Des caméras corporelles pour le Service de Police de Toronto

Le Service de Police de Toronto a confirmé au début avril qu’il mettrait à exécution son projet de caméras corporelles dès décembre 2019. Jusqu’à tout récemment, plusieurs se demandaient si le projet allait bel et bien être mis en place car le coûteux projet pilote de presque un an conclu en 2016 était resté sur la table. Mais le 6 avril, l’on apprenait que la Police de Toronto irait de l’avant et comptait graduellement équiper deux milles policiers de ce gadget, processus qui pourrait prendre entre sept mois et deux ans.

 Les coûts du programme ont aussi été dévoilés, et ils sont assez surprenants : entre 40 et 45 millions de dollars échelonnés sur une période de 10 ans. Après le projet pilote de 500 000$, les dirigeants du service de police avaient convenu que la somme nécessaire pour un tel projet allait frôler les 85M$ sur 10 ans. Toutefois, grâce à l’avancement technologique rapide des dernières années, le budget accordé pour le projet a diminué de moitié. Le stockage des données vidéo pouvant maintenant être stockées sur un cloud sécurisé, les coûts administratifs reliés à l’archivage et au triage ont été grandement allégées.

   Le service de police assure que le port de body-worn cameras (BWC) sera un atout pour le travail des policiers et pour le public, puisqu’elles pourront éviter l’usage excessif de la force et augmenter le sentiment de sécurité des citoyens. Décrites comme des « témoins indépendants et impartiaux » dans le rapport du projet pilote, l’on pourra se servir des enregistrements vidéo afin de documenter adéquatement les interactions avec la communauté et d’autres informations pouvant être utilisés comme preuve en cour. Les caméras corporelles pourront aussi être utiles pour statuer du bien-fondé des plaintes émises contre les policiers, plaintes qui peuvent nuire à la réputation de l’organisation.

À la suite du projet pilote, quelques bémols étaient ressortis de l’expérience. Par exemple, la batterie des caméras ne durait que cinq heures, soit la moitié d’un quart de travail habituel, ce qui engendrait des mouvements complexes de matériel. Aussi, certains citoyens et organisations consultés au cours du projet ont soulevé le fait qu’il n’y avait aucun barème quant aux moments où les policiers devaient avoir leur caméra en marche. Puisque les policiers ont la possibilité de l’allumer ou l’éteindre à leur guise, plusieurs y voyaient un possible manque de transparence. Les policiers, eux, ont rapporté que le fait de porter ces caméras réduirait potentiellement l’utilisation de leur pouvoir discrétionnaire lors de leurs échanges avec les citoyens

Le syndicat des policiers et Mike McCormack, président de l’Association des policiers de Toronto, ont déclaré que de telles sommes devraient plutôt être dédiées à l’embauche de policiers parce qu’il manque d’agents sur le terrain. Les caméras corporelles sont donc un sujet plutôt controversé, surtout à cause de leur prix exorbitant. Malgré tous les bénéfices vantés de cet outil de travail et le support de la grande majorité de la population (rapport), il reste que cette technologie est très dispendieuse. La mise sur pied d’un tel programme monopolisera une bonne partie du budget annuel d’1 milliard de dollars, dont 89% est dédié aux salaires et avantages sociaux.

Au cours des dernières années, plusieurs organisations policières se sont munies de caméras corporelles, surtout aux États-Unis, or d’autres organisations ont décidé de ne pas entreprendre un tel projet. Par exemple, Halifax et Hamilton se sont montrés contre ce type de projet et la GRC a mis un frein à son future programme de caméras, lequel a donc été repoussé et mis sur pause pour l’instant. Les raisons principales pour la non-adoption de caméras corporelles sont non seulement le coût qui s’y rattache, mais aussi le fait que la technologie est plutôt récente et qu’elle n’a pas encore clairement fait ses preuves. Quelques universitaires se sont penchés sur la question, mais il est encore trop tôt pour statuer sur leur réelle efficacité et l’impact qu’elles peuvent avoir sur les interactions policier-citoyen.

Tout compte fait, il y a lieu de se demander si l’introduction des BWC manifeste un désir profond du Service de Police de Toronto d’améliorer les contacts avec la population ou s’il s’agit simplement d’un moyen d’assurer la bonne image du Service. Rappelons que dans les années précédentes, le Service a eu plusieurs plaintes et controverses, dont des accusations de profilage racial et de brutalité, ainsi que des images d’altercations policières sur le net et dans les médias ayant entraîné le soulèvement des citoyens. Chose certaine, quelques organisations policières attendent de voir le développement du projet pour Toronto afin de se faire une opinion sur le sujet. Il sera intéressant de suivre l’évolution de cette technologie au sein de la ville la plus populeuse du Canada.