier est ordonné, plus il est sécuritaire.

Colmater la source du problème

Le fait d’augmenter ou non le nombre d’effectifs dans une ville a peu d’incidence sur le taux d’infractions puisqu’il y aura toujours des endroits où les policiers ne seront pas. À moins bien sûr, de saturer la ville de patrouilleurs, ce qui est impossible. Néanmoins, Le maire a un budget prévisionnel qui est dépendant des recettes provenant des contraventions. Si le problème était vraiment de combattre les accidents de la route,  d’autres options seraient envisagées. Évidemment, il y a certaines exceptions. Par exemple, une policière de Notre-Dame-de-Grâce aurait eu l’initiative de mettre sur pied une opération radar bien particulière : les constats étaient remis par une personne ayant été victime d’un accident de la route. Quoique l’histoire ne dit pas si l’opération a fait diminuer les accidents ou même les infractions dans ce quartier de Montréal, il semblait y avoir une volonté de colmater la source du problème. Si le SPVM s’en remet à des quotas sévères et à des cadres qui le sont tout autant parce qu’ils sont motivés par le profit, il est permis d’y voir une police à tendance politique.

Des collecteurs de taxes?

Les policiers eux-mêmes n’apprécient pas cette pression des cadres. Ils prétendent préférer intervenir davantage en sécurité publique. Par ailleurs, l’obligation de respecter les quotas leur donne l’impression de n’être que de simples collecteurs de taxes.

En outre, ils doivent collecter ces « taxes » de façon transparente, ce qui ne doit pas leur faciliter la tâche. Effectivement, la seule présence d’une voiture de police sur un coin de rue est un puissant incitatif à respecter le Code de la route. D’une part, pour pouvoir attraper des automobilistes, il faut les piéger. Sur le site du SPVM il est possible de lire ceci : « D’ailleurs, en impliquant les partenaires au moment de l’élaboration de stratégies, de la planification des actions et de l’évaluation, le SPVM démontre une réelle volonté d’agir en toute transparence, avec et pour les citoyens. » Pourtant cette notion de transparence ne cadre pas toujours avec certaines stratégies douteuses déjà utilisées par certains agents. Comme de se déguiser en sans-abris pour attraper des conducteurs avec un cellulaire à la main. La notion de transparence s’apparente aussi à la confiance du public. Il est donc à parier que de tels comportements de la part des policiers pourraient contribuer à ronger cette confiance. Dans un même ordre d’idée, Alex Norris, conseiller de projet Montréal, se prononce : « Ce programme est de nature à miner la confiance du public, et le maire devrait y mettre fin. Les contraventions devraient être données en fonction de la sécurité des citoyens et non des bonis aux cadres». D’autre part, la risque de se faire piéger est la seule façon d’influencer le citoyen à se conformer au code de la route. Sans la menace de risque,  il ne serait pas possible de contrôler le comportement des citoyens. 

Police de la tolérance zéro

Il serait intéressant d’appliquer l’approche de la résolution de problème (SARA) sur cette question afin de dégager un portrait plus transparent des objectifs de ce programme. En effet, le SARA est un modèle qui permet de trouver la source du problème pour permettre sa résolution par la prévention. Le journaliste est d’avis que l’objectif de ces quotas et de son programme de primes pour les cadres est strictement financier. Sous la lumière de cette analyse, il semble que la confiance du public ne paie pas les factures de la ville. Bref, ce présumé « zèle » déployé à l’endroit des citoyens pour les amender est intensif, mais sur un champ d’application orienté vers les bénéfices. Des bénéfices qui, d’une certaine façon serviront aussi aux citoyens puisque les services offerts  par la ville seront ainsi financés convenablement. Néanmoins, la théorie de la police de la tolérance zéro semble tout de même s’appliquer ici. En effet, cette théorie est un dérivé de la théorie de la vitre cassée, mais dans sa version intensive.

En résumé, l’article de André Normandin décrit assez bien une situation ambigüe qui provoque des réactions chez les citoyens et même au cœur de la fraternité policière de Montréal.

*Référence image