Le gouvernement de Doug Ford change la façon de contrôler la police en Ontario
Comme tout nouveau dirigeant, le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford tente de mettre à son image les institutions étatiques dont il est responsable. C’est dans cet ordre d’idées que le 19 février dernier, le gouvernement ontarien a présenté la Loi de 2019 sur la refonte complète des services de police de l’Ontario
Cette loi vient en réponse au rapport du juge Michael Tulloch sur son examen des organismes de surveillance de la police. Ce rapport avait été demandé par l’ex-première ministre Kathleen Wynne qui, l’année dernière, avait présenté la Loi de 2018 sur les services de police avant d’être battue aux dernières élections par Ford.
Dans son rapport, Tulloch a présenté 129 recommandations au gouvernement ontarien en mettant de l’importance sur la nécessité d’une plus grande transparence de la part de l’Unité des enquêtes spéciales (UES).
En plus du rapport de Tulloch, plusieurs groupes de pression dont « Black Lives Matter » demandaient plus de transparence de la part de L’UES, notamment suite à la décision de l’unité de ne pas porter d’accusations contre un policier qui a enlevé la vie d’un père de famille en 2015 à Toronto.
Bien que la nouvelle refonte soit similaire à celle des libéraux, elle comporte certaines différences pouvant influencer le travail des organismes chargés d’encadrer le travail policier.
En premier lieu, le gouvernement Ford semble vouloir être plus « gentil » avec les policiers. En effet, en opposition aux libéraux qui étaient considérés comme « hostiles » envers les forces de l’ordre, la nouvelle refonte semble vouloir pencher du côté des policiers.
« Le gouvernement veut être vu comme prenant parti pour les policiers ».
– Akwasi Owusu-Bempah, professeur au Département de sociologie de l’Université de Toronto.
Dans l’optique d’être moins sévère envers les policiers, le nouveau projet de loi vise, entre autres, à diminuer les peines pour les agents de police qui ne collaborent pas aux enquêtes de l’UES. Sous le régime libéral, un policier refusant de collaborer à l’enquête était passible d’une amende de 25 000 $ pour une première infraction et de 50 000 $ dans le cas d’une récidive. Il était également possible qu’une peine d’emprisonnement d’un an soit infligée aux policiers fautifs. Dans la refonte des progressistes-conservateurs, ces peines baissent à 5000 $ pour la première infraction et à 10 000 $ pour la deuxième.
Ces peines pour les agents ne collaborant pas aux enquêtes de l’UES viennent en réponse à la recommandation de Tulloch qui proposait de « prévoir une infraction provinciale en cas de non-collaboration à une enquête de l’UES, passible d’une amende, d’une peine de prison ou de l’une et l’autre de ces deux peines ». Selon plusieurs analystes, il y a un grand problème de non-collaboration chronique chez les policiers ontariens.
La nouvelle loi présentée par le gouvernement ontarien comporte également une réorganisation des organismes surveillant les activités policières. Premièrement, le Bureau du directeur indépendant de l’examen de la police (BDIEP) sera remplacé par l’Agence des plaintes contre les forces de l’ordre. Ce changement de nom a pour but de clarifier le mandat de l’organisme auprès du public.
Cette nouvelle agence aura comme mandat de recevoir les plaintes du public, examiner leur fondement et déterminer si elle fera elle-même l’enquête ou si le dossier sera envoyé à un autre corps de police.
Ensuite, les progressistes-conservateurs ont décidé d’abolir la Commission civile de l’Ontario sur la police, une autre des recommandations de Tulloch, étant donné que le mandat de la commission n’était pas efficace.
En dernier lieu, la nouvelle loi oblige l’UES à justifier ses enquêtes dépassant 120 jours. Bien que l’UES devra donner une justification pour les dépassements de délais, il ne s’agit cependant pas d’une durée maximale à l’enquête. Les investigations peuvent dépasser la période de 120 jours si les raisons expliquant ce délai sont raisonnables.
Outre les différences apportées par le gouvernement Ford, celui-ci conserve tout de même certains éléments du projet de loi de son prédécesseur, notamment en matière de personnes portées disparues et pour les services de police des Premières Nations.
Les changements à la législation seront-ils suffisants pour améliorer les enquêtes de l’UES ?
Bien que les changements apportés par le gouvernement de Doug Ford ne touchent pas directement les policiers, ces derniers en sont la cause. En effet, le rapport de Tulloch avait principalement pour but de rendre le processus d’enquête plus transparent quant aux inconduites des policiers et de favoriser la collaboration des policiers à l’enquête.
Bien que les nouvelles dispositions semblent donner un peu plus de poids aux policiers que dans la présentation des libéraux, il se pourrait bien que ce ne soit pas suffisant pour avoir un impact marqué sur la réalité policière. Même si on semble vouloir amadouer les policiers, la culture policière ne changera pas du jour au lendemain. Il est peu probable que les nouvelles dispositions puissent venir contrebalancer la fraternité des policiers qui ne sont pas portés à dénoncer ou à témoigner contre un collègue.
Malgré la volonté d’améliorer l’efficacité de l’UES, si les policiers refusent de témoigner sur l’agissement de leurs collègues, les changements à la loi n’amélioreront pas le travail d’enquête.
– Akwasi Owusu-Bempah, professeur au Département de sociologie de l’Université de Toronto.
Malgré les efforts importants des gouvernements et le rapport de Tulloch, il est assez peu probable que les policiers acceptent un jour de se dénoncer entre eux. En effet, il existe à l’intérieur des corps de police une solidarité interne et un sentiment d’appartenance qui empêchent les policiers de se dénoncer entre eux. De plus, cette sous-culture typique aux policiers les rend souvent assez méfiants face au monde extérieur et peut forcer les membres de ces organisations à garder les secrets de leurs interventions et sur les écarts de conduite de leurs collègues.
En résumé, les nouvelles dispositions de la Loi de 2019 sur la refonte complète des services de police de l’Ontario pourraient bien être inefficace dans l’optique de rendre plus efficace les enquêtes de l’unité des enquêtes spéciales, puisqu’elles ne sont pas en mesure de contrer la culture policière forte et l’esprit de corps régnant dans le milieu policier.