Cyberattaques : Le Canada vulnérable selon le CST

Les prochaines élections fédérales arrivent à grands pas et plusieurs intervenants de divers milieux s’inquiètent face à la possibilité d’interférences de nations étrangères, et ce, à l’image des soupçons d’ingérence de la Russie dans les élections présidentielles américaines de 2016, qui ont donné lieu aux représailles diplomatiques entre ces deux puissances les plus importantes depuis la Guerre froide.

À cet égard, le Centre de la sécurité des télécommunications (ci-après « CST »), l’organisme fédéral qui assure autant les services intérieurs de sécurité des technologies de l’information que de renseignement étranger, a publié un rapport informatif intitulé Le point sur les cybermenaces contre le processus démocratique du Canada en 2019. Le CST estime que, étant donné que le Canada fait partie notamment du G7 et de l’OTAN, sa position peut avoir une influence sur les intérêts fondamentaux d’autres pays, de groupes étrangers et de particuliers influents. En conséquence, « les activités d’ingérence étrangère en ligne contre le Canada s’apparenteront fort probablement aux activités qui ont été menées contre d’autres démocraties avancées au cours des dernières années ». Il est bien de mentionner que, selon les critères du CST, le niveau « probable » signifie qu’il y a environ 60 à 70% de chances qu’une telle conjoncture se produise.

Dans cette publication, Le CST indique que le principal aspect du processus démocratique menacé par ces ingérences n’est pas l’institution électorale en tant que telle, par exemple par des attaques ciblées sur les infrastructures informatiques d’Élections Canada, mais relève plutôt de la manipulation idéologique des électeurs. Ces derniers « interagissent avec les partis politiques, les candidats et entre eux au moyen des médias sociaux et traditionnels [et les] auteurs de cybermenace [peuvent donc manipuler] l’information diffusée en ligne, souvent au moyen de cyberoutils dans les médias sociaux, pour influencer l’opinion et le comportement des électeurs ». Le CST identifie trois principales causes de cette nouvelle tendance à la « microingérence » ayant des conséquences politiques que l’on peut qualifier, à l’opposé, de macroscopiques. Tout d’abord, les médias sociaux sont devenus, depuis peu, l’une des principales sources d’information des électeurs. Ensuite, les nouvelles fausses et trompeuses sont devenues parfois difficiles à distinguer de celles découlant de sources fiables et légitimes. Finalement, selon le CST, il semble que les auteurs de ces cybermenaces aient l’impression que ce type d’ingérence par le ciblage des électeurs entraine peu de coûts et peu de risques. Ainsi, des adversaires étrangers tenteront « d’influencer les idées et les décisions des électeurs en cherchant avant tout à diviser l’opinion sur des enjeux politiques et sociaux, à promouvoir la popularité d’un parti en particulier ou à manipuler les déclarations publiques d’un candidat et ses choix en matière de politiques ».

Bien qu’en dehors de leurs relations directes avec les activités de policing, ce récent rapport du CST met tout d’abord en lumière l’important rôle des médias, tant sociaux que traditionnels, dans la société canadienne. Ceux-ci sont les principaux véhicules de la culture populaire et servent ainsi à modeler l’opinion des citoyens sur plusieurs sujets, qu’ils soient par exemple sur des questions politiques ou même policières. Généralement, ces courroies de transmission de renseignement offrent des réalités alternatives sur divers sujets, dont notoirement le monde criminel; cela découle cependant rarement d’actes intentionnels et délibérés de ces médias, mais plutôt d’une adaptation de l’offre d’information à une demande axée grandement sur le sensationnalisme, et ce, dans une réalité fondamentalement commerciale. Selon les récentes conclusions du CST, cette conclusion perd toutefois un peu de son caractère véridique et on peut donc donner raison à certains conspirationnistes, puisque notamment, selon le CST, « [d]epuis les élections fédérales de 2015, plus d’un adversaire étranger a manipulé les médias sociaux au moyen de cyberoutils pour propager sur Twitter des renseignements faux ou trompeurs sur le Canada, tout probablement pour créer un clivage entre les Canadiens ou miner les objectifs du Canada en matière de politique étrangère ». On peut par exemple penser à l’Internet Research Agency russe qui « continue de créer des sites web illégitimes pour y afficher des renseignements faux et trompeurs qu’il fait passer pour des blogues personnels ou du journalisme électronique indépendant ». Dans ces circonstances, le gouvernement fédéral étudie « très attentivement » la possibilité d’adopter des mesures législatives concrètes afin d’encadrer les géants comme Facebook, principal média social, dans la lutte contre l’ingérence politique étrangère, comme la collaboration volontaire de ces entreprises commerciales en ce sens est très minime.

D’un autre côté, la publication de ce rapport illustre parfaitement le complexe rôle du CST et l’enchâssement de cet organisme dans le policing de sécurité au Canada. Axés sur la production de sécurité et le renseignement extérieur, son mandat et ses pouvoirs sont énoncés dans la Loi sur la défense nationale qui affirme que les trois finalités poursuivies par le CST sont :

  1. acquérir et utiliser l’information provenant de l’infrastructure mondiale d’information dans le but de fournir des renseignements étrangers, en conformité avec les priorités du gouvernement du Canada en matière de renseignement;
  2. fournir des avis, des conseils et des services pour aider à protéger les renseignements électroniques et les infrastructures d’information importantes pour le gouvernement du Canada;
  3. fournir une assistance technique et opérationnelle aux organismes fédéraux chargés de l’application de la loi et de la sécurité, dans l’exercice des fonctions que la loi leur confère.

En d’autres mots, ses activités se résument donc à la protection du Canada « contre le terrorisme basé à l’étranger, l’espionnage étranger, les cyberattaques, l’enlèvement de Canadiens à l’étranger, les attentats visant nos ambassades ou toute autre menace grave provenant d’entités étrangères importantes, et ce, en vue d’aider à assurer la prospérité, la sécurité et la stabilité [du Canada] ». C’est le ministre de la Défense nationale, Harjit Singh Sajjan, qui émet des directives selon les enjeux très larges et variables affectant la sécurité et l’intégrité du pays, comme, par exemple, l’ingérence politique. C’est dans cette conjoncture factuelle, législative et institutionnelle que le gouvernement canadien a mis sur pied un groupe de travail ad hoc, dirigé par le CST et formé de représentants du Service canadien de sécurité (« SCRS »), de la Gendarmerie royale du Canada (« GRC ») et d’Affaires mondiales Canada, pour « aider le gouvernement canadien à évaluer et à contrer les menaces étrangères en vue des élections de 2019 ». C’est de ce regroupement qu’a émané le récent rapport informatif du CST qui a comme objectif de sensibiliser la population canadienne face à cette nouvelle problématique qui affecte l’intégrité démocratique de l’État