Choc au NYPD: L’affaire Scarcella
Plusieurs cas de corruption policière ont fait les manchettes au Québec dans les dernières années. On peut penser entre autres à Serge Lefebvre et, plus récemment, au cas de Benoit Roberge. Aux États-Unis, l’ex-enquêteur vedette du New York Police Department (NYPD) Louis Scarcella fait présentement l’objet d’une enquête approfondie du district attorney de la ville de Brooklyn. Les allégations qui pèsent contre cet homme sont extrêmement graves. En effet, Scarcella est soupçonné d’avoir fait condamner plusieurs innocents à de longues peines d’incarcération pour meurtre, à l’aide de faux témoignages et d’aveux inventés. L’affaire est encore loin d’avoir été éclaircie jusqu’au fond, puisque Louis Scarcella continue à nier d’avoir falsifié toute enquête.
Le cas de Louis Scarcella est un peu différent des cas classiques de corruption policière, c’est-à-dire qu’il ne semble pas, du moins avec les informations actuellement disponibles, avoir retiré de bénéfice monétaire pour ses actes. Ses motivations pourraient être de se faire un nom dans la profession en élucidant un grand nombre de crimes. Son désir de reconnaissance aurait pu être si grand qu’il a pris la décision d’outrepasser un des plus grands principes de justice, celui de ne pas condamner un innocent. Scarcella aurait également pu répondre aux pressions que le public et les médias exercent sur les corps policiers, particulièrement pour des enquêtes de grande envergure sur des crimes graves ou contre une victime vulnérable. Quand les policiers se sentent sous pression, ils peuvent transposer cette pression et cette frustration dans la salle d’interrogatoire contre la personne suspecte. Les enquêteurs peuvent être tentés de trouver un coupable à tout prix, mais il ne faut perdre de vue qu’ils doivent trouver le coupable. Évidemment, ce ne sont que des hypothèses puisque Scarcella continue de nier toutes les allégations à son égard et que l’enquête sur lui est toujours en cours.
La conduite de Scarcella est une manifestation extrême de la philosophie policière du crime control (pouvant être traduit par efficacité anti-crime), telle que définie par Herbert Packer. Selon ce principe, les buts priment entièrement sur les moyens, c’est-à-dire que le but premier est de combattre le crime sans accorder une importance particulière aux moyens utilisés pour y parvenir. L’efficacité de la police se mesure par le nombre d’arrestations et le taux de résolution, ce qui rend possible la comparaison entre les services de police et entre les agents. Fabriquer des aveux permet d’obtenir des arrestations et des condamnations, ce qui hausse évidemment le taux de résolution des enquêtes, mais viole toutes les règles de procédure.
Plusieurs indices laissent croire que Scarcella aurait inventé certaines confessions de toutes pièces. Par exemple, plusieurs de ces aveux contenaient des constructions de phrases étrangement semblables, ce qui laisse croire qu’il aurait rédigé ces aveux lui-même. Selon un des avocats représentant plusieurs hommes reconnus coupables suite à une enquête menée par Scarcella, des confessions auraient également été obtenues suite à l’usage de la force physique contre les suspects. Les allégations de fabrication de faux témoignages concernent plus précisément une femme qui a été le témoin principal et particulièrement incriminante dans au moins six affaires différentes de meurtre confiées à Scarcella.
L’admission de culpabilité est souvent considérée comme la meilleure preuve. Pour plusieurs enquêteurs, la recherche de l’aveu est donc le principal objectif des interrogatoires. C’est pour cette raison qu’il faut se méfier des risques de fausse confession[1]. Les pressions des policiers, comme l’utilisation de méthodes persuasives ou coercitives, peuvent favoriser l’aveu, même chez quelqu’un qui n’est pas véritablement coupable. Ces fausses confessions peuvent être faites par résignation, c’est-à-dire pour faire cesser la torture et les menaces ou simplement pour mettre fin à l’interrogatoire.
Un des condamnés qui a toujours maintenu son innocence soutient avoir répété à plusieurs reprises qu’il était innocent, mais que ses paroles sont tombées dans les oreilles d’un sourd. Ceci est un bon exemple du biais de confirmation qui peut habiter certains enquêteurs. Les personnes souffrant de cette «vision en tunnel» ont tendance à prendre en considération seulement les preuves qui corroborent leur vision de l’affaire et à ignorer celles qui pourraient prouver l’innocence de la personne qu’ils croient coupable.
En 2007, Louis Scarcella a été invité au talk-show américain Dr. Phil, où il a tenu des propos qui sont troublants lorsqu’on connaît les informations qui ont été divulguées par la suite sur les méthodes qu’il utilisait pour parvenir à ses fins. Scarcella a entre autres affirmé qu’il ne respectait pas les règles, puisque les suspects n’avaient pas respecté les règles en commettant des crimes. Il ajoute également que son principal objectif lors d’un interrogatoire est d’obtenir un aveu qui mènera par la suite à une condamnation. Il admet utiliser plusieurs tactiques, comme jouer avec les sentiments des suspects, pour que la personne dise ce qu’il a besoin d’entendre. L’utilisation de tactiques pendant les interrogatoires n’est pas illégale aux États-Unis, mais il y a évidemment une limite qui ne doit pas être franchie. Scarcella semble avoir franchi cette limite à plusieurs reprises.
Finalement, les personnes qui ont été injustement condamnées à cause de Scarcella ont subi des torts incommensurables. David Ranta, qui a été condamné pour meurtre en 1991 a été libéré en mars dernier après avoir passé 23 ans derrière les barreaux. La ville de New York a versé 6,4 millions de dollars à cet homme. Malgré le fait que ceci est une somme considérable, on peut se demander si l’argent peut réparer toutes les conséquences d’une condamnation infondée. En effet, en plus des années perdues indûment en prison, la condamnation a également des effets indélébiles ou presque sur la réputation de la personne ainsi que sur les liens avec son entourage.
[1] Michel ST-YVES et Michel TANGUAY, «Les entrevues d’enquête policière», Traité de sécurité intérieure sous la direction de Maurice Cusson, Benoît Dupont et Frédéric Lemieux, Éditions Hurtubise, 2007, p.557-568.