Meurtre de Daphné Huard-Boudreault : Pas d’accusation contre les policiers

Le 22 mars 2017, la jeune Daphné Huard-Boudreault est assassinée dans une maison de Mont-Saint-Hilaire, en banlieue de Montréal. Son ancien copain, Anthony Pratte-Lops, est rapidement arrêté et accusé de meurtre prémédité suite à une courte enquête menée par la Sûreté du Québec. Son procès se déroulera en avril prochain.

La trame factuelle préalable à ce drame, qui a grandement circulé dans les médias, a choqué, non pas uniquement par les actions de M. Pratte-Lops, mais également par celles des policiers. Il a été reconnu que Mme Huard-Boudreault a rencontré des policiers de la Régie intermunicipale de police Richelieu/Saint-Laurent le matin du drame puisqu’elle craignait les menaces de son ancien copain de nature violente, suspicions qui se sont avérées, au final, malheureusement fondées. Aucune action préventive n’a toutefois été prise par les policiers rencontrés. Dans cette conjoncture, le Bureau des enquêtes indépendantes (« BEI ») a été mandaté par le ministre de la sécurité publique, en vertu de la Loi sur la police, pour examiner le travail de ces agents, afin de déterminer si l’intervention a été conduite adéquatement et si les faits pouvaient démonter des actes de nature criminelle. Le BEI a dernièrement remis son rapport au Directeur des poursuites criminelles et pénales (« DPCP »), qui est arrivé à la conclusion que la preuve ne révélait pas d’action de nature criminelle et donc de matière pour intenter des poursuites judiciaires de cette nature.

Cet article mettra en lumière la procédure suivie par le BEI, jusqu’à la remise de son rapport au DPCP.

Comme son nom l’indique, le BEI est une institution indépendante qui a comme mandat de superviser les pratiques policières au Québec. Il s’agit ainsi d’un moyen concret, principalement réactif, de gouverner et d’encadrer la conduite des corps policiers sous l’égide de la compétence provinciale.

Selon les articles 289.5 et suivants de la Loi sur la Police, le BEI est composé de 34 enquêteurs nommés pour un mandat de cinq ans par le gouvernement en poste. Ces derniers sont paritairement d’anciens agents de la paix, qui ne sont plus à l’emploi de corps de police, et des personnes n’ayant jamais eu ce statut, comme des avocats ou d’anciens juges. Selon le BEI, ce jumelage a comme objectif fondamental d’apporter des points de vue différents et de garantir l’impartialité de cet organisme, caractère qui est plus que nécessaire au maintien de la confiance du public envers cette institution en charge d’enquêter sur la police. Ces enquêteurs forment quatre équipes de travail dont trois sont chargées des enquêtes indépendantes, tandis que la dernière est spécialisée dans les enquêtes criminelles découlant d’allégations de nature sexuelle.

En vertu de l’article 289.1 de la Loi sur la Police, une enquête indépendante du BEI est généralement déclenchée suite à un événement particulier établi par cette même loi et les règlements qui la précise. Par exemple, une enquête sera entamée lorsqu’il y a décès d’une personne, autre qu’un policier en devoir, dans le cadre d’une une intervention policière, ou lorsque le BEI reçoit des allégations crédibles relatives à une infraction à caractère sexuel commise par un policier dans l’exercice de ses fonctions. Toutefois, l’article 289.3 prévoit que, exceptionnellement, « [l]e ministre [de la sécurité publique] peut également, dans des cas exceptionnels, charger le Bureau des enquêtes indépendantes de mener une enquête sur tout événement, autre que celui visé à l’article 289.1, impliquant un agent de la paix et ayant un lien avec ses fonctions ». C’est en vertu de cette dernière disposition qu’avait lieu l’enquête du BEI sur le travail des policiers préalablement au décès de Mme Huard-Boudreault, comme l’intervention policière n’est pas directement en cause dans cette affaire, mais bien, au contraire, la non-intervention. La procédure reste toutefois la même, peu importe la source législative du déclanchement de l’enquête.

Donc, dès le départ de l’enquête indépendante, un superviseur du BEI s’assure de dépêcher des enquêteurs de son équipe sur la scène de l’événement et que les lieux de l’évènement soient sécurisés d’ici là. À leur arrivée sur les lieux, les enquêteurs s’affairent à recueillir la preuve, qu’elle soit de nature matérielle ou par des témoignages pertinents. À cet égard, il est bien de mentionner que le Règlement sur le déroulement des enquêtes du Bureau des enquêtes indépendantes oblige les policiers impliqués à collaborer avec les enquêteurs du BEI. Cette cueillette de preuve se déroule, à l’instar du travail traditionnel des enquêteurs de corps de police, sur une longue période de temps hors des lieux de l’événement également.

Lorsque que l’enquête est terminée, un rapport est remis au superviseur du BEI et lorsque que celui jugé final, il est transmis au DPCP. C’est ce dernier qui décidera alors s’il y a matière ou non à porter des accusations criminelles contre le ou les policiers impliqués. Dans la situation qui nous intéresse, le DPCP a décidé que la preuve n’était pas propice à de telles accusations et il n’y aura donc pas de procédures judiciaires subséquentes, par exemple, pour négligence criminelle. Il importe de mentionner que comme il y a eu décès, le rapport sera remis également au Bureau du coroner afin de voir s’il y lieu d’émettre certaines recommandations pour assurer la protection de la vie humaine. Comme le mentionne la présidente d’un regroupement civil, «[c]e n’est pas la première fois qu’une femme est tuée par son conjoint peu après avoir demandé la protection de la police. Pour éviter d’autres morts, il est nécessaire d’identifier les mailles dans le filet de sécurité et d’améliorer la pratique policière».

Ce qui ressort principalement de la procédure suivie par le BEI, c’est qu’il s’agit véritablement du policing de la police; les enquêtes sont menées en partie par d’anciens policiers et elles cheminent de manière identique à une enquête criminelle vers le DPCP. Comme le dit Stéphane Berthomet, dans son ouvrage Enquête sur la police, l’objectivité et l’impartialité des enquêteurs sont alors d’une importance capitale, étant donné que leur rapport sera la pierre angulaire des décisions du DPCP et du coroner. Dans cet ordre d’idée, il convient de se demander si la présence d’anciens agents de la paix est réellement nécessaire au bon fonctionnement du BEI, et ce, au détriment de l’apparence d’impartialité de l’organisme. Le BEI n’aurait-il pas avantage à se détacher complètement de ce corps de métier pour assurer sa crédibilité et son indépendance ?