Une décision qui lui coûte la vie…
23 juin 2001, Lucie Gélinas roule à toute allure sur le boulevard Métropolitain à Montréal en zigzaguant entre les voitures. Dernière elle, un VUS, conduit par son ex-conjoint Jocelyn Hotte, percute délibérément son pare-chocs pour lui faire perdre le contrôle. Paniquée, Lucie Gélinas est forcée de ralentir. Jocelyn Hotte percute de nouveau sa voiture puis se porte à sa hauteur. Revolver au poing, il vise directement Lucie Gélinas. Après 7 minutes d’une poursuite infernale, Lucie Gélinas vie ses derniers instants, car ce jour-là, elle avait rendez-vous avec la mort. Une mort tragique qui aurait pu être évitée…23 juin 2001, mort de Lucie Gélinas
Les appels au 9-1-1 liés à la violence conjugale sont malheureusement nombreux. Le phénomène peut prendre différentes formes : de l’insulte à l’homicide, en passant par des menaces. Les services de police doivent donc intervenir rapidement afin de sécuriser les personnes. Dans tous les cas, il est recommandé de ne pas hésiter à composer le 9-1-1 lorsque des menaces ou des actes de nature criminelle sont en cause. Le simple fait de transmettre une menace à une autre personne, par quelque moyen que ce soit, est une infraction qui se retrouve dans le Code criminel, article 264.1. Cependant, seulement certaines formes de menaces sont criminalisées : menace de causer des lésions corporelles, menace de détruire un bien, menace de blesser, menace de tuer un animal et, bien sûr, menace de causer la mort…
C’est en 1995 que Lucie Gélinas rencontre pour la première fois Jocelyn Hotte qui est un policier d’élite à la GRC (Gendarmerie Royale du Canada). Plus spécifiquement, il fait partie d’une unité d’élite, la Section de la protection des personnes de marque (PDM), afin d’assurer la protection du Premier Ministre, du Gouverneur Général, de Sa Majesté la reine, etc. Très peu de policiers parviennent à se qualifier pour ce genre poste qui demande des qualités physiques particulières. De plus, tous les membres de cette section spéciale doivent être des tireurs d’élite.
Jocelyn Hotte, tireur d’élite dans la GRC
Durant plus de 6 ans, la relation du couple est houleuse et ponctuée de plusieurs séparations. Le 30 mai 2001, Jocelyn Hotte met un terme définitif à la relation, car il vient de rencontrer quelqu’un d’autre. Lucie prend cette rupture très mal, mais quelques jours après, fini par rencontrer également un autre homme. Toutefois, dès que Jocelyn réalise que Lucie voit une personne, son attitude change du tout au tout. Il insiste pour qu’ils reviennent ensemble, même si c’est lui qui l’a quittée. Malgré de nombreux refus de la part de Lucie, Jocelyn s’entête et commence à la harceler pour qu’elle reprenne avec lui. Désormais, Mme Gélinas a peur, car Jocelyn est un tireur d’élite à la GRC et a accès en tout temps à son arme de service. Au cours des semaines suivantes, la situation entre les deux ne fera que s’envenimer à un tel point où Lucie sera forcée de téléphoner au 911 pour menace de mort. Ce soir-là, cinq jours avant le drame, les policiers qui étaient venus prendre la déposition de Lucie Gélinas prendront une décision qui se révélera déterminante au sujet de son décès…
Les policiers doivent prendre tous les appels de menace et de violence conjugale très au sérieux. Il n’est pas nécessaire que la menace soit prononcée directement à la victime pour que l’acte criminel soit accompli. C’est le sens des mots qui importe. Certaines personnes peuvent trouver anodine une phrase, alors que d’autres voient une réelle menace à leur vie. Les policiers, lors de leur intervention, doivent donc considérer objectivement la menace, c’est-à-dire une personne raisonnable, se trouvant dans la même situation que la victime, compte tenu des mots prononcés et des circonstances dans lesquelles ils l’ont été, aurait-elle interprétées ces paroles comme une menace de mort ou de lésion. Ils doivent juger, à la fin de l’intervention, si l’appel est bien fondé et s’il est nécessaire de faire un rapport. Leur décision peut s’avérer cruciale dans certaines situations. C’est donc très important pour les policier de bien comprendre le sens réel des mots, et, en cas de doute, de s’en remettre à la centrale qui est toujours là pour les aider dans leur choix. Deux policiers lavallois savent maintenant ce que peut signifier une simple phrase, qui leur paraissait au départ inoffensive…
18 juin 2001 à 0h48, les agents Joël Sirois et Nathalie Rufer de la Police de Laval se présentent au domicile de Lucie Gélinas qui leur fait part des menaces qu’elle a reçues. Elle rapporte aux policiers les propos tenus à son endroit par M. Hotte, soit « ton père s’est fait tirer, hein? », mais omet de répéter la deuxième partie qu’elle avait mentionnée au répartiteur du 9-1-1, soit « je t’aurai donné ta dernière chance ». Elle leur explique qu’elle perçoit cela comme des menaces de mort, car son père s’est effectivement fait tirer par balle. De plus, elle leur explique qu’elle pense que Jocelyn est en dépression depuis leur séparation et qu’il a accès en tout temps à son arme de service. Toutefois, elle refusera de porter plainte officiellement auprès de son ex-conjoint, de peur d’envenimer encore plus la situation. Les policiers, loin d’être convaincus que Lucie est en danger de mort, tentent seulement de la rassurer. Aux termes de leur rencontre, les policiers quittent le domicile de Lucie Gélinas et concluent à un appel non fondé et ne font aucun rapport…
Lors du procès de Jocelyn Hotte, le juge soulève la négligence des policiers dans cette affaire. En effet, la faute des deux agents lavallois a rendu objectivement possible la réalisation du dommage, car les conséquences de cette faute pouvaient être raisonnablement prévues par les policiers dans la nuit du 18 juin. Le juge soulève également que la méthodologie à suivre en la matière veut qu’il faut observer d’abord les faits connus par les policiers au moment de la prise de leur décision d’agir ou pas et qu’il faut se demander ensuite si ces actions reflètent celles qu’un policier raisonnable prendrait dans les mêmes circonstances.
Pour mieux comprendre, il faut se replonger dans la situation lorsque la prise de décision a été faite. Premièrement, les policiers trouvaient Mme Gélinas crédible, si bien qu’il n’y avait pas de raison de ne pas la croire lorsqu’elle affirmait avoir reçu des menaces de mort. De plus, en matière de violence conjugale, les policiers savent qu’il ne faut jamais douter de la version de la plaignante et celle-ci leur avait dit craindre pour elle-même et pour son nouveau conjoint. Lucie Gélinas leur avait également dit que Jocelyn Hotte avait une arme de service étant membre dans la GRC et qu’il souffrait peut-être de dépression. Par ailleurs, les policiers savaient que M. Hotte avait déjà connu des problèmes de harcèlement avec une ancienne conjointe, un comportement qui avait été sanctionné par la GRC à l’époque. Finalement, Lucie leur avait aussi signalé que Jocelyn était déjà entré par infraction chez son voisin, ce qui est un facteur démontrant son instabilité. Ainsi, avec tous ces éléments, il n’y a aucune raison que les paroles perçues par Mme Gélinas comme étant des menaces de mort soient considérées autrement. Le juge estime même dans le procès de Jocelyn Hotte que si un rapport avait été rédigé par les policiers, la GRC aurait vraisemblablement été mise au parfum et menée une enquête interne, au retrait de son arme de service. Or, elle n’a jamais été mise au courant, car les policiers de la Ville ont jugé la plainte non fondée, ce qui a coûté la vie à Lucie Gélinas…

De gauche à droite: David Savard, Pierre Mainville et Hugues Ducharme
23 juin 2001, vers 18 heures, Lucie Gélinas a prévu de fêter la St-Jean Baptiste en compagnie de son voisin, Hugues Ducharme. Pour l’occasion, Hugues décide d’inviter son cousin Pierre Mainville ainsi que son ami David Savard. Durant la soirée, Lucie devient de plus en plus préoccupée, car elle voit le VUS de Jocelyn stationné devant l’immeuble. Vers 22 heures, le groupe décide de se rendre à Montréal pour fêter la St-Jean-Baptiste. Monsieur Hotte décide donc de les suivre, mais Lucie s’en aperçoit. Elle s’arrête sur le bord de la route pour inviter son ex-conjoint à venir fêter avec eux et ainsi essayer de faire la paix. Après quelques kilomètres, Jocelyn Hotte gesticule agressivement pour que Lucie Gélinas immobilise son véhicule, mais celle-ci refuse et continue son chemin. Pris d’une immense colère, Jocelyn décide de percuter à plusieurs reprises le véhicule. La poursuite s’étend sur 13 kilomètres avant que Jocelyn décide de faire feu à une quinzaine de reprises avec son arme de service sur la voiture. Mme Gélinas est atteinte cinq fois, dont seulement la dernière balle s’avéra mortelle. Hugues Ducharme, assis à l’avant, est atteint de cinq balles également, dont une percutera sa joue. David Savard, quant à lui, en reçoit deux au bras gauche et Pierre Mainville reçoit une balle qui lui brise la colonne vertébrale et le laisse paraplégique.
Le 13 décembre 2002, la Cour déclare Jocelyn Hotte coupable d’un meurtre au premier degré et de trois tentatives de meurtre. Par la suite, Pierre Mainville, Hugues Ducharme et David Savard, qui se trouvaient dans la voiture de Mme Gélinas lors du drame, poursuivent la Ville de Laval (Service de protection des citoyens, département de police et centre d’appels d’urgence 911) pour sa responsabilité dans la faute d’omission de deux de ses policiers. En 2010, la Cour condamne la Ville à indemniser les trois hommes blessés par Jocelyn Hotte, d’un montant de 1,5 million $ plus les intérêts et indemnités additionnelles. La Cour a en effet conclu que les policiers avaient commis une faute d’omission en ne donnant pas suite à la plainte de Lucie Gélinas et que cette faute avait un lien causal avec le drame.
Finalement, toute cette histoire a été très partagée dans la population. Selon moi, les policiers peuvent en effet commettre une erreur en n’arrêtant pas quelqu’un. Toutefois, il y a une marge à dire que leur omission a causé la mort et des blessures graves. Les policiers ont probablement manqué de jugement lors de cette nuit du 18 juin, mais s’ils avaient véritablement arrêté Jocelyn Hotte ce soir-là et qu’on lui avait retiré son arme de service, il aurait pu s’en procurer une autre, étant dans le milieu. De plus, si M. Hotte n’avait pas été dans la GRC, est-ce que les policiers auraient pris la même décision? Bref, toutes ces questions resteront à jamais sans réponse et ne pourront malheureusement pas ramener Lucie Gélinas.
Lucie Gélinas, 37 ans, mère de 3 enfants