Le policing par les réseaux sociaux

Le 15 mars dernier, un tireur unique a ouvert le feu dans deux mosquées à Christchurch en Nouvelle-Zélande. Le bilan de près de 50 personnes fait de ce massacre le plus grave de l’histoire du pays. La particularité de cette fusillade est que le terroriste d’extrême droite a « livestream » sur Facebook l’attaque de bout en bout jusqu’à son arrestation, exposant à la vue de tous des exécutions de sang froid.

Un paria des fins fonds du Web surfacique

Brenton Tarrant, auteur des tueries est un utilisateur récurrent de imageboards anonymes de piètre réputation tels que 4chan et 8chan. Juste avant qu’il n’exécute ses actes macabres, il aurait publié sur 8chan, dans la section politique son manifeste de revendication de 74 pages, déballant une idéologie d’extrême droite, évoquant un prétendu « grand remplacement » voulu par les élites politiques en submergeant le pays de réfugiés. Dans sa publication, Brenton exprime explicitement ses intentions de passer à l’acte et redirige les autres utilisateurs anonymes vers son Facebook où il allait diffuser en direct le massacre.

Brenton Tarrant en Livestream sur Facebook

Ce n’est pas pour la première fois que lesdits imageboards se retrouvent en plein milieu de la scène médiatique. En effet, l’infâme 8chan était au coeur de #Gamergate en 2014 où ses utilisateurs ont été accusés de l’harcèlement de femmes journalistes en jeux vidéos. De surcroît, le Daily Dot révèle lors de ses recherches sur #Gamergate que l’imageboard serait également un réseau de pédophiles.

De fait, il y a lieu de se questionner sur l’impuissance des autorités étatiques face à ces groupuscules détourant l’anonymat de l’Internet à leur avantage.

Une surveillance étatique limitée du World Wide Web

L’Internet, mis en place en 1989 est vaste, en effet, à ce jour il y a près de 6 milliards de pages web indexées. De fait, il est humainement impossible pour des autorités étatiques veiller en temps réel à ce qu’il n’y ait aucune infraction commise sur l’ensemble de ces pages. En plus, le Web surfacique accessible au commun des mortels ne représente que la pointe de l’iceberg du WWW. En effet, il y a encore 90% de pages appartenant au « Deep Web » non indexées par les moteurs de recherche classiques tels que Google qui seraient l’équivalent de la haute mer où il n’y aurait ni loi ni maître.

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Ce n’est pour autant dire que la communauté policière internationale est complètement désemparée face à la situation. En effet, le FBI et Homeland Security sont parvenus à fermer la Silk Road, un marché noir du Dark Web. Cependant, il faut retenir que l’arrestation n’a été possible que par les multiples erreurs commises par le propriétaire du site.

En court, une chose est certaine, tant qu’un utilisateur parvient à préserver son anonymat, que ce soit au travers de Virtual Private Networks (VPN) et de faire attention à ne pas dévoiler sa véritable identité, l’Internet demeurera un refuge de bien des malfrats.

Des fondements légaux en faveur des groupuscules

Pour revenir aux fusillades de Christchurch, il est à rappeler que tout cela se déroule sur le Web surfacique, sur la partie indexée du Web qui est accessible par Monsieur Toutlemonde. De fait, il y a lieu de se questionner sur le manque de surveillance par les autorités étatiques des imageboards alors que ces-derniers catalysent des idéologies d’extrêmes. Puis, par extension de se demander pourquoi les gouvernements n’ont pas tout simplement fermé ces sites Internet.

Premièrement, ces imageboards sont divisés en nombreuses catégories, outre la section politique, les utilisateurs de ces sites ont le loisir de discuter de la musique, de la cuisine, du bricolage et tout cela de manière anonyme. De fait, une majorité de cette communauté, bien qu’elle adhère à une sous-culture de l’Internet quelque peu douteuse qu’on désigne communément de « Shitposting », elle demeure inoffensive. Le Monde serait peut être un meilleur endroit si ces sites venaient à être fermés; cela dit, dans les sociétés démocratiques actuelles, la liberté d’expression demeure fondamentale. En effet, il y a lieu de punir les actes criminels mais pas les pensées criminelles.

Deuxièmement, les autorités ne peuvent justifier la fermeture d’un site par les seuls méfaits de quelques utilisateurs. En effet, les imageboards, bien qu’ils soient de mauvais goût font toujours partie du Web Surfacique et adhèrent à un ensemble de règles dont les administrateurs tentent de faire respecter du mieux qu’il peuvent. Par analogie, il reste difficile à justifier la fermeture d’une boîte de nuit par la simple présence de vendeurs de drogues dans les toilettes de celle-ci. De surcroît, si les autorités venaient à fermer ces sites, cela n’élimine pas le problème car ces extrêmes marginalisées pourront toujours se réfugier dans la partie non indexée de l’Internet où la surveillance est d’autant plus difficile à mettre en place.

Puis en ce qui concerne la surveillance sur Facebook, le site de Mark Zuckerberg relève de l’autorité d’une compagnie privée. Les autorités étatiques ne peuvent légalement accéder librement aux données privées circulant sur le site. Cela dit, le géant de Silicon Valley coopère activement avec les gouvernement pour mettre fin à toute infraction se déroulant sur le site. Cependant, malgré une technologie I.A de pointe et une armée de modérateurs, le terroriste de Christchurch a pu diffusé pendant près de 17 minutes son massacre.

En conclusion, l’attaque de Christchurch motive la Nouvelle-Zélande à durcir leur législation sur les armes à feu. Cela dit, il y a peut être lieu d’améliorer et de promouvoir une meilleure surveillance de l’Internet. Toutefois, le juste équilibre entre un Internet sûr et un Internet censuré est une pente savonneuse.


Source photo de couverture : https://www.cbc.ca/news/technology/new-zealand-mosque-shooting-attack-video-offence-1.5060739