Craig Ruthowski perd enfin sa paie… et bien plus…

Craig Ruthowsky, un policier de 44 ans à Hamilton fut non seulement acclamé pour son ratio élevé d’arrestations, pour son bilan, sans précédent, en matière de saisies d’armes à feu et de drogues illégales, mais encore il fut acclamé pour ses nombreux exploits très gratifiants pour le policier.

Notamment, le vétéran policier de 17 années de service fut parlé de lui lorsqu’il a sauvé la vie d’un collègue de travail lors d’une arrestation pour trafic de drogue. Craig a dû faire feu sur un jeune homme de 18 ans alors qu’il a brandi son arme à feu au moment de l’arrestation. Heureusement pour tous, le jeune homme a survécu à ses blessures et l’intervention de l’agent Ruthowsky a été approuvée par le Special Investigations Unit. En plus d’avoir réalisé de nombreux actes héroïques de la sorte, Ruthowsky était un excellent enquêteur, par son efficience à repérer et retirer tout danger public. Que ce soit par des saisies de drogues, d’armes à feu ou pour arrêter des criminels, Ruthowsky était exemplaire. Cette efficience lui est due grâce à l’entretien d’un large réseau d’informateurs de police confidentiels (de la rue) auquel il se référait pour l’aider à faire cheminer ses enquêtes.  

Malheureusement pour lui, sa carrière exemplaire s’assombrit en juin 2012. Ruthowsky fut suspendu (avec paies) de ses fonctions dans la Hamilton Police – guns and gangs unit quand sa relation avec un de ses informateurs de la rue est devenue le sujet d’une enquête criminelle menée par son propre corps de service. C’est donc en novembre 2012 qu’il a été arrêté pour entrave à la justice et pour abus de confiance. Trois mois passent et le policier reçoit le compte rendu officiel des charges portées contre lui, pour une multitude d’infractions criminelles différentes entre 2009 et 2012, en voici un exemple : l’homme a été accusé d’avoir omis de déclarer de l’argent ou d’autres biens obtenus dans le cadre de plusieurs saisies. Plus tard, en octobre 2013, la couronne prend la décision de suspendre toutes charges criminelles contre Ruthowsky, car le procès pourrait révéler l’identité d’informateurs confidentiels importants dans plusieurs enquêtes en cours et ainsi compromettre leur sécurité.

Project Pharaoh: un coup de circuit policier!

Le 5 juin 2015, l’aboutissement d’une enquête d’envergure longue d’un an et demi « Project Pharaoh », impliquant 700 agents de la GRC, de la police provinciale d’Ontario, de la police de Toronto, de York et de Hamilton, mena à l’arrestation de 45 personnes ayant été mis sous mandat de perquisition pour leur implication dans un groupe criminel. Celui-ci, au nom de « Monstarz », opérait dans un secteur au nord-ouest de la ville de Toronto. Selon le chef de la police de Toronto, Jim Ramer, ce fut une importante arrestation pour la sécurité publique de ville de Toronto parce que les Monstarz représentaient un véritable danger pour la communauté. Selon Ramer, les Monstarz auraient été impliqués dans 44 crimes à caractères particulièrement violents depuis mai 2011, tels que : des vols, des fusillades, des homicides et du trafic de drogues et d’armes à feu. Le bilan sommaire des saisies lors des arrestations des membres du groupe criminel est impressionnant : une valeur de 3.8 millions $ en drogues (cocaïne et héroïne), 14 armes à feu et environ 200 000$ en argent, en plus de quelques véhicules.

Évidemment, Craig Ruthowsky comptait parmi les 45 membres du groupe arrêté. En effet, c’est le 4 juin que l’agent suspendu fut arrêté pour des charges non directement reliées à celles portées contre lui précédemment. Plusieurs preuves ont mené à son arrestation, entre autres un enregistrement d’une conversation téléphonique entre Craig et un trafiquant de cocaïne. Cette fois-ci, les charges déposées justifiant son arrestation étaient reliées à sa participation dans les activités d’un groupe criminel et aussi pour s’être impliqué dans le trafic de cocaïne. Cependant, lors de sa caution, un témoignage, vient lui valoir deux chefs d’accusation supplémentaires : corruption et entrave à la justice.

Le témoignage d’un trafiquant de cocaïne, dont l’identité a été protégée, a révélé qu’il avait une entente avec Ruthowsky : il lui payait mensuellement une somme de 20 000$ pour que celui-ci lui fournisse l’information à ce qui concerne la localisation et les stratégies d’intervention policières employées pour démanteler les réseaux de revente de substances illégales. Autrement dit, Ruthowsky lui fournissait l’information, lui permettant de poursuivre sa revente en toute immunité.

Alors qu’il était suspendu de ses fonctions, Ruthowsky a tout de même touché une somme de 570 000$ de salaire brut pendant toute la durée de sa suspension de 2012 jusqu’à 2018, et ce, malgré le chef de police du Hamilton Police Services Board, Fred Eisenberger, qui demanda à la province de changer la législation des lois pour leur permettre de suspendre sans paies l’agent accusé au criminel. Bien entendu, ce montant de plus d’un demi-million fait abstraction de ses sources de revenus reliées aux activités criminelles, qui ont perduré pendant la durée sa suspension.

Finalement, c’est en mai 2018 que Ruthowsky a comparu pour les chefs d’accusation suivants : corruption, abus de confiance (deux), entrave à la justice (deux), méfait public, trafic d’armes, fraude de moins de 5000$, complot en vue de commettre un acte criminel (deux), trafic de cocaïne (deux), vol, parjure. Un autre procès reste à venir en lien avec d’autres accusations de corruptions à son égard, mais pour ce procès, Ruthowsky encaisse une peine de 12 ans et demi, ainsi qu’un délai maximal de 12 mois pour payer une amende de 250 000$ afin d’éviter l’ajout de trois années supplémentaires à sa sentence.

Combattre la déviance par la déviance

Comme mentionné précédemment, il arrive parfois que des policiers doivent agir contre leur devoir dans l’intention de démanteler des crimes. En effet, l’utilisation d’informateurs secrets par la police est une stratégie commune dans le domaine de la lutte contre le crime organisé. Un informateur est un civil (concierge d’immeuble à logements, directeur d’école, commis d’épicerie, etc.) qui se voie donner une forme d’immunité par un policier en échange d’informations faisant avancer l’enquête de crimes jugés plus graves ou simplement plus difficiles à élucider. En voici un exemple :

« Un policier rencontre un informateur et celui-ci, disant qu’une certaine prostituée aimerait travailler pour lui, demande au policier de «faire tomber» le concubin actuel de la fille pour proxénétisme. En échange, l’informateur offre une équipe de «braqueurs». Le contrat se réalise. La brigade territoriale fait «tomber» le petit ami de la dame en question, l’indicateur récupère la fille pour son compte et l’escouade anti gang arrête les trois gangsters en flagrant délit de hold-up. Tout le monde— enfin presque — est content. »

Avec un pas de recul, il devient de plus en plus facile de déduire le lien qui rattache certains succès de carrière de Ruthowsky et son niveau d’implication criminel. À mon avis, dans son parcours vers la criminalité, un principe cyclique devient facilement imaginable comme quoi que : plus il entretient de relations avec des « informateurs », plus il résout de crimes; plus il résout de crimes, plus il gagne de reconnaissance de ses collègues; plus il gagne de reconnaissance, moins il y a de soupçons à son égard; moins il y a de soupçons, plus qu’il peut s’engager dans ses activités criminelles; plus qu’il s’engage dans ses activités, plus qu’il enrichit son réseau d’informateurs, etc. Ce processus l’enfonce de plus en plus dans la déviance d’une façon similaire à la théorie de la pomme pourrie, mais de façon isolée à un seul individu. Bien que cela reste une hypothèse personnelle du processus, il est presque indéniable le fait que cette stratégie policière, dont seules les deux parties prenantes sont témoins (le policier et l’informateur), pourrait ouvrir la porte à d’autres types d’offres plus alléchantes pour un policier corrompu « carnivore » comme Ruthowsky. C’est surtout pour cette raison que je croirais que ces types de relations entre certains policiers et leurs informateurs réclameraient une meilleure structure législative ou une meilleure surveillance de la part des institutions indépendantes chargées de la surveillance des activités policières. Voici un bon exemple de changement dans la structure législative: l’élaboration d’un registre répertoriant et classifiant tous les informateurs secrets des enquêteurs d’un corps de service. À mon avis, le fait d’augmenter le nombre de témoins dans le corps policier et dans l’institution indépendante de surveillance permettrait un meilleur suivi sur ces relations et ainsi, de reconnaître plus facilement les relations entre policier et civil qui sont susceptibles de faire preuve de corruption. De plus, ce changement législatif misant sur la transparence au sein d’un corps policier exigerait que le « blue wall » soit d’un hermétisme presque parfait pour permettre à un policier corrompu d’entretenir des relations malsaines avec des membres du crime organisé

Bien que l’implication de Ruthowsky dans le Project Pharaoh en 2015 soit susceptible de faire soulever des inquiétudes quant aux agents de la sécurité publique de Toronto, il faut savoir que depuis 2017, la métropole est classée au quatrième rang mondial des grandes villes les plus sécuritaires et en première position en Amérique du Nord selon la revue The Economist. Cela vient rendre justice aux multiples acteurs ayant pris pars dans le Projet Pharaoh.