Frappe policière contre les Hells : Une leçon efficace du passé
Le 15 avril 2009 marqua un moment important dans l’intervention policière au Québec. En effet, l’Opération SharQc de la Sûreté du Québec, dont le but était de réduire l’activité criminelle du groupe de motards des Hells Angels, a été la plus vaste opération policière déployée contre cette organisation criminelle. Bien que l‘Opération SharQc ait fait mal à l’organisation des Hells, ceux-ci sont de retour en 2016 plus fort que jamais. En effet, le retour des Hells se fait sentir dans les bilans de 2017, car ceux-ci sont, à ce jour, les criminels les plus influents et les plus puissants du Québec.
En 2017, les Hells Angels ont pris le contrôle complet du marché québécois de la drogue, à un tel point que les policiers fournissaient aux médias l’information selon laquelle «la province est rouge partout» en faisant illusion au gang également surnommé le Big Red Machine. La Sûreté du Québec a rapidement fait savoir qu’elle n’abandonnerait pas le territoire au profit de l’activité criminelle des Hells Angels. C’est ainsi que le directeur général de la Sûreté du Québec, Martin Prud’homme autorisa la création d’une escouade permanente pour lutter contre les motards. Monsieur Prud’homme fit donc ainsi de la lutte aux motards et à la drogue une priorité nationale avant de prendre la direction du service de police de la ville de Montréal, à la demande du gouvernement, suite au départ de Philippe Pichet. D’ailleurs, le directeur général de la Sûreté du Québec a rassuré les citoyens en garantissant que la Sûreté du Québec protègera le territoire contre cette invasion criminelle. Comme l’inspecteur Guy Lapointe l’a mentionné l’année dernière, M. Prud’homme se donna comme mission de combattre «le feu par le feu» en appliquant une politique de tolérance zéro envers les activités des Hells Angels.
Où en est la lutte contre les Hells Angels actuellement ?
Il semble que la priorité de lutte à l’organisation des Hells Angels soit d’actualité. En effet, le 24 janvier 2018, une cinquantaine de policiers de l’Escouade nationale d’enquête et de répression contre le crime organisé de la Sûreté du Québec procéda à de nombreuses perquisitions liées aux Hells Angels et à leur trafic de stupéfiants au nord-est de Montréal. Bien que l’escouade ayant comme mandat de se concentrer sur les têtes dirigeantes du crime organisé soit chapeautée par la Sûreté du Québec, celle-ci comporte également des policiers de la Gendarmerie Royale du Canada, du Service de police de la ville de Montréal et de la police de Laval.
Bien que la Sûreté du Québec dispose du niveau de service le plus élevé, la Gendarmerie Royale du Canada est tout de même nécessaire dans l’escouade en raison de l’exportation de stupéfiants à travers le Canada et que c’est cette dernière qui a juridiction sur les crimes à l’échelle provinciale en matière de crime organisé. Il est important de préciser que dans cette frappe de l’Escouade nationale d’enquête et de répression contre le crime organisé de la Sûreté du Québec, seulement des perquisitions ont été effectuées et qu’aucune arrestation ne sera effectuée. En effet, les enquêteurs au dossier mentionnent vouloir accumuler de la preuve avant de porter plainte en remplissant une demande d’intenter des procédures et de confier le dossier au procureur de la couronne.
Il est, à mon avis, intéressant de se questionner sur cette décision de ne pas porter d’accusation suite aux perquisitions sous prétexte de vouloir accumuler de la preuve. En effet, malgré l’efficacité dont a fait preuve l’Opération SharQc en terme d’arrestations et d’accusations, en bout de ligne les résultats laissent tout de même à désirer, les méga-procès se conjuguant mal avec l’arrêt Jordan…
Qu’est-ce que l’Arrêt Jordan ?
En juillet 2016, la Cour suprême du Canada a rendu une décision dans laquelle elle fixe de nouvelles balises dans la durée des procédures judiciaires afin de réduire les délais de traitement des causes dans les tribunaux depuis quelques années. C’est ainsi que la plus haute cour de justice a stipulé qu’au moment où des accusations sont déposées par le procureur de la couronne, les causes devraient se terminer en 18 mois maximum pour les causes au provincial et en 30 mois maximum pour les causes au fédéral.
Impact de l’Arrêt Jordan dans la lutte aux Hells Angels
L’Arrêt Jordan, comme l’avaient mentionné les procureurs de la couronne dans le dossier de l’Opération Machine, a eu un effet dévastateur dans d’autres dossiers de crime organisé, dont ceux de l’Opération SharQc. D’ailleurs, la bâtonnière du Québec, Me Claudia P. Prémont, a déclaré au moment de la décision de la Cour suprême que l’Arrêt Jordan a le même effet qu’un électrochoc et que cela sonne l’alarme pour régler le problème de la lourdeur du processus judiciaire.
Ainsi, l’Arrêt Jordan fut bénéfique pour les Hells Angels, car une série d’abandons de procédures ont été effectués avec les accusés de l’Opération SharQc. De cette façon, le 9 octobre 2016, le juge L. Brunton a mis fin aux procédures contre cinq Hells et la Cour d’appel a ensuite statué le 31 août 2016 que les délais de divulgation de la preuve par la couronne avaient été trop longs en lien avec l’Opération SharQc et abrogea ainsi les peines de trente-cinq Hells Angels.
Ce qui est dommage est que l’Arrêt Jordan a eu comme finalité de transformer une des meilleures interventions policières en un échec total. En effet, l’Opération SharQc a permis de procéder à l’arrestation de pratiquement tous les membres des chapitres des Hells Angels ce qui permettait de mettre un terme à l’organisation criminelle. Les conséquences de l’Arrêt Jordan ont jeté le blâme sur les policiers faisant ainsi couler l’encre des médias et alimentant le mécontentement et l’insécurité sociale. En effet, l’Opération SharQc a créé une mauvaise image des combattants du crime, car la police n’avait pas réussi à combler son rôle de Thin blue line en éliminant les Hells du territoire afin de rassurer la population en raison de la problématique de la lourdeur dans les tribunaux.
Apprendre de ses erreurs …
À la lumière de ces informations, il est, à mon avis, juste de dire que l’Escouade nationale d’enquête et de répression contre le crime organisé de la Sûreté du Québec a appris des erreurs de l’Opération SharQc, à savoir les délais dans la divulgation de la preuve. C’est pourquoi l’escouade a stratégiquement choisi de faire uniquement des perquisitions afin de ne pas ruiner leurs chances de faire inculper les Hells Angels responsables du trafic de stupéfiants sur le territoire. Ainsi, les enquêteurs au dossier veulent être certains d’avoir un dossier solide lors du dépôt de la plainte en accumulant le plus de preuve possible pour faire condamner les Hells Angels.
En effet, lors du scandale de l’Opération SharQc, la porte-parole du Parti québécois en matière de justice, Véronique Hivon, avait attaqué le gouvernement et le système de justice en mentionnant que la fin en queue de poisson de l’Opération SharQc avait été occasionnée par « l’improvisation et le manque de gestion total dans le dépôt des accusations» et que cela était la preuve de l’échec du système de justice. L’Opération SharQc a également mis en lumière que les opérations policières sont un outil de contrôle dans une institution bureaucratique gouvernée par le pouvoir politique.
Bref, l’Escouade nationale d’enquête et de répression contre le crime organisé de la Sûreté du Québec assure ses arrières en accumulant le plus de preuves possible afin d’assurer la réussite de l’opération et d’ainsi ne pas être attaquée par les médias et par l’opinion publique comme en 2016.