Le traitement médiatique de l’affaire Adama Traoré

Une interpellation dont les circonstances demeurent floues
Le 19 juillet 2016, en France, Adama Traoré, 24 ans, et son frère Bagui sont interpellés par les forces de l’ordre suite à un contrôle d’identité en milieu de journée. Alors qu’Adama tentait d’y échapper, il fut plaqué au sol par trois gendarmes afin d’être maitrisé. Le jeune homme aurait dit à ce moment-là qu’il avait du mal à respirer.
Lors de son transfert au poste de gendarmerie, les forces de l’ordre font état d’un « comportement violent ». A son arrivée, il est inconscient, ce que confirme un pompier sur place, qui n’arrive pas à lui trouver de pouls. A la fin de l’après-midi, Adama est retrouvé au sol, à terre, les pompiers constateront son décès.
Dans quelles circonstances son décès est-il arrivé ?
Le contexte et les faits de l’affaire restent flous. Différentes parties s’opposent, et la sœur d’Adama Traoré, Assa Traoré, se bat depuis le décès pour faire reconnaitre que son décès n’est pas survenu à la suite d’un problème cardiaque préexistant.
L’autopsie réalisée après sa mort fait état d’un décès lié à un « syndrome d’asphyxie », alors que le Procureur de la République Yves Jannier évoque quant à lui un autre rapport avec de toutes autres conclusions. Il communique sur une pathologie cardiaque et une « infection grave », à l’origine du décès.
Une contre-autopsie sera réalisée le 28 juillet, confirmant à demi-mot la première version, car établissant une « absence d’anomalie cardiaque ».
En octobre 2018, une nouvelle expertise médicale est venue confirmer cette dernière version exonérant les gendarmes de toute responsabilité dans le décès.
L’orientation médiatique de l’affaire
La résonnance médiatique de cette affaire fut relativement faible en 2016. Depuis, des associations se sont créées, des actions et manifestations sont organisées par la famille d’Adama Traoré et surtout sa sœur, qui interpelle, toujours aujourd’hui, les journaux pour faire connaitre l’histoire de son frère. A la fin de l’année 2016, la maire de la ville où s’est déroulée l’interpellation a fait savoir qu’elle souhaitait porter plainte contre Assa Traoré pour diffamation. Celle-ci aurait insinué, lors d’un passage télévisé, que la maire aurait choisi son camp dans cette affaire, manifestement celui des gendarmes.
En juillet 2017, un an après le décès, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme a mandaté des experts pour interpeller la France sur ce dossier, comme sur deux autres victimes de violences policières.
La question de la répression, de la puissance policière et des violences comme de l’éventuel racisme engendré est centrale. Les violences policières représentent une problématique récurrente en France, encore plus depuis les dernières manifestations, comme l’évoque cet article. L’opinion publique française reste divisée sur la question. Certains trouvent légitime pour les policiers d’avoir le droit de recourir à un contrôle social formel ferme lorsque les manifestants face à eux se montrent particulièrement violents, d’autres estiment qu’il est inadmissible pour les forces représentant la puissance publique de faire usage de la force à l’encontre des citoyens qu’elle est censée protéger.
Pourquoi les médias adhèrent spontanément à la version policière ?
Le journal de TF1, chaine nationale télévisée très suivie, consacre quelques minutes à l’affaire lors du « 20 heures », le 30 juillet 2016. La présentatrice termine en concluant que « les deux autopsies réalisées sur ce jeune homme de 24 ans arrivaient aux mêmes conclusions, sa mort n’était pas due à des violences policières, mais ses proches continuent à en douter ». Pourtant, il est acquis par tous qu’une autopsie, acte médical, n’a pas à se prononcer ni à porter un jugement sur les agissements policiers.
Assa Traoré évoque la criminalisation dont sa famille entière fait l’objet par les médias – criminalisation impliquant un rapport de force, ne les traitant plus comme des victimes mais comme responsables de leur traitement, de ce qui leur ait arrivé. Leur passé judiciaire servant de fait justificatif aux violences.
Les médias ont également toujours tendance à être l’un des vecteurs des stéréotypes de la culture populaire, culture ayant comme penchant de pointer du doigt les jeunes de quartier en les stigmatisant de petits « voyous ».
Les chaines nationales françaises, dont font partie TF1 et France 2, n’ont accordé que très peu de minutes au sujet Adama Traoré, et l’ont catégorisé dans la section « faits divers ». Ils se sont positionnés plutôt en faveur des gendarmes, en refusant d’évoquer une version alternative des faits. Ce parti-pris résulte très certainement d’une dépendance historique. Devenir critique à leur endroit pourrait signifier ne plus recevoir d’informations directement de sources policières en instaurant un climat de défiance entre les deux institutions, ce qui n’est pas souhaité, ni par la police ni par les médias.
Pourtant, plusieurs mobilisations de soutien à la famille destinées à remettre en cause la version policière se sont tenues et ont toujours lieu, bientôt 3 ans après les faits.
Les quartiers populaires sont considérés comme des zones à part, comprenant un nombre conséquent de personnes criminalisées. La parole des habitants de ces quartiers apparait donc dévalorisée, n’ayant pas la même valeur que celle des forces de l’ordre. Cette orientation participe à maintenir un sentiment d’insécurité pour les habitants des quartiers populaires, comme pour les citoyens français.
Adama Traoré avait-il « mérité » ce traitement des gendarmes ?
Carl Klockars définit la police par sa force et son pouvoir de contrainte, par la coercition qu’elle utilise. Egon Bittner quant à lui développe ce point en affirmant que cette capacité de recours à l’autorité est dictée par les exigences de la situation : en l’occurrence, la saisie subjective, intuitive, de la tentative de fuite d’Adama Traoré lors de son interpellation par les gendarmes. C’est justement cette tentative de fuite, à laquelle s’ajoute le fait que les deux jeunes hommes étaient connus des gendarmes par des agissements passés, qui a légitimé le recours à la technique de plaquage pour neutraliser le jeune homme.
Un combat judiciaire
Le 3 avril dernier, Assa Traoré a déclaré sur France Info « Nous avons tous les éléments pour une mise en examen des gendarmes et pour arriver à un procès ». Elle a publié, le 27 mars 2019, un livre intitulé Le combat Adama. Sa vision reste inévitablement normative, n’ayant pas un regard objectif de la situation.
Début mars, une nouvelle expertise médicale, mandatée par le camp Traoré, est venue s’ajouter au dossier. Il y constate une mort par asphyxie.
La défense des trois gendarmes ayant réalisé l’interpellation affirme que « les parties civiles ont fait le choix d’une justice médiatique en communiquant à la presse un document censé discréditer l’expertise de synthèse confié à un collège d’experts judiciaires ».
L’interpellation médiatique par la famille Traoré est-elle une arme pour faire avancer l’enquête judiciaire ou au contraire, est-ce que leurs mobilisations apparaissent vaines comme ont tendance à faire croire les médias traditionnels ? On ne connait pas encore l’issue de cette affaire.
La « vérité »
judiciaire, se voulant empirique, basée sur des faits établis et non sur des
émotions, parlera peut-être un jour. Pour le moment l’instruction a clos le
dossier, et personne n’a été mis en examen.