Gilets Jaunes et maintien de l’ordre public : de la prévention à la répression policière arbitraire ?
Voilà déjà presque 3 mois que la France est paralysée par un mouvement social très puissant et transfrontalier appelé « mouvement des gilets jaunes » en référence au vêtement que portent ses membres, et qui cristallise autour de lui des débats pluriels et contradictoires. Comme pour beaucoup de mouvements sociaux, les gilets jaunes n’ont pas hésité à sortir de leur répertoire d’action collective un outil médiatiquement fort et qui octroi de la visibilité dans l’espace public : la manifestation. Chaque samedi depuis le 16 novembre 2018 est marqué par des démonstrations qui ont lieu un peu partout dans l’Hexagone. L’acte XII de la mobilisation qui a eu lieu samedi 2 février visait les violences policières dans ses revendications principales comme cela est évoqué dans cet article. L’article de notre collègue Jennyfer Levasseur propose d’ailleurs un très bon état des lieux des déboires policiers recensés depuis le 16 novembre. Loin d’être considéré comme un problème connexe, en marge de la crise sociale qui traverse la France, la question des méthodes employées par les forces de l’ordre suscite l’indignation des uns quand elle apporte la satisfaction des autres. Faisons le point sur une situation complexe et « chaude » en essayant de prendre un peu de distance.

Maintien de l’ordre et ordre de répression : rappels historiques et juridiques
Charles Péguy disait « L’ordre et l’ordre seul fait en définitive la liberté. Le désordre fait la servitude » (Péguy 1905) il s’agit peut-être ici de la réflexion qui résume le mieux la tradition française de maintien de l’ordre. Celle-ci est le fruit d’une histoire ancrée dans la coutume juridique d’Ancien régime et qui a suivi par la suite les contours légaux dessinés par les institutions françaises après la Révolution de 1789. C’est au 17èmesiècle, en 1666, au moment où l’État français entame sa centralisation administrative que nait le besoin de fédérer les initiatives policières, à Paris notamment. Son but à l’époque était surtout la protection des dignitaires étatiques, notamment contre une bourgeoisie montante et une noblesse en déclin à la recherche d’un second souffle (suite à la Fronde). A la Révolution française puis au 19èmesiècle, la police devenue « nationale » un siècle plus tôt prend le caractère de la modernité politique et assurait désormais la protection des citoyens dans leur globalité. La création de la Police Générale par Fouché et de la Gendarmerie Nationale dans la période révolutionnaire montre que la volonté politique s’était structurée autour du maintien de l’ordre public. C’est cette notion qui a mené, en France, à la distinction entre la police administrative (prévention) et la police judiciaire (répression). Au Canada, on distinguerait la « gendarmerie » (patrouilles) de « l’enquête », dans la même veine. Le Tribunal des conflits en France a rendu des jurisprudences validant cette distinction bien que la police puisse basculer d’une forme d’action à l’autre. Ainsi, le recours à la violence n’est qu’un moyen en démocratie (par opposition à une fin en tyrannie) pour assurer l’ordre public.
Des comportements policiers douteux
Le bât blesserait dans le cas des Gilets jaunes au moment où la violence serait utilisée de manière arbitraire et non pour prévenir mais pour punir. Or Rowan et Mayne avaient énoncé que la prévention plutôt que la répression était un principe fondamental du policing moderne. Le Journal du Dimanche rappelle que plus de 200 signalements ont été reçus par l’Inspection générale de la Police Nationale (IGPN), la police de la Police. Selon Le Figaro, au total, ce sont 116 enquêtes qui ont été ouvertes et certaines feront certainement l’objet d’une instruction judiciaire plus poussée dans les mois qui suivent. La plupart sont relatives à l’utilisation des balles de défense, projectiles censés dissuader un individu sans mettre en danger sa vie. Pourtant, certains manifestants ont perdu (partiellement) la vue suite à des tirs de ces balles. Le second problème dont a été saisie l’IGPN est en rapport à l’utilisation arbitraire de la violence par les policiers dans des contextes où aucun débordement n’est clairement établi comme mettant en danger l’ordre public. On se souvient qu’en décembre un policier ayant sorti son arme de service pour écarter des manifestants trop nombreux avait suscité bien des émois car pour certains cela n’était pas justifié[.


Les policiers ont une méthode et l’appliquent
L’agent de police possède une réelle marge d’application des ordres hiérarchiques. Néanmoins, il est clair qu’il n’est qu’un opérateur, un applicateur. Son comportement peut varier en fonction de deux facteurs : l’ordre donné et la méthode qui lui a été transmise durant sa formation. Ainsi, si l’IGPN inspecte des cas individuels de policiers qui seraient des « brebis galeuses » certains manifestants, voire même des politiques, voient davantage le problème à l’échelon le plus élevé de la prise de décision en termes de policing : le ministère de l’Intérieur. Nicolas Dupont-Aignan avait parlé des « petits casseurs de Castaner (ministre de l’Intérieur)», casseurs apparemment envoyés par le gouvernement pour justifier les ordres de répression contre les Gilets jaunes. Il est grotesque et grave de dire cela. L’article du Journal du dimanche (JDD) passe sous silence cette dimension pourtant explicative des comportements policiers.
Sur le terrain, le policier applique une méthode pour protéger les citoyens, mais aussi pour se protéger lui-même, il est conditionné par cela et c’est ce qui constitue le cœur de sa déontologie .

Une problématique finalement très politisée
La difficulté pour «tirer le vrai du faux» sur les violences policières, et qui n’est pas évoquée par le JDD dans son article, tient à la politisation croissante du problème. Voyons ci-dessous un petit florilège des commentaires que l’on a pu lire depuis le 16 novembre :



Alors à qui la faute ? Aux manifestants ? Aux policiers ? Aux politiques qui ajoutent de l’huile sur le feu ? Réponse du ministre de l’Intérieur :
« S’il n’y avait pas de magasins pillés, de barricades érigées. S’il n’y avait pas de voitures brûlées, de bâtiments publics saccagés. S’il n’y avait pas de forces de l’ordre lynchées. En somme, si la loi était respectée il n’y aurait pas de blessés ».
Réponse d’une Gilet jaune :

Ce qui est sûr c’est que la crise sociale que traverse la France révèle bien des difficultés à maintenir un lien de confiance mutuel entre la Police et la population, alors que c’est là le point de départ de l’ordre et du contrôle social. Il reste que faire interagir en démocratie droit à la manifestation et préservation de l’ordre public s’avère complexe.
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