Cellulaire au volant, le Québec manque-t-il de mordant?
Depuis 2008, tous les conducteurs de véhicule automobile au Québec doivent savoir qu’il est interdit de faire usage d’un téléphone cellulaire au volant. Pourtant, selon plusieurs statistiques et selon les campagnes de sensibilisation mises de l’avant par la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), le message semble avoir de la difficulté à passer. La loi manque-t-elle de mordant? C’est ce que croit le coroner Yvon Garneau dans sa sortie médiatique de janvier dernier. Dans son rapport, il demande de hausser le nombre de points d’inaptitude de 4 à 9 pour les infracteurs.
C’est un triste événement, survenu le 8 mai 2016 sur la route 122 à Saint-Edmond-de-Grantham, qui est à l’origine de la sortie médiatique du coroner. Selon l’enquête des policiers, un véritable cocktail d’infractions serait en cause dans la perte de contrôle qui a coûté la vie à Fabien Charron. Il est question notamment de capacités affaiblies par l’alcool et la drogue, de vitesse excédant la limite permise et de divers problèmes mécaniques du véhicule. Cependant, un facteur retient l’attention du coroner dans cette suite funeste : l’usage d’un téléphone cellulaire au volant.
Dans le traitement de cette nouvelle, les médias semblent avoir choisi de mettre l’emphase sur la hausse des points d’inaptitude. En effet, les grands titres observés accordent une place importante aux 9 points demandés par le coroner. Cette hausse, bien que potentiellement dissuasive, peut être traitée de manière à frapper l’imaginaire collectif. Par exemple, Radio-Canada fait valoir que si le nombre de points d’inaptitudes était majoré, l’article de loi aurait le même effet dissuasif que les 9 points d’inaptitudes imposés aux conducteurs qui mettent en danger la vie des écoliers en dépassant illégalement un autobus scolaire. Malgré son aspect frappant, cette nouvelle peut être examinée avec un certain recul et surtout, avec l’éclairage de ce qui existe dans d’autres juridictions.
Une brève analyse démontre qu’il n’y a pas de disparité notable concernant les points d’inaptitudes au Canada pour ce type d’infraction. La moyenne des points émis par les provinces est de 3.75, ce qui est légèrement inférieur à la loi québécoise. Cependant, c’est au niveau des amendes que les différences sont présentes. Au Québec, les infracteurs doivent débourser 80 $, sans compter les frais judiciaires. Près de nous, en Ontario, l’amende minimale est fixée à 490$. Dans les provinces de l’Atlantique, il en coûte en moyenne 252 $. Un examen plus approfondi fait ressortir que certaines provinces accompagnent l’application de cette interdiction par d’autres mesures dissuasives. Par exemple, en Colombie-Britannique, l’amende pour une deuxième infraction est majorée et le récidiviste est soumis à une évaluation automatique, ce qui peut mener à une interdiction de conduire allant de 3 à 12 mois. Autre exemple, les Territoires du Nord-Ouest ont doublé le montant de l’amende lorsque l’infraction a lieu dans des zones scolaires ou de construction. Fait intéressant, en plus d’interdire les appareils de communication portatifs, la Colombie-Britannique et l’Ontario ont aussi interdit l’utilisation d’appareils électroniques portatifs de divertissement au volant. En somme, au Canada, il existe donc d’autres mesures pouvant augmenter la dissuasion, tout en admettant le caractère plus large du phénomène de la distraction au volant. D’ailleurs, aux États-Unis, 80 % des collisions impliquent une forme d’inattention de la part du conducteur qu’elle soit reliée à l’usage du cellulaire ou non.
En plus de la diversité des alternatives législatives abordées plus haut, les gouvernements pourraient être tentés d’envisager des solutions technologiques pour mener à bien le contrôle de cette infraction. En fait, de nos jours, la technologie joue un rôle important dans le policing moderne, notamment en ce qui touche à la sécurité routière. Conséquemment, certains partenaires visés par la sécurité routière font valoir des pistes à explorer. Par exemple, il y a notamment l’installation d’un système de brouillage d’ondes dans les automobiles, les applications visant à bloquer le téléphone cellulaire dans un véhicule et l’utilisation de la reconnaissance vocale. Selon une perspective davantage répressive, les agences d’application de la loi pourraient utiliser la vidéosurveillance dans des endroits ciblés afin de détecter les fautifs et ainsi orienter leurs interventions. L’usage de ce procédé par les forces de l’ordre est déjà bien présent dans d’autres juridictions et pourrait servir spécifiquement à intervenir face à cette infraction.
Enfin, la sortie du coroner Garneau au sujet de l’accident survenu à Saint-Edmond-de-Grantham souligne à grands traits le danger d’utiliser le téléphone cellulaire au volant et surtout la possibilité d’augmenter le nombre de points d’inaptitude pour cette infraction. Malgré l’emphase médiatique sur l’augmentation des points, il existe d’autres mesures pouvant accompagner l’application de cet article de loi. De plus, malgré le danger avéré de commettre cette infraction, la notion de distraction en général, semble quelque peu évacuée du débat. Certes, la technologie peut également jouer un rôle de premier plan dans la prévention par l’utilisateur, mais aussi dans l’application de la loi par les corps policiers. Reste à voir ce qui va ressortir de la consultation publique sur la sécurité routière. Une première consultation de ce type au Québec qui a pris fin en mars dernier. Ce dossier sera donc intéressant à suivre puisque, ne l’oublions pas, il est du ressort des parlementaires de voter des amendements à la loi afin que le message soit mieux compris des conducteurs distraits et dangereux!