La Sûreté du Québec équipe ses patrouilleurs de défibrillateurs

Depuis plusieurs années, les mandats des corps policiers ne cessent de s’élargir et de se redéfinir. Par contre, un mandat demeure primordial, celui de protéger la vie. Cette mission est sur le point de prendre une toute nouvelle signification chez les patrouilleurs de la Sûreté du Québec. Ceux-ci auront d’ici quelques semaines, en plus de leurs outils de travail traditionnels, un défibrillateur à bord de leur véhicule de patrouille.

Cet ajout à l’équipement policier ne date pas d’hier. Plusieurs véhicules de l’organisation policière transportaient déjà cet appareil médical. Depuis 2013, dans le cadre d’un programme visant à améliorer la survie des patients en arrêt cardio-respiratoire, la Sûreté du Québec, en collaboration avec le ministère de la Santé et sous la responsabilité du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de la Capitale-Nationale, a graduellement formé ses agents et intégré le défibrillateur à son inventaire.

Ce projet, qui en est à sa troisième et dernière phase, fournira à l’ensemble des policiers du corps de police provincial une formation par des professionnels de la santé sur l’utilisation du défibrillateur ainsi que sur les manœuvres de réanimation. 

« Ça vise à s’assurer que les patrouilleurs sont bien formés pour la réanimation cardio-respiratoire, le dégagement des voies respiratoires et l’utilisation des défibrillateurs »


– Sébastien Gaudreault, adjoint au directeur des services professionnels du CIUSSS de la Capitale-Nationale.

L’idée derrière ce projet est bien simple. C’est de réduire le laps de temps entre l’arrêt cardiaque d’une personne et le début des manœuvres de réanimation. Les policiers, étant plus nombreux sur le territoire et surtout plus rapide à arriver sur les lieux d’une intervention, rendent l’acquisition de ses appareils indispensable puisque chaque minute compte dans ce genre de situation. En effet, si la défibrillation est effectuée dans les 10 minutes suivant l’arrêt cardiorespiratoire, chaque minute gagnée augmente les chances de survie de la personne de 10%.

« Ce n’est pas compliqué, il y a plus de policiers que d’ambulanciers sur notre territoire. On peut toujours doubler la flotte d’ambulances, mais ça va coûter des millions. La solution, faire appel aux policiers. »


– Éric Laviolette, directeur médical régional de l’Agence de santé des Laurentides.

Il est important de noter que ce programme a déjà fait ses preuves. En décembre 2015, à Notre-Dame-de-Lourdes, la vie d’une femme de 48 ans a été sauvée par l’intervention de deux policières de la Sûreté du Québec qui lui ont administré des « chocs » avec le défibrillateur pour la réanimer. Selon la sergente Guindon de la Sûreté du Québec, l’action combinée du massage cardiaque, de l’utilisation du défibrillateur ainsi que la prise en charge par les paramédics ont grandement contribué à sauver la vie de la victime.

Contrairement au service de police provincial, certains corps de polices municipaux semblent hésitants à mettre en branle un projet similaire. C’est le cas notamment au Service de police de la Ville de Québec (SPVQ). Malgré la proposition du CIUSSS de la Capitale-Nationale d’implanter un projet sur le territoire de la ville de Québec, le service policier est réticent à l’idée.

Selon le SPVQ, leurs véhicules ne sont pas adaptés pour accueillir ce nouvel outil de travail. De plus, selon le porte-parole du service de police, ce genre de programme n’est pas nécessaire en milieu urbain en raison des équipements déjà suffisants aux différents endroits publics de la ville.

De policier à intervenant de la santé ?

Comme il a été mentionné au début de cet article, les mandats des services de police ne cessent de s’élargir et on donne de plus en plus de responsabilités aux policiers. Dans ce cas précis, on est assez loin de la police originale de Robert Peel. En effet, les mandats policiers qui, autrefois, étaient surtout basés autour des lois s’étendent de plus en plus à d’autres sphères de notre société.  

Le rôle des policiers dans les interventions médicales ne se limitent pas seulement à l’ajout de défibrillateurs dans les auto-patrouilles. Ils sont de plus en plus confrontés à diverses problématiques qui autrefois étaient du ressort de l’intervention médicale. C’est le cas notamment des interventions pour les cas de santé mentale et de surdose (administration de Naloxone).  

Malgré les effets positifs pour la population de l’implantation de programmes permettant d’augmenter les chances de survie d’une personne, il faut quand même prendre le soin de s’interroger sur les répercussions imposées aux policiers. En effet, bien qu’il soit logique que les patrouilleurs soient moindrement équipés pour intervenir lors d’une situation d’urgence médicale en raison de leur rapidité d’intervention, il ne faut pas oublier que ceux-ci ne sont pas des experts de la santé.

On demande de plus en plus aux policiers d’intervenir dans des situations d’urgence qui sortent des balises de la profession alors que ceux-ci n’ont pas nécessairement l’expertise nécessaire pour intervenir de façon efficace. Bien que des formations soient données aux policiers sur les différentes procédures médicales, ceux-ci ne sont pas des experts aux même titre qu’un ambulancier ou encore un premier répondant pour répondre à une urgence médicale ce qui est inévitablement augmente le risque d’erreur lors de la procédure.

Le fait que les policiers n’aient pas d’expertise en matière d’intervention médicale n’est pas seulement dangereux pour la personne mais également pour le policier. Si la personne décède suite aux manœuvres faites par l’agent de la paix sur une victime, celui-ci peut être blâmé voir même poursuivi. C’était d’ailleurs le cas avant le changement de réglementation de 2018 quant à la cessation des enquêtes pour les policiers qui utilisaient le Naloxone sur des personnes en situation de surdose. Avant ce changement, un agent de la police provinciale de l’Ontario (OPP) qui utilisait du Naloxone pouvait subir une enquête et être poursuivi lorsque la victime décédait suite à l’intervention du policier. Depuis cette nouvelle réglementation, les policiers ne sont plus soumis à ces enquêtes. Pour ce qui est du défibrillateur, il n’y a pas encore de réglementation visant à protéger les policiers contre d’éventuelles poursuites.

« Personne ne devrait faire face à des répercussions injustes après avoir fait son travail et tenté de sauver une vie. »


–  Sylvia Jones, ministre de la Sécurité communautaire

On peut également se questionner sur la vision qu’auront les policiers face à ce nouveau mandat. On sait déjà que la majorité des policiers canadiens trouvent une grande partie de leur travail ennuyante alors que de moins en moins de leur temps est consacré aux crimes. Les appels concernant les urgences médicales sortent considérablement du cadre habituel des activités policières et il probable que ces nouvelles responsabilités ne soient pas bien reçues par les policiers.  

Bref, bien qu’il puisse être intéressant pour la population et pour le système de santé en général de donner des responsabilités médicales aux policiers, il est important de garder en tête qu’ils ne sont pas des experts de la santé et qu’il y a une certaine limite à ne pas dépasser quant aux manœuvres et aux gestes qu’on peut leur demander. Bien que la protection de la vie fasse partie des mandats des corps de police, ceux-ci ont de nombreux autres mandats à remplir qui demandent, eux aussi, une grande expertise.