Un nouveau comité de surveillance pour les activités de renseignement
Au début du mois d’avril, un projet de loi visant principalement la création d’un comité parlementaire de surveillance des opérations de renseignements au pays a été finalement adopté par la Chambre des communes à Ottawa. Le projet de loi C-22, qui avait été initialement été déposé en juin 2016, prévoit la création d’un comité de neuf membres, constitué majoritaire d’élus avec sept députés et deux sénateurs, et dont seulement quatre membres seront issus du gouvernement. Il est présenté par le ministre de la sécurité publique comme étant un comité « indépendant et non partisan » puisque comptant des membres de plusieurs partis politiques. Rappelons à ce stade-ci qu’un organisme, le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS), créé du même souffle que le SCRS dans la foulée de la commission McDonald en 1984, a justement comme mandat unique de surveiller les activités de l’agence de renseignement.
Le mandat du comité parlementaire serait cependant différent de celui du CSARS et ce tant dans sa constitution que dans son fonctionnement. Mentionnons d’abord que le CSARS est constitué de membres nommés à cette position par le gouverneur en conseil et que ceux-ci doivent faire partie du Conseil privé. Ses membres ne sont donc pas nécessairement des élus, ni même d’anciens élus, bien que jusqu’à maintenant plusieurs des membres de ce comité ont œuvré près des sphères politiques ou ont déjà été député. Étant ainsi nommés, ils ne sont pas, en théorie selon nos règles constitutionnelles, directement redevables envers les citoyens et ceux-ci n’ont donc que peu de leviers pour faire connaitre un possible désaccord. En revanche, sept des membres du nouveau comité seront directement élus par la population. Les sénateurs pour leur part sont nommés par le Premier-ministre après recommandation d’un comité.
Une autre différence importante est la portée des mandats. Le CSARS ne surveille que les activités de renseignement du SCRS, cependant le nouveau comité aurait la possibilité d’examiner toutes les opérations de sécurité nationale, que ce soit par le SCRS, la GRC ou tout autre organisme émanant du gouvernement fédéral. Au-delà de cela, l’accès dont les deux comités bénéficient diffère en certains points. Le CSARS a l’accès absolu à toutes les activités du SCRS et ce peu importe leur classification, que ce soit non protégé, secret ou encore très secret. La seule limite en ce qui concerne les documents auxquels ils ont accès selon leur mandat se situe au niveau des document confidentiels du conseil des ministres qui ne leur sont pas accessibles. Pour leur part, l’accès du nouveau comité parlementaire pourrait se voir restreint si le ministre de la sécurité publique, juge, par exemple, que cet accès pourrait représenter un danger pour la sécurité nationale dans un cas précis. Finalement, une dernière distinction existe sur ce qui régit, officiellement, les différents comités. En tant que membre du Conseil privé, les membres du CSARS doivent donc suivre les lignes directrices édictées dans la Loi sur les conflits d’intérêts, les Lignes directrices en matière d’éthiques et de normes de conduite prévues par la loi et les Lignes directrices régissant les activités politiques des titulaires de charge publique. Pour leur part, le comité parlementaire dépendrait essentiellement, en plus des règles habituelles pour les députés et les sénateurs, des décisions du ministre et donc du Cabinet. Bien entendu, les membres du comité devraient obtenir, comme tout fonctionnaire ayant accès à ces renseignements, une habilitation de sécurité et prêter serment de confidentialité. Il est intéressant de noter que l’action du CSARS est principalement réactive, notamment suite à des plaintes alors que le comité parlementaire pourrait, en plus de faire des recommandations, établir des priorités.
Outre l’éventuel conflit administratif d’avoir deux organes surveillant les mêmes activités, ces différents éléments peuvent avoir une incidence toute particulière. C’est d’autant plus le cas en ce qui concerne une partie de ce qui est considéré comme étant du renseignement de sécurité. Alors que pour des affaires de terrorisme ou d’échange de renseignements avec d’autres États, il n’y a que peu d’impact que les membres du pouvoir législatif en place puisse réagir aux politiques ou établir des priorités, en ce qui concerne l’ingérence étrangère, cela peut poser problème. Encore aujourd’hui, il y a plusieurs affaires de par le monde laissant suggérer une ingérence d’État étranger dans des hautes sphères politiques d’un pays, ou à tout le moins une apparence d’ingérence. Il deviendrait donc problématique que des décideurs du pays soumis à ces influences puisse être mis au fait d’enquêtes à leur sujet. Bien qu’aucune histoire de la même ampleur n’ait fait surface concernant le Conseil privé, certains membres du CSARS ont défrayés les manchettes pour des cas d’apparence de conflit d’intérêts, notamment le cas de Philippe Couillard en 2010, mais aussi pour des cas plus avérés d’accusations criminelles, dans le cas d’Arthur Porter ou encore des rumeurs d’un certain copinage dans les nominations ou de non-respect des lignes directrices. Le cas Porter est par ailleurs très sensible puisque celui-ci a été le directeur du CSARS pendant près d’un an, en plus d’en avoir été membres plusieurs années. Dès lors que des accusations criminelles ont été intentées contre lui par le gouvernement canadien, et suite à son exil au Panama, des voix se sont levées pour faire état de préoccupations sur les renseignements dont il a pu être mis au courant lors de son passage dans le Comité, renseignements qu’il pourrait utiliser afin de négocier un abandon de procédures par exemple ou tout simplement pour nuire au Canada.
Cette situation illustre bien le précaire équilibre entre les besoins de sécurité d’un côté, ainsi que l’importance que joue le secret et l’hermétisme dans l’administration de la sécurité, et de l’autre les intérêts des principes de justices fondamentaux mais surtout la transparence. Bien que l’hermétisme et le secret dans le milieu de la sécurité ne soient pas une garantie ou un indicateur que quelque chose se passe, notre société accorde une importance particulière au respect des apparences et à la plus grande transparence possible. De plus, il convient d’être réaliste et de reconnaitre que ces différents pôles peuvent être influencés, ou non, de part et d’autres par des enjeux politiques. Que ce soit le sentiment parfois erroné que les opérations de sécurité se doivent d’être systématiquement hermétique et secrète, autant dans les procédures que dans les opérations, sentiment qui est souvent encouragé par la culture dans le milieu sécuritaire, ou encore les intérêts électoraux et politiques que peuvent avoir les parlementaires et l’avantage notable que peut jouer la protection des citoyens et de leurs droits dans les stratégies auprès du public, chacun de ces pôles a un intérêt à vanter sa position le plus possible, aux dépens d’un milieu modéré peut-être plus adéquat. Le temps nous dira par ailleurs si la création de ce comité servira éventuellement d’argument pour l’abolition du CSARS, celui-ci devenant redondant et potentiellement caduque avec le mandat du comité parlementaire. Il serait attendu cependant que le Conseil privé insiste pour conserver cette prérogative, même si c’est en garde partagée avec les parlementaires.