Souriez, vous êtes filmés
C’est en répondant à un appel du service d’urgence de la ville de Montréal que les policiers se sont rendus à un appartement sur la rue St-Denis, sur le Plateau Mont-Royal, le 26 juillet 2013. Un homme de 70 ans était barricadé dans son appartement et présentait des comportements suicidaires. Lorsque les policiers ont été en mesure de pénétrer dans l’appartement, ils ont constaté que l’homme était armé d’un couteau. Résistant à son arrestation, l’homme a poignardé son chien et un des policiers a fait feu dans l’aine de l’homme, car il se sentait menacé. L’homme de 70 ans est décédé deux semaines après. Robert Hénault, la victime, sera l’objet d’un rapport du coroner Paul G. Dionne qui critique l’intervention des policiers en faisant plusieurs recommandations, dont une recommandation au ministère de la Sécurité publique de mettre en place un protocole à l’échelle nationale pour l’usage de caméra dans les interventions policières.
Que se passe-t-il trois ans après les recommandations du coroner Paul G. Dionne ?
C’est trois après le rapport sur la mort de Robert Hénault, à l’été 2013, que le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) lance un projet pilote quant au port de caméra par les policiers. Durant le projet, les patrouilleurs de métro et de la sécurité routière portaient des caméras portatives ainsi qu’un insigne indiquant qu’une caméra pouvait être en fonction. Le commandant à la division des projets spéciaux du SPVM, monsieur Patrick Lavallée mentionne que le but de ce projet était de consolider le lien de confiance avec les citoyens et d’assurer la transparence des interventions policières. Lors des interventions avec les citoyens, les policiers devaient remettre une carte explicative dans laquelle il était précisé que la caméra filme l’interaction avec le citoyen, mais que celle-ci ne va pas nécessairement filmer l’infraction comme le ferait une caméra véhiculaire. Les caméras n’étaient pas toujours en fonction. Celles-ci étaient mises en marche par le policier lors d’entretiens à des fins d’enquêtes et lors de situations urgentes ou la vie et la sécurité étaient en danger. De façon générale, les citoyens apprécient cette initiative du port de la caméra, car d’un côté, cela dissuade les gens de contrevenir à la loi, car il y aura des preuves et d’un autre côté, cela permet de savoir ce qui s’est réellement passé durant l’intervention en plus d’avoir la version du citoyen et des policiers. Le directeur adjoint du Centre international de criminologie comparée, monsieur Boivin, fait la prédiction que les caméras seront présentes à l’avenir pour changer le comportement des gens qui sont filmés, soit les citoyens et les policiers, et pour assurer la transparence des interventions et la relation avec le public.
Et la société du risque dans tout ça?
Selon Beck, depuis 1990, nous sommes dans une société du risque, c’est-à-dire dans une société où les problèmes sont conçus en termes d’évitement et non en termes de solution à trouver. De cette façon, si on ne peut pas apporter une solution à la criminalité et au désordre social, il faut trouver un moyen d’éviter ces problématiques. C’est dans cette optique que l’information devient fondamentale pour les institutions de gouvernance. C’est ainsi que la police s’est mise à accorder une importance particulière à la récolte d’information. Une conséquence de ce virage vers l’intelligence-led policing est l’augmentation du recours à des technologies de surveillance comme la caméra. Bien que les policiers disposent désormais de caméra de surveillance avec eux, il y a une technologie de surveillance qu’il est facile d’oublier : la voiture de police!
Un espace mobile d’environnement policier
Maning explique que la voiture de police est comme un espace mobile d’environnement policier qui contribue grandement à la réification du rôle du policier et de la façon dont il perçoit sa fonction professionnelle. La voiture de patrouille permet d’être au bon endroit au bon moment et d’arriver à temps sur les lieux du crime en cours ou en planification. De plus, les nombreuses technologies présentes au sein de l’automobile témoignent d’une certaine professionnalisation, car les évènements peuvent être directement relayés à la centrale grâce à la radio et au terminal mobile, ce qui permet de se déplacer rapidement et d’ainsi réduire le temps de réponse qui est devenu, avec le temps, un objectif mesurable de l’efficacité de l’activité policière. Le véhicule de patrouille est également une extension du bureau du policier dans lequel le policier récolte, analyse et traite des informations. Ainsi, l’usage de technologies comme les caméras de surveillance, viennent en quelque sorte, légitimer l’action policière. Au début utilisées pour enregistrer les interactions avec les citoyens et ainsi assurer une preuve électronique en cour en cas de bavures de la part du policer ou d’un comportement réprobateur chez le citoyen lorsque l’infraction était déjà commise, il semblerait que les policiers de Bromont passeront à un niveau supérieur en dotant leurs voitures de patrouilles de caméras véhiculaires dès l’été 2018. En effet, ces nouvelles caméras pourront capter l’infraction et la mettre sur bande vidéo pouvant ensuite être admise comme preuve au tribunal.
Installation de deux caméras véhiculaires sur chaque véhicule de patrouille
Les policiers de Bromont verront leur véhicule de patrouille subir une amélioration quant à la surveillance par caméra. En effet, deux caméras véhiculaires seront installées sur chaque voiture, soit une à l’avant et une autre à l’arrière de la voiture. Il est cependant important de noter que les policiers de Bromont ne seront pas équipés de microphone comme c’est le cas pour le SPVM. Seule la caméra à l’intérieur du véhicule aura un microphone ce qui laisse croire que toute interaction avec les citoyens ne sera pas enregistrée si celle-ci a lieu en dehors du véhicule.
Comment ça marche ?
Le but premier de ces caméras véhiculaires est de capter l’infraction en train de se commettre afin d’avoir la bande vidéo en preuve devant la cour. Ce type de surveillance est donc fait dans l’optique de donner des contraventions quasi incontestables ne laissant place à aucune défense en cour pour le citoyen. Par exemple, entre 2012 et 2013, la police de Saint-Jean-sur-Richelieu, qui était équipé de caméras véhiculaires, a donné plus de 10 000 infractions et seulement trois ont été contestées en cour et sur ces trois, un seul citoyen a eu gain de cause. Cette technologie de surveillance vise principalement les infractions inscrites au Code de la sécurité routière ainsi que les infractions de conduites dangereuses et de conduites avec les facultés affaiblies dont la preuve peut désormais être documentée par bande vidéo. Lorsqu’un patrouilleur constatera une infraction, il aura le choix de mettre lui-même en fonction les deux caméras véhiculaires ou celles-ci se mettront automatiquement en fonction une fois les gyrophares activés. Bien que le citoyen ne puisse pas accepter ou refuser d’être filmé, le policier a l’obligation de l’aviser qu’il est filmé et que la bande vidéo pourrait être retenue contre lui une fois au tribunal. D’ailleurs, Marc-André, inspecteur du Service de police de Bromont, précise qu’il est de plus en plus courant pour les policiers de devoirs témoigner dans des causes que les citoyens ont contestées. Ainsi, selon lui, la présence de caméras véhiculaires permettra d’obtenir certes une preuve fiable et quasi incontestable, mais également de réduire les longues procédures à la cour. L’inspecteur montre également l’autre côté de la médaille en rappelant que bien souvent, il s’agit de la parole du policier contre celle du citoyen et que dès lors, les caméras vont permettre d’établir plus facilement ce qui s’est passé réellement avec objectivité.
Les caméras véhiculaires seront-elles efficaces ?
Bien qu’il soit encore trop tôt pour se prononcer sur l’efficacité des caméras véhiculaires dans les véhicules de patrouilles des policiers de Bromont, il est possible de poser quelques prédictions. Premièrement, puisque les policiers en patrouille ont le choix de mettre en fonction ou non la caméra, on observera peut-être ce que Jeremy Bentham nommait l’effet panoptique, c’est-à-dire le sentiment de ne jamais savoir quand on est surveillé et que cela nous amène donc à nous comporter correctement en tout temps. Si les conducteurs ont l’impression de toujours être filmés en commettant une infraction comme un excès de vitesse ou encore une conduite avec les facultés affaiblies, en théorie, ils devraient donc se comporter correctement afin de ne pas courir la chance d’être arrêtés avec preuve vidéo à l’appui. Il y a aussi Armitage et ses collègues qui, dans une recherche sur les effets anti-crime supposés de la vidéosurveillance, ont établi que la surveillance par caméra avait pour effet de prendre les contrevenants sur le fait et de les dissuader de contrevenir aux lois. De plus, sans faire de généralisation, il est possible de croire que les résultats des policiers de Bromont seront semblables aux résultats obtenus par la police de Saint-Jean-sur-Richelieu mentionnés ci-haut.
Assistons-nous à un élargissement du filet pénal?
Les prochaines lignes sont des inquiétudes concernant l’usage des caméras. Il s’agit d’hypothèses et il faudra attendre les résultats de l’usage de ces technologies pour connaître si celles-ci sont justes ou erronées. Étant un terme central de la pénologie, l’élargissement du filet pénal renvoie à l’idée selon laquelle les mesures de rechange à la détention deviennent une mesure supplémentaire de judiciarisation plutôt que de substituer à la détention. Dans une même trajectoire, il convient donc de se questionner à savoir si l’usage de caméras véhiculaires va lui aussi contribuer à l’élargissement du filet pénal, car avec les bandes vidéo, la culpabilité des citoyens pourra être facilement reconnue, amenant ainsi une augmentation des sanctions attribuées.
Le pouvoir discrétionnaire dans tout ça?
Il convient également de se questionner sur l’impact des caméras véhiculaires sur le pouvoir décisionnel des policiers. Actuellement, le pouvoir discrétionnaire des policiers leur permet d’enclencher ou non le processus judiciaire. Or, si les infractions sont sur bandes vidéo et que celles-ci sont automatiquement transmises dans une base de données par le biais d’un réseau WiFi, le policier n’a plus aucun pouvoir discrétionnaire. En effet, si le policier décide de passer outre l’infraction et de seulement donner un avertissement au citoyen, cela pourrait poser problème si les images de l’infraction sont captées sur bande vidéo. Malgré les aspects positifs des caméras véhiculaires, le pouvoir discrétionnaire pourrait être remis en question et ce pouvoir permet notamment de ne pas judiciariser les individus. Ainsi, sommes-nous, avec ces caméras véhiculaires, en train de faire un retour vers une police marquée par la tolérance zéro ? Sans pouvoir discrétionnaire, cela en revient à agir dans toutes les circonstances où un délit se manifeste. Il serait donc important, à mon avis, d’encadrer l’usage des caméras véhiculaires de sorte que le pouvoir discrétionnaire des policiers ne soit pas trop affecté.
Un atout pour la société du risque?
De plus, il est juste de se questionner à savoir si l’usage de caméras par les policiers, que celles-ci soient véhiculaires ou encore installées sur l’uniforme des policiers, n’est pas un nouvel instrument de contrôle s’ajoutant à ceux déjà existants dans notre société du risque. Cette société axée sur la surveillance et la sécurité légitime que l’État et ses institutions procèdent à une surveillance accrue de ses citoyens, car les citoyens le demandent pour leur bien. Les citoyens se sentent plus en sécurité lorsqu’il y a de la surveillance et les encouragent à se comporter selon les normes et les lois de la société si on se réfère à l’étude d’Amitage énoncée précédemment. Bien que l’usage de caméras rende les interventions policières plus neutres, cette perte d’« intimité » est-elle vraiment nécessaire? Les technologies de surveillance sont déjà nombreuses dans notre société accordant une importance marquée pour le renseignement. Il est donc important de demeurer prudent face à l’utilisation de ses caméras afin que celles-ci ne deviennent pas un instrument de contrôle des citoyens supplémentaires à ceux déjà en place.
Recommandations acceptées
Il semblerait donc que les recommandations du coroner Paul G. Dionne suite à la mort de monsieur Robert Hénault en 2013 aient été appliquées considérant le mouvement de masse actuellement en cours dans la province quant à la mise en place de caméras de surveillance.