Un héros zéro

Le sergent Serge Lefebvre, policier à Ste-Foy (alors une municipalité en banlieue de Québec avant les fusions) était considéré par ses pairs, les autorités policières et la population. Il a été contemplé comme un héros pour son implication dans une histoire d’otage et a reçu, en 1979, une médaille honorifique. On admirait aussi sa rapidité exceptionnelle à arriver le premier sur les lieux des commerces où le déclenchement d’une alarme laissait croire qu’il y avait un vol.

En 1985, c’est la chute du héros. Le meurtre de deux policiers de la ville de Québec arrivés sur les lieux d’un commerce, à la suite du déclenchement d’une alarme, soulève bien des questions. Les circonstances donnent à penser que les policiers tués ne craignaient pas le danger. La personne responsable de leur mort les a probablement mis en confiance. L’enquête du service de police de la ville de Québec conduira à l’arrestation de Serge Lefebvre qui, ultimement, a admis les faits. Il a aussi admis être l’auteur de plus de trois cent vols dans des bureaux ou commerces sur le territoire de Ste-Foy. Il ciblait l’argent dans les petites caisses que l’on retrouve dans la plupart des milieux de travail.

Sa façon de procéder était assez simple, mais efficace. Il cambriolait pendant ses heures de travail. Sa présence sur les lieux lorsque l’alarme se déclenchait par son action n’était donc pas suspecte. Ce voleur se transformait alors en sergent efficace et rapide qui, toutefois, n’arrivait jamais à capturer personne sur les lieux du vol. Le montant d’argent volé n’était jamais démesuré. Il suffisait pour alléger le budget personnel du voleur sans pour autant augmenter son mode de vie d’une manière qui aurait pu éveiller des soupçons.

Le voleur a finalement été piégé lorsqu’il a commis un vol dans un établissement (un commerce de matériel dentaire) dont l’alarme, à son avis, était rattachée à la centrale de police de Ste-Foy. C’était une erreur. L’alarme avait été rattachée deux semaines plus tôt à la centrale de police de la ville de Québec puisque le commerce se situait sur ce territoire. Le sergent Lefebvre, surpris par la présence des deux policiers de la ville de Québec, tua le premier policier entré dans le commerce, monsieur Jacques Giguère. Il sortit à l’extérieur où se trouvait le deuxième policier, monsieur Yves Têtu. Ce dernier, probablement rassuré par l’uniforme de policier de Lefebvre, s’approcha en sa direction. Le policier Lefebvre le tua d’un coup de feu au visage.

La suite des choses aurait été différente si Lefebvre avait fait son vol au commerce en cause deux semaines plus tôt, alors qu’il était rattaché à la centrale de police de Ste-Foy. Chose certaine, messieurs Yves Têtu et Jacques Giguère n’auraient pas été tués. Le danger aurait cependant été toujours présent puisque l’on ne sait pas combien de temps aurait duré la criminalité de Lefebvre avant d’être arrêté.

Serge Lefebvre a plaidé coupable aux deux accusations de meurtre au premier degré. Il a été condamné à la prison à perpétuité pour les meurtres commis dans le seul but de protéger son image de héros.

En 2003, il se prévaut d’une procédure visant à demander à un jury l’autorisation de présenter une demande de libération conditionnelle. Cette procédure a lieu sous la forme d’un deuxième procès axé sur l’évolution du détenu depuis sa condamnation. Lefebvre dit avoir des remords profonds depuis le début de sa détention. Le personnel carcéral le décrit comme un détenu ayant une conduite exemplaire. Lefebvre est de nouveau devenu un héros, celui du détenu réhabilité. Le jury est satisfait du parcours exemplaire de Lefebvre en prison et lui accorde sa demande. Lefebvre bénéficie d’une libération conditionnelle. Tous croient alors que l’on n’entendrait plus parler de ce détenu maintenant réhabilité.

Or, ce ne fut pas le cas. Lefebvre est de nouveau confronté au résultat d’une enquête policière en 2011 qui révèle son implication dans plus d’une vingtaine de vols dans le secteur où il habite. Il s’introduit dans des commerces en forçant la porte et y vole diverses sommes d’environ trois cents dollars. Il est à nouveau arrêté en 2012. Sa libération conditionnelle est révoquée. Il plaide coupable aux nouvelles accusations portées contre lui.

Le montant relativement faible des sommes volées soulève des questions quant à la nature de la criminalité de Lefebvre. Les diverses expertises révèlent qu’il est narcissique, suicidaire et voleur compulsif. On évoque alors son histoire familiale pour expliquer son dysfonctionnement. Son père, plutôt absent, était sévère et violent envers sa mère qui était battue et dépendante. Il a eu une enfance troublée et dévalorisante qui a nui à son identité personnelle et à son développement. Son désir d’impressionner la galerie et de prouver qu’il a de bonnes capacités influence sa conduite qui est parfois criminelle et, à d’autres moments, élogieuse. «Des troubles psychologiques, tels l’anxiété, l’insécurité, une faible estime de soi, une mauvaise gestion des émotions et un développement affectif inadéquat, semblent être des facteurs criminogènes qui ont influé sur le passage à l’acte. Vous ne prônez [toutefois] pas de valeurs criminelles et ne vous êtes jamais identifié au monde criminel,» estime la Commission des libérations conditionnelles du Canada en s’adressant à notre accusé.

Il est condamné à trois années de détention consécutives. Lefebvre ne sortira vraisemblablement jamais de détention. Son parcours personnel passe de héros à la déchéance. Il est passé de héros (en tant que policier) à meurtrier et de détenu exemplaire à une personne déviante.

Dans le cas de monsieur Lefebvre, nous assistons clairement à un cas de déviance policière. Tout d’abord, on parle de corruption typique puisque notre sujet accepte quelque chose, dans ce cas-ci, sa glorification personnelle, en échange de violation à ses devoirs. Plus précisément, on parle de mauvaise conduite puisque l’agent viole les règles internes de l’organisation. En effet, en tant que représentant de la loi et l’ordre, il a prêté serment à avoir une conduite irréprochable. Sa conduite est tout à fait contraire à cet engagement alors qu’il était haut gradé dans la hiérarchie policière. On assiste aussi à une criminalité policière puisque l’agent profite de sa position pour violer la loi. C’est en rassurant les commerçants une fois le vol fait et en utilisation son image de sergent qu’il viole les règles déontologiques qui le gouvernent. Il met à profit son autorité pour son bénéfice personnel. Lorsqu’il est confronté à cette réalité, il choisit de commettre le crime le plus grave en tuant deux collègues dans le seul but de protéger son image. Son irrespect total pour la vie d’autrui afin de se soustraire aux conséquences de ses crimes contre les biens est éloquent.

On parle aussi de prédation comme ce dernier exploitait des individus, à savoir ses collègues, les commerçants, la confiance de ses supérieurs et toutes les autres personnes qui subissent les conséquences de ses délits. Il exploite aussi les citoyens (civils ou commerciaux) qu’il doit servir en prétendant être le héros qui les protège de la criminalité. Il a aussi berné sa conjointe, qui ignorait tout de son inconduite, ainsi que ses enfants qui le voyaient aussi comme un héros. Bref, tout son entourage social, familial et professionnel est biaisé.

La gouvernance de la police est aussi en cause dans cette affaire. Les autorités policières ont effectivement l’obligation de s’assurer que leurs services atteignent leurs objectifs, soit la protection et la sécurité du public. Il semble bien que la gouvernance de l’autorité policière a été de présumer la bonne foi de ses agents, dont Lefebvre, plutôt que d’encadrer leurs actions afin de s’assurer que ce soit le cas. Les autorités sont imputables d’avoir négligé de porter une attention aux vols à répétition commis sur leur territoire qui n’étaient jamais résolus. Le faible montant des vols en cause est probablement la cause de cette négligence. Le mode de contrôle dans ce cas-ci aurait dû consister à une activité proactive, de continuelle surveillance d’activités, d’analyse de la similarité des vols et d’établir des règles et procédures pour éviter la déviance de ce policier que l’on a laissé patrouiller seul. La surveillance interne qui est nécessaire à toute activité policière aurait dû être mise en place de manière stricte et sévère.

Le cas de Lefebvre soulève aussi une autre question. Comment les autorités carcérales ont-elles pu présenter Lefebvre, en 2003, comme un détenu exemplaire réhabilité alors que les évaluations plus récentes le concernant révèlent sa déviance profonde? Visiblement, elles n’ont pas procédé aux évaluations pertinentes pour conclure en 2003 qu’il ne présentait pas un danger. Ce manquement soulève aussi des questions sérieuses de gouvernance de la part de la Commission des libérations conditionnelles dont la mission n’est pas étrangère à celle des autorités policières, soit d’assurer la protection du public.

Toute cette histoire et les autres du même style, m’amènent à me rappeler une question déjà soulevée: «Qui nous protège de ceux qui sont censés nous protéger?» Je reste malheureusement sans réponse face à cette interrogation.