La police pourra fouiller un téléphone sans mandat

Toute personne a droit au respect de sa vie privée, énonce la Charte des droits et libertés de la personne. Mais où s’arrête cette notion de droit? Les objets qui nous appartiennent bénéficient-ils du même droit? À ce sujet, plusieurs ont été renversés d’apprendre que la police peut désormais procéder à une « fouille limitée du téléphone mobile d’un suspect au moment de son arrestation, et ce, sans obtenir de mandat de perquisition ». Notre téléphone cellulaire, ce petit miracle de technologie que de plus en plus de gens considèrent comme une extension de leur corps, sinon un outil nécessaire à leur quotidien, n’est-il donc pas aussi « sûr » qu’on pourrait le penser?

L’histoire commence en 2009, alors que « la Cour suprême avait rejeté l’appel de la condamnation pour vol à main armée de Kevin Fearon, celui-ci ayant alors allégué que la police avait violé ses droits en fouillant son téléphone sans mandat après le vol d’un comptoir de bijoux ». La cour avait estimé que « la police avait effectivement violé les droits de M. Fearon, mais avait jugé que la preuve ainsi obtenue ne devait pas pour autant être exclue ».

Après plusieurs années de procédures est finalement survenu, en 2014, le premier jugement de la Cour suprême relativement aux informations personnelles contenues sur un téléphone mobile. Rendu à seulement quatre contre trois, ce jugement permet la fouille sans mandat, mais précise que cette dernière doit « être directement liée aux circonstances de l’arrestation et que la police (doit) prendre des notes détaillées sur son examen de l’appareil ». De leur côté, les juges dissidents étaient plutôt d’avis que «la police devrait obtenir un mandat de perquisition dans tous les cas, sauf en de rares occasions». Selon eux, l’atteinte à la vie privée serait trop importante et ne pourrait être excusée en cas d’erreur dans l’application de la loi. Malgré cela, la majorité l’a emporté et le jugement a été rendu.

Mais le débat est loin d’être terminé. En effet, plusieurs discussions ont toujours lieu sur la place publique et dans les tribunaux, les gens se questionnant et ne s’entendant pas sur les limites du droit à la vie privée et sur les différents pouvoirs des policiers à ce sujet. Ces questionnements sont un prolongement de cette société à sécurité maximale qui est la nôtre, affirmerait Gary Marx. En effet, selon le discours de Marx, il faut se demander si l’évolution récente de la technologie ne pousserait pas l’Amérique du Nord à développer une société de plus en plus « sous haute surveillance ».

Précisons qu’à la manière d’une prison à sécurité maximale, cette vision particulière de la société comporte six aspects importants :

  1. C’est une société programmée (la technologie est utilisée pour normaliser le comportement, pour rendre l’individu prévisible)
  2. C’est une société de dossiers (chaque personne est associée à une immense base de données qui contient une tonne d’informations à son sujet)
  3. C’est une société actuarielle (nous sommes tous définis selon notre appartenance statistique à un groupe)
  4. C’est une société d’auto-surveillance (nous acceptons d’être surveillés, car nous voulons que nos voisins le soient eux aussi)
  5. C’est une société poreuse (il n’y a plus de distinction entre le public et le privé ; notre bulle privée est pleine de trous)
  6. C’est une société soupçonneuse (nous sommes tous un danger potentiel ; il faut être constamment sur nos gardes si nous voulons prévenir le crime)

Cette société qui, à la manière d’une prison, surveille les moindres faits et gestes de ses citoyens, incite-t-elle la police à miser sur de nouvelles technologies et/ou de nouveaux « droits » pour mener à bien leur devoir d’application de la loi? Acceptons-nous d’être fouillés, surveillés, et donc d’offrir le contenu de notre téléphone cellulaire, simplement pour démontrer que nous sommes de « bons » citoyens? Ce désir d’intense sécurité en viendra-t-il à brimer nos droits les plus précieux? Seul le temps nous le dira.