Des espions à Ottawa

En 2019, la technologie occupe une place très importante dans notre vie. Elle nous permet de communiquer partout dans le monde en seul clic. Par contre, elle permet aussi d’espionner en seul clic. En effet, c’est en avril 2017, qu’a été découvert la présence d’intercepteur d’IMSI sur la Colline Parlementaire à Ottawa. « Ces appareils peuvent capter les données des téléphones mobiles et écouter les conversations téléphoniques. »

En fait, pour que l’intercepteur d’IMSI soit en mesure de capter les données cellulaires, il agit comme une antenne cellulaire et de cette façon il peut percevoir le signal des téléphones qui se retrouvent dans un rayon d’un demi-kilomètre. Le Parlement, le Bureau du Premier ministre, l’ambassade des États-Unis et la Défense nationale se trouvent dans le périmètre où ont été retrouvés les intercepteurs. Étant donné que ce sont des institutions fédérales qui ont été visées par les dispositifs d’espionnage, c’est la Gendarmerie royale du Canada (GRC), qui est la police fédérale au Canada, et le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) qui ont été en charge de l’enquête.

Deux des missions du SCRS est de faire du contre-espionnage et de contrôler l’influence et l’ingérence étrangère. En tant qu’agence civile, le SCRS a pour objectif de recueillir des renseignements avant qu’un crime se produise. Lorsqu’un crime se produit, le SCRS doit transférer l’enquête à la GRC puisque les agents du SCRS n’ont pas le statut d’agent de la paix. Il n’est pas rare de constater que la GRC et le SCRS collaborent dans des enquêtes.

Par ailleurs, des dispositifs d’espionnage semblables ont été décelés aux États-Unis près de la Maison-Blanche, du Sénat et du Pentagone. L’entreprise spécialisée en cybersécurité, ESD America, qui a aidé Radio-Canada dans son enquête, a mentionné que « les équipements décelés appartiennent probablement à des entités étrangères. » Suite à la découverte de ces dispositifs, une étude a été faite en avril 2017. Dans celle-ci on considérait que les intercepteurs d’IMSI sont une « menace croissante, parce qu’ils permettent aux pirates informatiques, aux criminels et aux espions de suivre à la trace les utilisateurs de téléphones cellulaires, et de surveiller et enregistrer les conversations et les messages textes. »

De plus, la GRC et le SCRS ont admis qu’ils utilisaient des intercepteurs d’IMSI durant leurs enquêtes. Mais ils ont confirmé que leurs dispositifs ne fonctionnaient pas durant les tests effectués par Radio-Canada. D’ailleurs, au Canada, il y a au moins cinq autres corps de police qui utilisent des intercepteurs d’IMSI. Traditionnellement, un des mandats de la police est de protéger les citoyens. En tant que citoyen, on s’attend à ce que la police nous protège contre les crimes. Une des méthodes pour nous protéger contre le crime est l’utilisation d’intercepteurs d’IMSI. De cette façon, les policiers peuvent intercepter des communications qui ont un potentiel criminel et donc prévenir qu’un crime soit commis. Par contre, ces intercepteurs ciblent toutes les communications qui sont à leur portée.

Le fait que des corps de police utilisent ce genre de dispositif amène beaucoup d’inquiétudes, notamment pour certains experts, comme Pierre Trudel, du Centre de recherche en droit public de la Faculté de droit de l’Université de Montréal, et Micheal Vonn, directrice de l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, ainsi que le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada.

Selon Pierre Trudel, ce qui est préoccupant, c’est que la police doit avoir un mandat pour être en mesure d’écouter les communications d’une seule personne. Par contre, avec les intercepteurs d’IMSI, ce ne sont pas les communications d’une seule personne qui sont interceptées, mais toutes celles qui se trouvent dans le périmètre de l’intercepteur. Pour Micheal Vonn, il serait nécessaire de mettre en place un processus légal afin d’« établir des limites strictes sur la façon dont la technologie est utilisée par la police compte tenu de son potentiel de surveillance à grande échelle. » Selon le porte-parole du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, Tobi Cohen, il y a un manque de transparence de la part des forces policières.

Près d’un an après le début de l’enquête, la GRC et le SCRS ne savent toujours pas qui a déployé le dispositif d’espionnage. Plusieurs experts ont soupçonné des puissances étrangères comme la Chine, la Russie, Israël ou les États-Unis, mais celles-ci ont toutes nié.