Une preuve d’écoute électronique est rejetée par la Cour parce qu’elle aurait été obtenue de manière abusive
En février 2018 dernier, Leonardo Rizzuto et Stefano Sollecito, membres de la mafia montréalaise, se sont vu être exemptés des accusations de gangstérisme et de complot pour trafic de cocaïne qui pesaient sur eux. Il semble que les moyens employés par les policiers pour recueillir les éléments de preuve contre ces deux hommes ont été abusifs et intrusifs.
Lors d’une enquête massive qui s’est déroulée entre 2013 et 2015 et qui visait les organisations criminelles les plus importantes de la région montréalaise – Hells Angels, mafia, gangs de rue. Les enquêteurs ont frappés un mur lorsqu’ils se sont rendu compte que leur matériel de surveillance installé dans le bureau de l’ex-avocat Loris Cavaliere était défectueux, mais ils ont décidés de poursuivre l’opération comme prévu.
Permission d’installer du matériel d’espionnage
Me Loris Cavaliere était un avocat qui a représenté le clan Rizzuto pendant plusieurs années. L’escouade régionale mixte de lutte au crime organisé le soupçonnait d’ailleurs d’être affilié avec diverses organisations criminelles et ainsi de les renseigner et de les guider au mieux de ses compétences dans la poursuite de leurs activités. Leonardo Rizzuto était lui aussi criminaliste pour le même bureau, puis Stefano Sollecito en était client.
Ainsi, c’est à l’été 2014 qu’un juge permettra aux policiers de se rendre dans le bureau Cavaliere et Associés afin d’y installer à leur insu plusieurs caméras et microphones.
Sur une période de quatre mois, les policiers se sont introduits dans le cabinet sur le boulevard Saint-Laurent à Montréal à sept différentes reprises pour y installer ou effectuer des réparations de leur matériel.
Paru dans l’article de TVA Nouvelles
1. Les policiers ont fait leur première entrée dans l’immeuble abritant le cabinet Cavaliere et Associés le 15 juillet 2014. Les policiers commencent à installer du matériel audio dans la salle de conférence.
2. 20 août 2014 : Ils installent un micro dans la salle de conférence et un dans le bureau privé de Me Cavaliere
3. Nuit du 25 au 26 août 2014 : Ils commencent l’installation d’un micro dans la salle de réception
4. Nuit du 26 au 27 août 2014 : Ils complètent l’installation d’une caméra à la réception
5. Nuit du 2 au 3 septembre 2014 : Installation d’une caméra dans la salle de conférence et réparation d’un micro
6. 22 septembre 2014 : Un micro est installé dans le garage de l’immeuble
7. 28 octobre 2014 : Ils posent un microphone à la réception
Le signal interrompu
Il n’aura suffit que de quelques jours avant que les premiers problèmes techniques apparaissent avec la caméra installée dans la salle de conférence.
Selon le témoignage d’un agent de la GRC, les problèmes qui ont été rencontrés dans cette enquête seraient dus à une mauvaise transmission du signal entre les caméras et le serveur informatique de l’unité policière.
La caméra dans la réception du bureau est restée complètement figée de janvier 2015 jusqu’en novembre. Puis la caméra qui a été installée à l’entrée du cabinet afin d’identifier qui entrait et sortait a elle aussi eut des difficultés.
L’équipe a tenté de régler les multiples problèmes à distance, mais ça aura été en vain. Ils ont préféré ne pas retourner sur place afin de ne pas éveiller les soupçons et ainsi compromettre leur enquête.
Le secret professionnel bafoué
Après avoir faits l’écoute de plusieurs enregistrements électronique, le juge Downs a décidé de refuser toutes les conversations qui ont été obtenues dans la réception ainsi que la salle de conférence du cabinet d’avocats de Cavaliere et Associés.
«Malgré leur bonne foi, les acteurs impliqués dans la surveillance ont fait preuve d’une prudence insuffisante», écrit le juge Eric Downs dans la décision qu’il a rendu.
«Il va de soi qu’un cabinet d’avocats ne peut devenir une chambre forte permettant de mettre à l’abri des avocats ou d’autres personnes qui commettent des infractions criminelles.»
«Par contre, la salle de réception ou la salle de conférence étaient des lieux fréquentés par d’autres avocats et leurs clients. Ces derniers avaient le droit d’être pleinement protégés d’intrusions de l’État.»
Les caméras auraient été nécessaires à l’enquête. Puisque les agents effectuaient leur écoute à l’aveuglette, ils ont dû briser le secret professionnel qui protège le client qui souhaite discuter avec son avocat, dans le but de filtrer les différentes conversations et en ressortir ce qui leur importait.
Ainsi, comme l’a souligné le juge Browns, les enquêteurs ont priorisé leur objectif principal au nom de la loi tout en bafouant la relation privilégiée entre avocat-client.
Le renseignement et les limites techologiques
La technologie telle qu’on la connaît aujourd’hui est un atout pour le milieu policier. Notamment dans le domaine du renseignement, étant donné que la majeure portion de l’information circule maintenant dans différents serveurs un peu partout sur la planète. Puis cette information ne fait que croître, et de ce fait, elle se raffine. Cependant, lorsque cette information est recueillie à partir de sources privées – de ce qui est confidentiel – il faut être bien aux aguets pour rester dans un cadre légal. Les frontières sont beaucoup plus floues lorsqu’on navigue sur le web.
C’est d’autant plus important quand c’est une organisation de l’État qui agit, parce que dans ce cas-là, il n’y a pas place à l’erreur. Une opération d’envergure peut rapidement être bousillée lorsque les procédures ne sont pas respectées. Ce dossier d’enquête s’inscrira certainement dans la jurisprudence et servira d’exemple pour les prochaines opérations.