Deux policiers grièvement blessés en marge d’une intervention en région parisienne

Je sais aussi que certains d’entre vous sont aujourd’hui au travail parce qu’ils font partie des forces armées ou des forces de l’ordre, parce qu’ils sont médecins ou personnels soignants, parce qu’ils sont en charge des transports ou de la continuité des services publics. Je veux ce soir les remercier pour cet engagement.

C’est ainsi que le Président de la République Française, Emmanuel Macron, ouvrait ses traditionnels vœux télévisés aux français le 31 décembre dernier. En remerciant les forces de l’ordre pour leur engagement au service de la sécurité de leurs concitoyens, le jeune président français ne pouvait imaginer que ces derniers allaient, quelques heures plus tard, être victimes d’un déchaînement de violence inouï. C’est pourtant ce qu’il s’est passé à Champigny sur Marne lors de la nuit de la Saint-Sylvestre.

Alors qu’en France, chacun se réunissait avec ses proches pour fêter la nouvelle année, à Champigny sur Marne, en banlieue parisienne, un jeune homme, Djibril, organise une soirée dans un hangar. Jusque-là rien d’anormal, sauf qu’en droit français, une telle manifestation doit être déclarée préalablement en préfecture afin que celle-ci puisse en autoriser ou en interdire la tenue. S’étant plus préoccupé de promouvoir sa soirée en imprimant des flyers et en communiquant sur les réseaux sociaux, Djibril, n’a pas pris soin d’avertir la préfecture de police du Val De Marne (département dans lequel se situe la commune de Champigny sur Marne). Aux alentours de 21h30, près de 800 personnes, s’amassent devant le hangar. A la porte, deux vigiles, vraisemblablement mandatés par l’organisateur filtrent les participants. Selon plusieurs personnes présentes sur place, l’attente est très longue et l’ambiance tendue. Un témoin interrogé déclare ainsi à l’AFP (Agence France Presse) « Il y avait une queue énorme, c’était pire qu’à Disneyland (…) Il y avait des gens qui ont attendu trois heures, on leur a dit de partir, ils ont pété un câble ».

Débordé par la tournure des événements, l’organisateur de la soirée décide de composer le 17 pour appeler la police. Une équipe de CRS est dès lors dépêchée sur place, elle arrive dans les délais normaux. Rappelons que l’organisation de la police française est différente de celle de la police canadienne ; alors que la première se veut centralisée selon un modèle d’organisation étatique jacobin, la seconde est beaucoup plus décentralisée selon un modèle d’organisation étatique girondin.

Dès leur arrivée sur place, les agents de police tentent de disperser les individus présents sur place à l’aide de tirs de flashball et de gaz lacrymogènes.  L’utilisation de telles armes, souvent critiquées pour leur dangerosité , témoigne de la complexité et du climat délétère qui régnait lors de l’arrivée des forces de l’ordre sur place. En réponse aux tirs des policiers, les individus présents sur place se mirent à lancer sur les forces de l’ordre des objets allant de la brique au pavé en passant par l’extincteur. Mais les policiers parvinrent petit à petit à disperser les individus qui prirent la fuite.

C’est lors de la fuite des individus vers la sortie de la zone industrielle dans laquelle se trouvait le hangar, que l’événement le plus dramatique de la soirée se produit. En fuite, des jeunes tombèrent nez à nez avec deux agents de polices postés arrières de leurs camarades. Seuls, les deux agents furent pris à partis par les individus en fuite qui, après avoir compris que les deux policiers étaient seuls, les passèrent littéralement à tabac les laissant gisant sur le sol.  Récupérés par leurs collègues, les deux victimes furent transportées à l’hôpital. A la vue de leurs graves blessures, un médecin leur accorda une Interruption Totale de Travail (ITT) de 17 jours.

FRANCE-POLICE-POLITICS-UNION-PROTEST

Manifestation de policiers en soutien à leurs collègues blessés

Si j’ai choisi de présenter dans ce billet ce qui s’apparente à un banal fait divers, c’est parce qu’il permet en fait de poser plusieurs questions parmi lesquelles celles de l’organisation de la police en France et de la légitime défense des policiers.

Comme évoqué plus haut, la police française est, contrairement à la police canadienne, très centralisée. Dans la situation présente, c’est donc la police nationale qui a été dépêchée sur place. Au Canada, Champigny sur Marne comptant 76 500 habitants, c’est une police municipale de niveau 1 qui aurait été envoyée sur les lieux. La question qu’il convient donc de se poser est la suivante : quel type de police permet de répondre le plus efficacement à des événements comparables à ceux survenus à Champigny sur Marne la nuit de la Saint-Sylvestre ?

La brigade de police nationale dépêchée sur place dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier, dépendait du préfet de police du département du Val de Marne qui tient lui même son autorité et sa légitimité du ministre de l’intérieur. Les policiers dépêchés sur place n’avaient donc pas une exacte connaissance des lieux dans lesquels ils allaient être amenés à intervenir. Or, on peut imaginer qu’une police municipale, aurait eu une plus grande connaissance du terrain, n’aurait pas été prise au dépourvu et peut-être cela aurait pu épargner les deux policiers blessés. Si cet argument semble simple, il est de plus en plus partagé en France a tel point que lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 2017, le candidat Emmanuel Macron promettait de mettre en place une « police de sécurité quotidienne » plus proche des citoyens. Rapprocher les policier des citoyens et du terrain leur permettrait ainsi de mieux connaître les théâtres d’intervention d’une part et éventuellement de constater, avant que la situation ne dégénère, qu’une soirée non autorisée était organisée.

L’autre question sur laquelle nous devons réfléchir au prisme de cette tragique histoire, c’est celle de la légitime défense des policiers. Ici, nous sommes en présence de deux policiers, dont une policière, seuls, subissant les coups de poings et de pieds de plusieurs individus non armés. En droit français, un policier peut utiliser son arme, pour se défendre, de manière « immédiate » et « proportionnelle » à condition que la menace soit « réelle ». Dans le cas que nous étudions ici, on peut considérer que la menace était bien réelle (puisque le pronostic vital de la policière a été engagé 36 heures) et que les deux gardiens de la paix étaient en mesure de répondre immédiatement à leurs agresseurs. C’est le terme de riposte « proportionnée » qui pose problème ici. Face à des individus non armés, les policiers n’ont, en effet, pas le droit de faire feu, quelques soit la violence de leurs agresseurs. Pour mieux protéger leurs forces de l’ordre, les gouvernements occidentaux ont-ils intérêt à assouplir leurs législations en matière de légitime défense policière ?

Face à la flambée des violences visant les forces de l’ordre, les syndicats de policiers français réclament cet assouplissement. En fin de mandat, François Hollande et le gouvernement sous l’autorité du Premier Ministre Bernard Cazeneuve, ont ainsi fait voter une loi alignant le régime de légitime défense des policiers sur celui des gendarmes. Saluant cette petite avancée les syndicats policiers demandaient au gouvernement d’aller plus loin en leur autorisant à porter leurs armes de service en dehors de leurs heures de service. Le principal argument des syndicats de policiers était le suivant : les policiers sont de plus en plus suivis et pris à partis, parfois à leur domicile et sans leur uniforme. On rappellera à ce sujet l’assassinat d’un policier et de son épouse à leur domicile à Magnanville en juin 2016 ou encore l’assassinat du jeune policier Xavier Jugelet sur les Champs-Elysées au mois d’Avril 2017. Parallèlement à cette recrudescence des violences visant les forces de l’ordre, les violences policières sont également de plus en plus misent à l’agenda. Le décès de Rémi Fraisse en marge d’une manifestation contre le projet de voyage de Sievens (Tarn) ou encore la très violente interpellation du jeune Théo à Aulnay sous Bois en janvier 2017.

Armer les policiers en risquant une multiplication des affaires de violences policières ou au contraire maintenir la législation actuelle au risque de mettre en danger les agents de l’Etat. Tel est le principal dilemme que doit affronter le gouvernement français de nos jours mais qu’à notre modeste niveau, il est impossible de trancher.