Les bons et les moins bons coups de la police sur le cybercrime

Le 24 août 2016, le citoyen Robert Rivard menace Haroun Bouazzi sur une page facebook commentant à propos de monsieur Bouazzi :«un bidon d’essence sur la guenille pis tu y crisses le feu » et «la pendaison». Haroun Bouazzi est le coprésident de l’Association des musulmans et des Arabes pour la laïcité au Québec, il se prononce souvent sur la place publique contre l’islamophobie et pour les libertés civiles. Celui-ci porte plainte auprès du Module sur les incidents et crimes haineux du service de police de la ville de Montréal. Le présumé coupable de menaces est arrêté par la suite. Lors de la sommation de Monsieur Rivard, le directeur des poursuite criminelles et pénales mentionne craindre que suite aux menaces de monsieur Rivard, il cause à Monsieur Bouazzi des lésions ou endommage sa propriété. En mai 2016, il a finalement a été condamné à ne pas troubler l’ordre public pendant 12 mois suite aux menaces proférées.

Il s’agit d’un bon exemple de succès pour les services de police en lien avec les crimes sur les réseaux sociaux. Par contre, tout n’est pas encore tout à fait au point.

Ce n’est pas la première fois que monsieur Bouazzi reçoit des menaces sur les réseaux sociaux lui faisant craindre pour son intégrité. Celui-ci mentionne que, lors de sa plainte précédente, la policière qui la traitait lui a donné un message très peu rassurant: « La policière m’a dit texto : « Nous avons remarqué que vous continuez à donner des conférences dans les cégeps de manière périodique [en voulant dire que] je n’ai pas peur de me faire tuer » »

Alors que les différents services de police canadiens constatent que l’approche de police communautaire ne remplit pas ses promesses et qu’on observe un virage vers une police centrée sur le renseignement, il est très surprenant de voir une telle dynamique se dessiner par rapport aux crimes sur les médias sociaux. Deux éléments se distinguent dans ce discours : la responsabilisation des victimes potentielles relié à la police communautaire et l’absence de proaction dans l’intervention dans cette situation. En effet, l’approche actuelle de la police par le renseignement est centrée sur l’idée de recueillir les renseignements importants sur les personnes à risque de commettre des crimes afin de pouvoir cibler les personnes avant qu’elles ne commettent des crimes. Dans ce cas de figure, la police aurait ciblé certaines personnes et pages web où les gens ont tendance à proférer des messages haineux pour monter des dossiers sur elles de façon à pouvoir intervenir avant le passage à l’acte. Dans la situation décrite, on peut dire que la police a agit de façon réactive, elle a attendu qu’un citoyen fasse lui-même une plainte en tant que victime pour s’intéresser à l’individu et aux pages web concernées. Donc, comme dans l’approche de police communautaire, la police attend le renseignement de la part du citoyen plutôt que d’y aller par elle-même. Il est évidemment très difficile pour les services de police de protéger les citoyens sur les réseaux sociaux étant donné l’étendue du contenu continuellement créé. Par contre, des initiatives commencent à se former. Par exemple, la sureté du Québec a mise sur pied une vigie afin de détecter les messages radicaux ou haineux. Il y a donc peut-être déjà un virage vers le renseignement.

L’autre élément important qu’on peut remarquer est l’attitude de responsabilisation des citoyens dans par rapport à leur sécurité. Le commentaire de la policière cité plus haut qui semblait reprocher à monsieur Bouazzi de s’exposer à des menaces du genre en est un bon exemple, mais n’est pas le seul. Sur le site de la sureté du Québec, on retrouve une page de prévention qui mentionne des conseils pour ne pas être victime des cybercrimes, c’est donc de dire que le citoyen est co-responsable de sa sécurité comme le préconise l’approche de police communautaire.

Dans cet ordre d’idée, il semble que la police est d’une part débordée par l’explosion des crimes sur le web et que d’autre part elle manque de ressource pour enquêter sur les cas individuels. Le détective Maurizio Rosa mentionne que son groupe de la GRC centré sur le cybercrime aimerait que les citoyens leur envoient les informations sur les tentatives de hameçonage pour essayer de se figurer des éléments qui reviennent dans ces opérations tout en disant qu’ils manquent de ressources et qu’ils ne pourront pas enquêter sur les cas individuels de hameçonnage.

On peut aisément faire un parallèle avec la société du risque de Ulrich Beck. En effet, l’approche de Beck conçoit la technologie comme une source potentielle de plus en plus de riques avec le progrès et une impossibilité de résoudre ces risques. Dans cette approche, on préconise plutôt des méthodes d’évitement pour limiter les conséquences de ces riques. C’est avec l’information que les autorités peuvent permettre aux citoyens d’éviter ces risques. Dans le cas des cybercrimes, les autorités de police avouent ne pas pouvoir punir individuellement les personnes responsables de hameçonnage: elles préferent donc favoriser l’accumulation d’informations pour des enquêtes plus larges. L’objectif serait donc de transmettre l’information de manière à sensibiliser les citoyens, étant donné le caractère inévitable des tentatives de hameçonnage.

Je pense personellement que la police canadienne est très en retard dans ses approches sur le cybercrime et les médias sociaux et que ses manières de faire ne rendent pas nécessairement justice aux citoyens. De mon point de vue, en responsabilisant les citoyens, ont peut facilement minimiser le rôle que la police joue dans la sécurité des citoyens. De plus, le fait que l’approche de police centrée sur le renseignement ne soit pas encore appliquée de manière à prévenir les crimes plutôt qu’agir après les faits, montre un certain retard par rapport aux pratiques actuelles de la police. Il est évident qu’avec le développement des technologies, nous assistons à une mutation des crimes et de la réaction des services de police, reste à savoir si les policiers trouveront une nouvelle approche efficace dans les prochaines années pour faire face au cybercrime.