Brésil : À Rio de Janeiro, la police est désormais placée sous l’autorité de l’armée

Le Brésil a connu des années désastreuses, particulièrement depuis la coupe du monde de football en 2014 et les Jeux Olympiques de Rio de Janeiro en 2016, qui ont provoqués la plus importante crise politique et économique de l’histoire du pays.  Cette crise se traduit par la criminalité grandissante qui nécessite des opérations de grandes envergures afin de maintenir l’ordre et assurer la sécurité de la population qui perd confiance en l’institution et son gouvernement.

La crise existe depuis longtemps au Brésil, notamment avec le président Luiz Inácio Lula da Silva condamné à près de 10 ans de prison pour corruption passive et blanchiment d’argent. La seconde présidente, Dilma Rousseff, a été destituée pour avoir dissimulé des comptes publics et signé des décrets violant la loi sur les finances. Le président actuel, Michel Temer, craint un procès pour corruption. Les dirigeants sont corrompus et font preuve d’une grave défaillance de l’État. Le pays est enfoui sous d’énormes dettes et c’est la population qui paie pour la corruption du gouvernement. Les premiers touchés par la crise économique sont les policiers, les hôpitaux et les écoles. Les habitants n’ont plus accès à l’éducation, les écoles et les hôpitaux ferment car il n’y a plus d’argent. Il y a des mois de retard sur les salaires à cause de la corruption car l’argent a été détourné par le gouvernement. Moins il y a d’argent, plus il y a de corruption et c’est une boucle infinie qui ne fait qu’empirer la situation précaire du pays qui peine à s’en sortir. Sans éducation, la population ne sait pas comment lutter contre la corruption. Le pays est en faillite et cela se traduit par la criminalité. Une explosion de crimes suivie d’une augmentation considérable d’opérations policières est le résultat de cette crise économique.

Au Brésil, chaque État comporte un corps de police civile, qui joue un rôle de police judiciaire et un corps de police militaire, qui est à la fois chargé de la sécurité publique et du système national de défense, agissant sous la réserve des forces armées. Cette dernière se distingue des forces armées du Brésil qui porte d’autres noms : police marine, police de terre et police aérienne. Elles sont divisées dans les 26 États brésiliens, dont une police fédérale nommée Brasilia. Une unité de police pacificatrice (UPP) a été créée en 2008 pour l’État de Rio dans le but de reprendre le contrôle des favelas (quartiers marginalisés) aux trafiquants de drogues et prendre contact avec la population. L’UPP prend de plus en plus d’ampleur avec le temps, jouant un rôle de police de proximité.

Cette stratégie policière a pour mission la régulation sociale. Être plus proche de la population pour mieux cerner les problèmes et s’adapter en fonction de leurs besoins. Leur intervention a permis de réduire la criminalité mais pour un temps limité. Les conflits ont commencés dû aux désaccords entre les priorités de l’État et celles des communautés. L’État voulant que l’UPP serve de police de la «fenêtre brisée» en misant avant tout sur l’ordre dans les favelas, par exemple, le ramassage des ordures et la rénovation d’aires publiques.  Cette théorie des «vitres cassées» explique qu’une ville en désordre augmente la criminalité. L’apparence d’un environnement désordonné laisse croire aux habitants qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent. C’est alors que les citoyens ont peur de sortir de chez eux et laisse le terrain aux délinquants qui se multiplient jusqu’à prendre toute la place. La pauvreté et l’insalubrité dans les favelas surpeuplés ne peut que miner l’apparence de l’environnement. Dans les quartiers décrépits, l’augmentation constante de la criminalité mène à la peur du crime et au sentiment d’insécurité. C’est le cas dans les favelas de Rio, ce qui pousse l’État à utiliser cette stratégie avec l’UPP mais les habitants ne sont pas d’accord sur leurs priorités. Eux voudraient qu’ils investissent sur la santé et l’éducation, ce qui crée les conflits entre l’UPP et la communauté. Les critiques s’enchaînent par les citoyens mécontents et leurs effectifs sont réduits jusqu’à devenir inefficace. Ce n’est que le début de la fin de cette police pacificatrice.

21 avril 2017

L’opération policière avait pour objectif l’installation d’une tour blindée au coeur d’un des plus gros quartiers de Rio de Janeiro.  Durant cinq jours, plusieurs fusillades s’échangeaient les tirs entre policiers et narcotrafiquants qui occupaient l’endroit. En construisant cette tour d’observation fortifiée, la police perd son côté pacificateur (UPP) et devient une ‘’haute police‘’ qui protège le gouvernement et son fonctionnement. « La tour blindée symbolise la perte de toute légitimité de cette notion de police de proximité. La politique de sécurité de l’État n’a plus aucun sens ». L’opération a causé quatre morts en cinq jours. Les habitants ont peur de mourir d’une balle perdue, ce qui est arrivé à un jeune de 13 ans lors de l’opération. Le décès de l’enfant a provoqué une révolte. Plus de 200 habitants de ce quartier se sont réunis pour manifester contre les opérations policières.

29 juin 2017

L’opération «Calabar» a permis l’arrestation de 96 policiers corrompus, soupçonnés de faire partie d’un réseau de drogue dans l’État de Rio. «Ces mauvais policiers fermaient les yeux et laissaient les trafiquants agir librement pour vendre leurs drogues». Ils recevaient une grosse somme d’argent chaque mois qu’ils se divisaient entre eux. Ils offraient également leurs services aux narcotrafiquants en échange d’argent. Ils allaient même jusqu’à leur procurer des armes. Les policiers se protègent les uns les autres dans leur organisation de corruption. Ils ne se dénoncent pas entre eux. Ils sont placés dans un milieu criminel où les opportunités de déviance sont nombreuses. L’institution policière manque d’effectif, de supervision et de budget pour payer les salaires. Ils sont ainsi plus enclins à se criminaliser. La police se désorganise, laissant place à la corruption et aux bavures policières, utilisant dans leurs opérations une force plus que nécessaire, tuant plusieurs innocents. Le dysfonctionnement de leur organisation mène à une mauvaise réputation. Les habitants n’ont pas confiance aux policiers ni au système de justice.

Durant l’année 2017, les opérations policières ont de nombreuses fois eu recours aux forces armées pour intervenir auprès de gangs de trafiquants armés. Le 28 juillet, une grosse opération a déployé environ 10 000 militaires et policiers à bord d’hélicoptères survolant les favelas les plus dangereuses de Rio. Des membres des forces spéciales et des commandos de la police fédérale ont été déposés sur terre depuis les hélicoptères sillonnant les rues. Le 5 août, une énorme opération contre les bandes armées, déployant 3 600 militaires et 1 300 policiers pour contrer la violence dans les favelas. Opération déclenchée suite à de nombreux vol de cargaison. Le 9 octobre, plusieurs échanges de tirs entre policiers et trafiquants de drogue, durant toute la journée, provoquant trois morts et cinq blessés. Le 23 octobre, la police a accidentellement tué une touriste espagnole qui visitait les lieux où, quelques heures auparavant, surgissaient des affrontements avec des narcotrafiquants. Le 27 octobre, des centaines de policiers, des véhicules blindés de l’armée de terre ainsi qu’un hélicoptère ont été déployés dans les rues de Rio de Janeiro afin de retrouver les responsables du meurtre du colonel Teixera, tué dans son véhicule par 17 coups de feu, quelques jours auparavant. Un article publié le 12 novembre 2017 indique qu’une fusillade aurait eu lieu sur une foule assistant à un spectacle de rue et qu’il s’agirait d’une bavure policière. De plus, quelques jours avant le Carnaval de Rio, plus de 3000 militaires et policiers étaient dans la «Cité de Dieu», l’une des plus dangereuses favelas de Rio, afin d’attraper des chefs du trafic de drogue. Le but étant de démanteler les réseaux du crime organisé, juste avant l’arrivée des centaines de milliers de touristes qui se déplacent pour l’occasion.

6 décembre 2017

La police a procédé à l’arrestation d’un des barons de la drogue les plus recherché du pays, Rogerio Avelino da Silva. Près de 3000 policiers et membres des forces armées ont été mobilisés pour bloquer tous les accès de la favela qu’il occupait. Suite à son arrestation, des policiers ont publiés des photos d’eux avec le criminel sur les réseaux sociaux. Ces images ont vite fait le tour du monde. Comment l’organisation des forces de l’ordre peut-elle être prise au sérieux? Ils se font passer pour des groupies d’un des plus dangereux criminels. Il ne s’agit pourtant pas d’un jeu ou d’un spectacle. En agissant ainsi, ils ternissent la réputation de l’ensemble des forces de l’ordre qui n’est déjà pas très respectée par la population.

Ce n’est qu’une minime partie des opérations policières qui sont cités dans ce texte. La police est passée d’un style pacificateur à une police intensive en quelques années, multipliant ses interventions brutales. Le déploiement majeur des forces de l’ordre dans une favela afin de contrôler l’accès est un moyen excessif pour arriver à leur fin, soit le démantèlement du crime organisé. Ces opérations d’envergures font peur aux citoyens, qui doivent se plier aux fouilles et qui ne peuvent pas se rendre à leur travail.

Le 5 juillet 2016, un mois avant les jeux olympiques, la journaliste Cecilia Oliveira a mis en place, en collaboration avec Amnesty International, une application «Fogo cruzado» (tirs croisés) permettant aux citoyens de donner de l’information au sujet des fusillades et morts dans leur quartier car il n’existe aucune façon de mettre les informations à jour. En 2016, les chiffres sont estimés à plus de 250 fusillades par semaine, 1700 morts depuis le début de l’année dont un sur cinq tué par les forces de l’ordre, une centaine de policiers y ont laissé la vie et près de 500 enfants devenus orphelins. L’objectif de cette application: « avertir le gouvernement de l’ampleur du phénomène afin qu’il prenne des mesures sécuritaires ».

Le 16 février 2018, le président Temer a annoncé qu’il placerait la police sous le contrôle des forces de l’armée Brasilia. Cette mesure a été prise pour rétablir l’ordre public qui est gravement atteint par la guerre des gangs de trafiquants que les policiers tentent de contrôler depuis des années. « Le crime organisé à quasiment pris le contrôle de Rio. C’est une métastase qui se propage dans notre pays et menace la tranquillité de notre peuple ». Le fonctionnement des institutions est menacé et la population en est affectée. Les forces armées ont été sollicitées à plusieurs reprises durant l’année afin de participer aux nombreuses opérations policières. Malgré ces interventions majeures, l’incapacité des policiers à reprendre le contrôle des favelas aux trafiquants force le président à prendre une telle décision. « Cette décision a été prise pour défendre l’intégrité de la population, préserver l’ordre public et garantir le fonctionnement des institutions ». Cela permettra la mise en œuvre d’un « système de sécurité plus robuste, mieux coordonné, avec un meilleur service du renseignement. ». Étant donné que la police est ancré dans cette guerre de narcotrafiquants et qu’il y a des problèmes de corruption au sein même de l’organisation, les mettre de côté permettra d’atteindre leur objectif d’assainir Rio.

Le gouverneur d’État qui a mis en place la police pacificatrice est aujourd’hui en prison ainsi que sa femme et plusieurs autres hauts dirigeants. Ils laissent derrière eux les ravages de la pire crise économique qui touche toutes les classes sociales. Les institutions de polices désorganisées, le manque d’éducation, un système de santé défaillant, sans compter la suppression de programmes sociaux, n’aide en rien le pays à se remettre sur pied. Les crimes violents qui ont explosé dans la ville touristique de Rio de Janeiro, où les policiers et malfaiteurs s’affrontent au quotidien, montrent que la guerre contre la drogue est menée par un état faible dont les institutions ne fonctionnent plus.