Solliciter des victimes d’actes criminels à retirer leurs plaintes pour atteindre les objectifs statistiques policiers

Le 26 avril 2017, le bureau de l’audit de Queensland en Australie a déposé un rapport concernant l’administration de la justice criminelle de l’État pour l’année financière 2016-2017 en ce qui a trait à l’exactitude et l’intégration de données. Ledit rapport révèle au public un nombre inacceptable de données criminelles enregistrées par le Service de police de Queensland (SPQ) qui sont inexactes et faussement classées en ce qui concerne le type de crime commis et où il se positionne dans les étapes de l’enquête (résolu, non résolu, non fondé, etc.). Par ailleurs, en faisant l’évaluation de la qualité de la collecte, l’utilisation et la diffusion de données par les autorités judiciaires de Queensland, l’audit de l’État à lever le voile sur la manipulation statistique du SPQ pour atteindre les objectifs de l’organisation policière. Cette source ouverte qu’est le rapport déposé par le bureau de l’audit de Queensland, permet au grand public de s’informer de la défaillance des autorités anti-crime sur le territoire de la Côte d’Or, notamment par l’entremise des médias.

Ce que Herbert Packer, professeur de droit et criminologue, propose comme l’un des modèles du système de justice criminelle dans son livre « The Limits of the Criminal Sanction » en 1968, se trouve à illustrer l’application de la loi et du maintien de l’ordre par le Service de police de Queensland. Effectivement, Packer avance la philosophie du   « crime control » (efficacité anti-crime) et celle du « due process » (respect de la procédure criminelle). La deuxième signifie de respecter les droits du citoyen en exécutant la justice conformément à la loi, et ce, en donnant aux moyens employés la même importance que celle donnée aux buts. Ceci dit, c’est la première philosophie, c’est-à-dire le « crime control » qui nous intéresse dans cette affaire. De manière à réduire le taux de criminalité, le rapport de l’audit indique que l’organisation policière de la Côte d’Or a fait appel à différentes méthodes dans le but d’encourager les victimes à retirer leurs plaintes. Selon le rapport, ces duperies sont devenues la norme plutôt que l’exception. Une attention malsaine sur l’atteinte des objectifs de performance a dominé sur la présentation de données de qualité et qui sont fidèles à la réalité. En quelques mots, les allégations de pression sur les victimes pour renoncer aux plaintes contre les dommages qu’elles ont subis (agression, cambriolage, vol et méfaits délibérés) renvoient à une forme de corruption, notion que nous aborderons quelques lignes plus loin. Les faits précédents font écho à ce que Packer décrit comme la priorisation de l’atteinte des buts pour combattre le crime sans s’attarder trop longtemps sur les moyens – la loi du « il faut ce qu’il faut ». Ce modèle mise sur la comparaison de la productivité de services policiers avoisinants à travers des données mathématiques (statistiques). Appliqué au SPQ, le modèle du « crime control » implique de fausser les données statistiques sur les crimes pour créer l’impression que moins d’infractions criminelles se produisent que ce que révèle la réalité. C’est aussi d’enregistrer les infractions comme moins sérieuses que ce qu’elles sont vraiment.

Pour mieux comprendre l’étendue de cette affaire, permettons-nous un retour dans les années 1990-2000 où l’État de New-York a fait face à de multiples critiques de la part de la population en raison de la manipulation statistique à laquelle elle a eu recours pour répondre à la pression hiérarchique de la police. Tout comme dans les allégations qui pèsent actuellement contre le Service de police de Queensland, l’organisation policière désirait couvrir la réalité criminelle pour s’approcher des quotas fixés. Alors que la criminalité est, comme partout ailleurs, à la hausse durant ces années, l’initiative « CompStat » prend forme. Cette collecte et analyse de statistiques de la criminalité répond à ce qu’on appelle la gestion par objectifs. Les hauts placés d’organisations policières rencontrent les commandants de districts de New-York afin de contrôler et surveiller leur façon de faire le policing. Le rapport du bureau de l’audit de Queensland déclare que les policiers de la Côte d’Or tentent d’afficher une meilleure image du taux de criminalité sur leur territoire en sollicitant des victimes à retirer leurs plaintes. Il est ajouté que les statistiques criminelles sont, au mieux, questionnables et à se méfier dans le pire des cas étant donné qu’elles passent inaperçues ou ne sont simplement pas adressées par les niveaux supérieurs de l’organisation policière. Cela dit, les données doivent être consultées avec prudence. En effet, dans le passé, bon nombre de doigts ont été pointés sur New-York parce qu’il enregistrait les infractions comme moins sérieuses que ce qu’elles étaient vraiment causant ainsi une diminution artificielle de la criminalité.

Statistics-sectionPosons maintenant un regard sur l’idée d’une possible corruption qui chatouille l’esprit de plusieurs concernés par les révélations du rapport de l’audit de Queensland. D’abord, « corruption » répond à la définition suivante : accepter quelque chose en violation de ses devoirs ; faire ou ne pas faire une chose en échange d’un cadeau ou d’une rémunération. Cependant, M. Paul Carney, ex-agent de la paix après 12 ans de service pour le SPQ et entrepreneur moral dans cette affaire, a expliqué que pour s’appliquer à la problématique, on peut également définir la corruption de la façon qui suit : quelqu’un qui obtient un avantage par une inconduite, soit un comportement malhonnête visant la tromperie. La corruption dont il est question en ce qui concerne le SPQ en est effectivement une de mauvaise conduite où des agents violent des règles internes de l’organisation en faisant usage de stratégies, c’est-à-dire, entre autres, de moyens illégaux ou contraires à la déontologie pour faciliter le travail policier. Le rapport fait mention d’une variété de tactiques pour déjouer la réalité statistique. D’abord, afin qu’elles abdiquent à leur plainte, des lettres sont envoyées aux victimes exigeant qu’elles répondent à l’intérieur d’un délai de 7 jours, sans quoi, il serait présumé qu’aucune autre mesure n’était désirée, annulant la plainte. Ensuite, l’organisation aurait adopté une politique des « trois coups ». Selon celle-ci, une plainte serait retirée si une victime n’est pas jointe après 3 tentatives. M. Carney ajoute aussi que certaines infractions criminelles n’étaient jamais enregistrées dans l’objectif de masquer la criminalité. Dans ce même ordre d’idées, une autre méthode pour manipuler les chiffres était, selon le rapport de l’audit, de changer le statut des rapports criminels. Ces derniers passaient de « non-résolus » à « non fondés ». Tout bien considéré, le criminologue de l’Université de Bond, Dr Terry Goldsworthy, a affirmé qu’il est maintenant impossible d’avoir une idée exacte du phénomène criminel sur la Côte d’Or. Parallèlement, cette déviance policière pose un problème opérationnel : les données géographiques sur le crime étant imprécises, comment la police sait-elle quels endroits nécessitent des ressources et des services ?

Somme toute, de manière à gouverner, voire mettre en place des activités pour contrôler les pratiques de la police, il est suggéré de confier le mandat de collecte et d’analyse des statistiques criminelles à un bureau indépendant plutôt qu’à l’interne comme c’est le cas actuellement. Différents acteurs de l’État de Queensland sont désireux de mettre en place cette forme politique de gouvernance pour mettre fin à la manipulation délibérée de la criminalité au sein du SPQ. À cet effet, la ministre de la Justice, Mme Yvette D’Ath affirme qu’à partir du rapport, elle va être en mesure d’établir un corps indépendant pour gérer les données quantitatives. Mme D’Ath précise que cette façon de faire assurera une meilleure confiance du public envers les statistiques.

Sur une note positive, le 26 avril 2017, le ministre de la police de Queensland, Mark Ryan, a dirigé ses paroles au public en invitant toute personne qui sent qu’elle a été contactée par la police de façon inappropriée de le laisser savoir. Il souligne qu’il fait référence à un processus de plaintes et que les meilleurs standards sont attendus de la police de Queensland.