Calais : Violences entre migrants et forces de l’ordre, à qui la faute ?
« J’affirme, M. le Président, que vous laissez perpétrer à Calais des actes criminels envers les exilés. Je l’ai vu et je l’ai filmé. »
Dans une tribune publiée dans le quotidien Libération, l’écrivain Yann Moix porte une charge d’une rare violence contre le Président de la République Emmanuel Macron. L’écrivain et polémiste accuse en effet le Président de la République d’être à l’origine d’ordres légitimant des violences policières systématiques envers ceux qu’il appelle « exilés« . Pour rappel, la ville de Calais, située sur les bords de la Manche, à seulement une trentaine de kilomètres de la Grande Bretagne, fait régulièrement les gros titres parce que c’est sur son territoire que se retrouvent coincés plusieurs milliers de migrants souhaitant rejoindre l’Angleterre.
Pour les migrants et pour les calaisiens, cette situation n’est pas tenable. Les uns ont fuit des pays en guerre, traversé le globe et sont prêts à tout pour achever l’ultime étape de leur voyage et rejoindre les côtes britanniques. Les autres sont exaspérés par la présence de ces migrants qui n’hésitent pas à mettre en place des barrages sur la rocade pour arrêter les camions et tenter de monter à bord afin de s’y cacher pour passer outre-Manche. Face à cette situation devenue intenable, les gouvernements français successifs ont tenté de remédier à cette situation afin d’aider les migrants et les calaisiens, jusqu’à présent en vain.
L’histoire des interventions de l’Etat français commence en juillet 2002, date à laquelle Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur sous l’autorité du Président de la République Jacques Chirac ordonne le démantèlement du camp de Sangatte (petite ville sur le territoire de laquelle est situé l’entrée du tunnel sous la Manche). Ce démantèlement ne résout pas la situation et ne fait que pousser les réfugiés à s’installer dans des installations de fortune en périphérie de la métropole calaisienne. La situation se tasse alors jusqu’au début des années 2010 et les Printemps Arabes qui accentuent la pression migratoire sur le Vieux Continent. A Calais un nouveau bidonville se développe et croit à « vitesse grand V », il est surnommé « La Jungle« . La population croit jusqu’à compter pas moins de 6000 âmes en 2015. A cette, époque, les faites divers, cambriolage, agression de routiers, … se multiplient et les calaisiens somment le gouvernements d’agir. Paris ne pouvant rester sourd à leurs demandes, François Hollande somme son Ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuze, de procéder à l’évacuation de la jungle. C’est chose, faite, les migrants sont déplacés dans Centres d’Accueil et d’Orientation (CAO) un peut partout dans l’hexagone. Depuis le démantèlement de la « Jungle » des migrants souhaitant rejoindre l’Angleterre continue de rester bloqués à Calais, mais demeurent moins nombreux. Selon plusieurs organisations, on en dénombrerait quelques centaines aujourd’hui.
Face à l’arrivée de migrants à Calais, la position du gouvernement français est aujourd’hui la suivante : les empêcher de s’installer dans la ville et les diriger vers des Centres d’Accueil et d’Orientation. Problème, les migrants présents à Calais ne souhaitent, pour la plus part, pas rester en France mais passer en Angleterre. Les rixes entre migrants ne souhaitant pas quitter Calais et forces de l’ordres sommées de les évacuer se multiplient donc. C’est dans ce cadre que le événements dramatiques du 25 janvier qui ont vu un migrant érythréen de 16 ans perdre un œil se sont déroulés. Ce 25 janvier des policiers français dits CRS (Compagnie Républicaine de Sécurité) ont été pris à parti par un groupe de migrants qu’ils venaient déloger un squat illégal. Face aux jets de pierres et de projectiles, les forces de l’ordres ont lancé des grenades lacrymogène défensive et c’est, selon les premiers rapports du parquet, une de ces grenades qui a blessé un migrant.

Capture d’écran d’un reportage de Yann Moix sur les violences policières à Calais.
Certains diront que cette histoire n’est qu’un simple fait divers malheureusement quotidien pour les migrants et pour les calaisiens. En réalité, il pose plusieurs questions dont celle de l’efficacité d’une police centralisée et de la justice en matière de déviance policière.
Afin de comprendre le mécanisme des interventions policières en France, il est en effet nécessaire de rappeler que contrairement à son homologue canadienne, la police française est centralisée. Ainsi, les forces de l’ordre qui interviennent à calais reçoivent les mêmes ordres que celles qui interviennent à Marseille, à Strasbourg ou à Nantes. En France, c’est le Ministre d’Etat – Ministre de l’Intérieur qui est responsable de la police. Aujourd’hui, il s’agit de M. Gérard Collomb. A l’heure ou la question migratoire prend de plus en plus de place dans le débat politique en Europe et en France, le ministre se doit de donner des consignes de fermeté afin de prévenir la création de bidonvilles en périphérie des métropoles de l’hexagone. Ainsi, la police qui est intervenue à Calais a reçu des ordres larges et non pas des ordres précis adaptés à la situation particulière de la ville.
Si cette situation avait eu lieu au Canada, la ville de Calais, qui comptait en 2017 près de 76 000 habitants, aurait du se doter d’une police municipale de niveau 1. Ainsi, si Calais avait été au Canada, les services de police et de gendarmerie auraient été gérés à l’échelons municipal. Les policiers envoyés sur le terrain auraient donc certainement eu une meilleure connaissance des réalités du terrain. Aujourd’hui, cette problématique semble être de mieux en mieux comprise par les pouvoirs politiques en France. C’est en ce sens que le Ministre de l’Intérieur, va, sur demande du Président de la République et du Premier Ministre, travailler à la mise en place d’une police plus locale dite « police de sécurité du quotidien« . Le but de cette réforme est, selon le gouvernement français, de rapprocher les policiers des réalités des quartiers et des villes afin qu’ils puissent agir d’avantage en prévention, sans violence qu’en répression.
Le second sujet que ce fait d’actualité nous permet d’aborder est celui du rôle de la justice en matière de déviance et de bavure policière. Souvent, en France, les policiers disent souffrir d’un désamour dans la population. Pour expliquer ce désamour, on met souvent en avance les violences et déviances policières. Mais en réalité, c’est le fait que la population ne perçoit pas que ces violences ne demeurent pas impunies qui nourrit très certainement la désamour de la population française pour sa police. Dans le cas de l’affaire de calais, l’article du Huffington Post précise que l’IGPN a été saisie. IGPN est en fait l’acronyme d’Inspection Générale de la Police Nationale car en France, les policiers ne relèvent pas, pour les actes et faits commis dans le cadre de leurs fonctions, directement de la justice civile ou pénale. Lorsqu’une plainte est déposée pour violence policière, l’IGPN est saisie et enquête en interne avant de renvoyer, si elle juge la plainte pertinente, le dossier devant la juridiction compétente.
L’argument le plus souvent mis en avant pour justifier l’existence de l’IGPN est le fait que les règles qui régissent l’activité policière ne sont pas les mêmes que celles du droit commun. Ainsi, de la même façon que les actes commis par les militaires dans le cadre de leurs fonctions relèvent de tribunaux militaires, ceux des policiers sont instruits par l’IGPN. Le problème est que les instructions les plus médiatiques conduisent souvent à des non-lieux ou à des sanctions disciplinaires telles que des mutations qui, peuvent, à juste titre, être vue comme dérisoire par les victimes ou l’opinion publique.
En définitive, on a vu qu’un article relatant, à première vue, un banal ait divers pouvait mener bien plus loin en déclenchant une une polémique entre un intellectuel et le Président de la République Française. Mais au-delà de ça, l’article permet de soulever des questions de fond telles que celle de l’organisation de la police en France ou de la légitimité d’un droit dérogatoire au droit commun pour les forces de l’ordre. Si une question est aujourd’hui considérée par le gouvernement, l’autre n’est pas encore à l’agenda politique de ce dernier.