Le directeur de la SQ, Martin Prud’homme, relevé de ses fonctions en raison d’une allégation relative à des infractions criminelles

Le 6 mars 2019, lors d’une conférence de presse, la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, a annoncé que le directeur de la Sûreté du Québec (SQ), Martin Prud’homme, serait temporairement relevé de ses fonctions en raison d’une allégation relative à des infractions criminelles, le temps que le Bureau des enquêtes indépendances (BEI) puisse faire la lumière sur les évènements. Toutefois, la ministre avait alors refusé de donner des détails quant à la nature de ladite allégation.

Par cette suspension, Mme Guilbault affirme vouloir « rassurer la population » et « préserver la confiance du public » en l’institution policière.

La ministre a également tenu à préciser qu’il ne s’agissait pas d’une accusation, mais d’une simple allégation, et qu’aucune arrestation n’avait eu lieu. Ainsi, la suspension n’est qu’une mesure préventive.

La structure de l’organisation a donc été modifiée, selon la décision du Secrétariat aux emplois supérieurs. Pendant la durée de l’enquête, l’intérim sera assuré par Mario Bouchard, qui était le directeur adjoint de la SQ. TVA Nouvelles nous rapporte que deux jours plus tard, la ministre a confirmé que Prud’homme pourrait probablement retrouver ses fonctions s’il était blanchi à l’issue de l’enquête.

LES FONCTIONS DE PRUD’HOMME

Martin Prud’homme, titulaire d’un dossier « sans taches », a toujours été très reconnu dans le monde policier. Ancien sous-ministre à la Sécurité publique, il a été nommé directeur général de la SQ en 2014. Étant reconnu pour sa gestion efficace, le gouvernement lui donna le mandat, de 2017 à 2018, d’aller remettre l’ordre au SPVM, alors affecté par des guerres de clans et des lacunes de gestion.

LE BEI ET SON ENQUÊTE

TVA Nouvelles rapporte que les allégations qui pèsent contre Prud’homme concerneraient les fuites d’informations confidentielles aux médias dont avaient fait l’objet deux enquêtes de l’Unité permanente anticorruption (UPAC) : Mâchurer et le Projet A.

Rappelons que le BEI avait été mandaté par le gouvernement caquiste pour faire la lumière sur les allégations de fuites médiatiques et avait ainsi entamé une chasse aux sorcières. Dans cette saga, on se souviendra de l’arrestation du député libéral Guy Ouellette.

Le BEI a comme mission d’enquêter de manière impartiale et objective les policiers et leurs agissements dans le cadre de leur travail. Son mandat est notamment de faire la lumière sur « toute allégation relative à une infraction criminelle commise par un policier ». Tel que le rappelle Le Soleil, Prud’homme a lui-même contribué à la création de l’organisme gouvernemental lorsqu’il occupait la fonction de sous-ministre.

Le rôle du BEI en l’espèce est donc de faire la gouvernance de la déviance policière. Il est une institution civile qui permet de surveiller les activités policières. En effet, son mécanisme de surveillance est assuré par des membres qui ne sont pas ou plus policiers et donc l’organisme est entièrement indépendant de la police.

Si les faits allégués s’avéraient vrais, on pourrait probablement affirmer que le Directeur général de la SQ aurait commis des actes de corruption de type de « mauvaise conduite », puisqu’il aurait violé les règles internes de l’organisation policière qui l’empêchent de couler des informations confidentielles dans les médias.   

LES ENQUÊTES DE L’UPAC ET LES LIENS FAMILIAUX DE PRUD’HOMME

Radio-Canada explique que l’enquête Mâchurer avait pour objet le financement du Parti Libéral du Québec, visant particulièrement Jean Charest et Marc Bibeau. De son côté, le Projet A visait à trouver qui aurait pu transmettre des informations confidentielles aux médias.

L’ex-patron de l’UPAC, Robert Lafrenière, à l’automne 2017, avait énoncé son désir d’épingler le responsable des fuites sur les enquêtes de l’UPAC. À ce moment, Prud’homme était marié à la fille de Lafrenière, tel que l’explique Le Journal de Québec. Des inquiétudes ont déjà été soulevées face à ces liens familiaux, comme le rapporte Radio-Canada.

À l’époque de l’enquête, Prud’homme ne faisait pas partie des quatre suspects, qui étaient le député Guy Ouellette (ancien policier), l’entrepreneur Lino Zambito et deux policiers de la SQ prêtés à l’UPAQ. Aucun d’entre eux n’a finalement été accusé. Notons toutefois que Prud’homme avait été rencontré à deux reprises afin d’expliquer ses contacts et son amitié avec Guy Ouellette. En effet, le mandat de perquisition exécuté au domicile du député avait révélé que ce dernier ainsi que le patron de la SQ se parlaient sur une base régulière. Or, à la suite d’une contestation judiciaire, les mandats ont été déclarés invalides et la preuve recueillie a ainsi été jugée inadmissible.

UNE HISTOIRE QUI SE RÉPÈTE

Ce n’est pas la première fois qu’un haut placé d’un corps policier québécois se retrouve dans la position de Prud’homme, comme le rappelle TVA Nouvelle. Souvenons-nous qu’en 2012, Richard Deschênes (patron de la SQ) a perdu son poste à cause de l’utilisation de fonds secrets. En 2018, Philippe Pichet (patron du SPVM) a dû quitter ses fonctions à la suite d’un rapport dévastateur fait à son égard. Finalement, en octobre 2018, c’est Robert Lafrenière (patron de l’UPAC) qui a dû remettre sa démission.

DEUX AUTRES SUSPENSIONS

La Presse et Radio-Canada rapportent que dans cette foulée, deux autres policiers qui étaient à l’époque affectés aux enquêtes de l’UPAC seraient assignés à des tâches administratives. Selon plusieurs sources, on parle de l’inspecteur André Boulanger, l’ex numéro deux de l’UPAC, et de la lieutenant Caroline Grenier-Lafontaine. Toutefois, comme pour Prud’homme, on ignore leur implication exacte dans l’affaire.

LA CONFIANCE DU PUBLIC

« Les circonstances ayant mené à la suspension temporaire de M. Prud’homme soulèvent beaucoup de questions au sein de la population. Il est essentiel que le public puisse avoir des réponses rapidement. La situation est préoccupante et il est primordial que la lumière soit faite afin de maintenir la confiance du public envers ses institutions. » Voilà les propos rapportés par la porte-parole de l’opposition officielle libérale en matière de Sécurité publique, Christine St-Pierre.

Il s’agit d’un élément important qui a été soulevé ici, puisque la crédibilité de l’institution policière ainsi que de ses dirigeants peut être gravement atteinte par cet évènement. La confiance du public est primordiale pour le bon fonctionnement des activités policières. Tout en restant transparente, l’institution se doit de maintenir et de démontrer aux yeux du public une indépendance non seulement face au pouvoir politique, mais également à l’égard du pouvoir médiatique.