« Viol au 36 »: éclairage sur l’IGPN

Au siège de l’Inspection générale de la police nationale, à Paris. Le Parisien/Yann Foreix

La condamnation de deux policiers français le 31 janvier 2019 suite à des accusations de viol perpétré en 2014 sur une canadienne au 36, quai des Orfèvres à Paris, a fait l’effet d’une bombe dans le paysage médiatique et policier français.

Si les deux accusés ont été reconnus coupables et condamnés à 7 ans de prison ferme, l’attention a notamment été portée au niveau de l’Inspection Générale de la Police Nationale, ou IGPN. Cette « police des polices » est en charge d’enquêter sur les dérives au sein des forces de police qu’il s’agisse d’accusations de violences, d’abus de pouvoir, de viol au sein des forces de l’ordre… toutes sortes de bavures policières. Elle compte 268 agents, et s’est récemment vue enquêter sur les blessures constatées sur des manifestants ou encore l’interpellation massive de lycéens à Mantes-la-Jolie.

Si le dossier d’instruction est lancé au matin du 23 avril 2014, l’enquête, aussi complexe que sensible, se heurte à de nombreux manquements, notamment en ce qui concerne le recueil de preuves et d’échantillons sur les lieux. En cause, une soirée très alcoolisée au sein du service qui aurait abouti au viol, et ne laissant que des témoins embrouillés et peu fiables.

«J’ai regretté de ne pas être saisie immédiatement.»

Déclaration à la barre de Madame la Commissaire de l’IGPN en charge de l’enquête, propos retranscrits par La Dépêche.

Les suspects sont alors écroués, puis finalement relâchés de prison le jeudi 7 mars 2019.

Mais la complexité d’enquêter au sein même des rangs de la police nationale témoigne de l’esprit de corps qui règne au sein même des institutions policières. La solidarité interne, qui n’est en rien une caractéristique exclusive française, pousse souvent les collègues des suspects à cacher ou à minimiser les fautes de ces derniers.

La sollicitation de l’IGPN en forte hausse

Les manifestations hebdomadaires qui touchent la France depuis novembre sont le terrain de violences aussi bien à l’encontre des policiers, qu’à l’encontre des manifestants. De nombreux signalements d’abus ont été recensés, ce qui a abouti à un record de 133 plaintes déposées à l’encontre des forces de l’ordre, chiffre annoncé par Christophe Castaner, Ministre de l’Intérieur sur France Inter.

Les signalements les plus nombreux concerneraient les dérives d’utilisation du LBD 40, un lanceur de balles de défense pour désencercler des individus violents se montrant particulièrement hostiles. Cependant, la dangerosité de l’arme veut que ni le visage, ni les parties génitales ne soient visées et qu’aucun tir ne soit effectué à moins de dix mètres d’une cible. Toutefois, les nombreux cas d’yeux gravement blessés et éborgnés ont mené à une recrudescence des enquêtes confiées à l’IGPN, ainsi qu’à un cri d’alarme de nombreux ophtalmologues français.

« L’IGPN a reçu sur sa plateforme 200 signalements et elle est aujourd’hui saisie par l’autorité judiciaire de 78 dossiers. »

Éric Morvan, Patron de la Direction Générale de la Police Nationale (DGPN), sur France Inter.

Pour de nombreux médias, comme c’est le cas de Mediapart, la relation qu’entretient l’IGPN, directement sous la direction du Ministère de l’Intérieur, avec le gouvernement, serait un biais énorme dans l’aboutissement de ces affaires. L’ancienne « cheffe » de l’IGPN, Marie-France Monéger, se défend de n’avoir subi aucune pression politique au cours de ses 6 années à la tête de l’institution.

Extrait du rapport annuel de l’IGPN, 2017. À noter la faible recension des armes de défense, contraste avec les années qui suivent.

Un intérêt nouveau pour l’IGPN ?

Les affaires de violences policières de ces dernières années ont aussi abouti à des enquêtes internes menées par l’IGPN. Adama Traoré, l’affaire « Théo »… les cas de violences policières de ces dernières années, bien que médiatisés, ont constitué des atteintes profondes au sein des communautés (et des minorités) dont les victimes étaient issues. Cependant, l’émoi suscité par ces violences ayant entraîné jusqu’à la mort, n’a pas entraîné une indignation populaire aussi massive que celle des « Gilets Jaunes ». Doit-on en conclure que les minorités sont plus « enclines » à être victimes de violences policières et que ces dernières tendent à être normalisées ?

En 2017, le rapport annuel de l’IGPN a recensé plus de 800 cas avérés de fautes professionnelles et manquements à la loi au sein des forces de polices françaises.

Extrait du rapport annuel de l’IGPN, 2017

Si le rôle des forces de police se classe en priorité dans le « maintien de l’ordre », la discipline et l’ordre au sein même des rangs est indispensable afin de pouvoir mener efficacement ces missions et identifier les formes ostentatoires de désordre. Cependant, il ne faut pas négliger que si l’institution policière est indispensable dans une société moderne, sa perception par le reste de la société légitime son action autant qu’elle peut fermement la condamner.

Il ne faut pas non plus considérer que la France est une exception en ce qui concerne la surveillance de ses effectifs policiers. Les États-Unis, où le nombre de bavures policières surpasse la France de loin, surtout envers les minorités visibles, sont dotés de plusieurs « polices des polices ». Les organes de contrôle sont nécessaires dans tous types d’institution, c’est ce qui assure la pérennité de ces dernières ainsi que leur bon fonctionnement.

Enfin, si le « Viol au 36 » a permis de remettre sur le devant de la scène le travail de l’IGPN, il y a fort à parier que le climat de méfiance envers les forces de l’ordre qui règne actuellement en France verra une augmentation progressive des plaintes auprès de la « police des polices », mais ces plaintes seront-elles déposées pour les bonnes raisons ?

Matteo Crance