Suicides: un phénomène alarmant en forte hausse

La hausse du nombre de suicides au sein des institutions policières françaises depuis le début de l’année 2019 provoque une réelle inquiétude dans les rangs et au-delà. Passés la stupeur et le désarroi du suicide d’un collègue, il est nécessaire d’entrevoir le suicide policier comme un enjeu majeur dans la pérennité et le bon fonctionnement des institutions policières.
» Si un policier pense à s’enlever la vie, pour une raison que personne ne connaîtra peut-être jamais, il a facilement le moyen de le faire. Mais si quelqu’un veut s’enlever la vie, il finit toujours par trouver le moyen de le faire. Être policier rend seulement la chose plus facile. »
– Jason Levinstein, Strandberg (1997)
Si le nombre de suicides en France, à l’heure actuelle, est porté à 11 depuis le début de l’année, on peut parler d’un phénomène diffus et fort en seulement une vingtaine de jours, ce que déplore le député Eric Ciotti:

Pour rappel, l’année dernière s’était conclue avec un nombre alarmant de 51 suicides dans les rangs des forces de police et plus de 40 suicides pour la gendarmerie. En novembre dernier, un suicide a provoqué un retentissement particulier au sein des forces de police, celui de Maggy Biskupski, présidente de l’association « Policiers en colère » qui soulève le ras-le-bol des autorités face à leurs conditions d’exercice.
Ce tournant dans l’affirmation de la cause policière en France est le résultat d’un climat de tension et d’épuisement général depuis 2012, date à laquelle le terrorisme islamiste fait son apparition en France. La multiplication d’attentats dont les bilans montrent la férocité de ces évènements implique une réponse forte des gouvernements quant à la sécurité des citoyens. Ainsi, la multiplication des plans de sécurité, notamment « Vigipirate » dont le niveau a été rehaussé à son maximum suite à l’attentat de Strasbourg en décembre 2018. Ainsi, militaires, gendarmes et policiers se partagent des rondes quasi-permanentes, éprouvantes, pour peu qu’ils n’aient pas à appréhender un danger réel.
Les signaux d’alarme psychologiques semblent se sont donc imposés dans la hiérarchie qui appelle désormais à signaler tout collègue potentiellement en détresse. L’impact psychologique du suicide d’un collège sur l’ensemble du corps professionnel est lourd et met à mal l’institution. Par ailleurs, il est à noter que la grande majorité de ces tragédies se produisent sur le lieu de travail de l’individu et l’arme de service est quasi-systématiquement l’instrument utilisé. L’environnement professionnel est donc très lié à ce qui ne semble pas être un phénomène uniquement français.
À l’international, un bilan moins lourd mais persistant
Comme le montre l’étude de Lucie Charbonneau publiée en 2000 sur le suicide chez les policiers au Québec, le suicide policier, notamment en Amérique du Nord, n’est pas un phénomène nouveau. Cependant, la proportion de suicide chez les forces de l’ordre entre 2000 et aujourd’hui a connu une forte augmentation.
« La profession de policier demeure, de par sa nature même, parmi les activités les plus stressantes. »
– Hans Selye, The Stress of Life (1978)
Si l’on élargit le tableau, le nombre de policiers canadiens s’élève à 69 000 quand le nombre de policiers français s’élève à 150 000 (Police Nationale seulement). Proportionnellement, il y a 352 policiers pour 100 000 habitants en moyenne en France contre 192 au Canada. C’est en partie ce qui peut expliquer des taux de suicide plus faibles. Cependant, les récents évènements qui se sont déroulés en France sont les suspects principaux dans l’augmentation des suicides chez les forces de l’ordre.
Aux États-Unis, le taux de décès chez les forces de l’ordre est également en constante augmentation. C’est le constat que fait USA Today, en affirmant que « Le silence peut être mortel ». Pour 46 officiers tués par arme à feu en service en 2017, 140 autres se sont donnés la mort.

Identifier les causes pour mieux prévenir
L’environnement policier est variable: tantôt érigés en sauveurs de la nation, avec l’action du Lieutenant-Colonel Beltrame, devenu un symbole national, tantôt marionnettes d’un gouvernement liberticide, les policiers sont sujets à toutes les critiques morales et aux vindictes populaires.
Ces derniers mois cependant, avec la multiplication des manifestations hebdomadaires violentes, le nombre de blessés, aussi bien dans les rangs des manifestants que des forces de l’ordre interpelle. Cependant, l’opinion publique se plaît à s’acharner sur les corps de police, à se concentrer sur les violences policières et à décrédibiliser l’action de maintien de la paix difficilement menée. C’est également dans ce genre de circonstances que les policiers sont le plus sollicités, entraînant un rythme de travail très (voire trop) soutenu.
« Actuellement la plupart des policiers travaillent cinq week-ends sur six. Nous estimons qu’il faut un week-end de repos sur deux. »
– Louis-Olivier Dubois, délégué national aux conditions de travail pour franceinfo
La perception des forces de l’ordre joue un rôle important dans le bien-être policier. La multiplication des affaires de bavures policières aux États-Unis envers des minorités ethniques, la répression par la force souvent qualifiée « d’excessive » des manifestations françaises… tout ceci semble éloigner la profession du « policing by consent« , qui considère l’utilisation de la force en dernier recours et dans la mesure du fait de l’implication de citoyens, censés être sous la protection de ces mêmes agents. Aussi, la médiatisation et le relai qu’offrent les médias sociaux à ces évènements participent de la défiance grandissante envers les forces de police.
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Au-delà du triste phénomène qu’est le suicide, la question à se poser semble être celle du lien ténu qui existe entre citoyens et policiers. Il est impossible de nier que cette relation s’effrite et n’a de cesse d’alourdir la charge psychologique des forces de l’ordre, il est alors primordial de renouveler le dialogue et le lien entre la société toute entière et ses défenseurs.
Matteo Crance