GRC : La surveillance utilisée à des fins antisyndicales
Le mois dernier, des agents de la Gendarmerie royale du Canada impliqués un processus de syndicalisation ont confié à Radio Canada avoir fait l’objet de surveillance par des collègues, visiblement mandatés par l’employeur à des fins d’intimidation et de dissuasion. Une plainte pour pratique déloyale a d’ailleurs été récemment déposée à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP). Dans un article exclusif mis en ligne le 29 mars 2017, ICI Ottawa-Gatineau dévoile le témoignage d’un policier qui, sous le couvert de l’anonymat, affirme que lui et plusieurs confrères au pays ont été photographiés alors qu’ils se dirigeaient à des réunions visant à mettre sur pied un syndicat. Toujours selon ses dires, leurs noms auraient été pris en note tandis que leur véhicule de patrouille aurait été secrètement fouillé. Il semblerait que ces mesures servent à discriminer les policiers impliqués et à leur nuire dans l’avancement de leur carrière respective.
Dans le libellé de la plainte déposée, le vice-président de l’Association des membres de la police montée du Québec (AMPMQ), le caporal Charles Mancer affirme quant à lui que des enquêteurs de son unité se sont fait ordonner d’utiliser les caméras de surveillance du corps de police à des fins d’espionnage des représentants des associations syndicales. Ce contrôle de l’action syndicale s’étendrait même jusqu’aux médias sociaux, où les agents sont tenus de ne pas nuire à l’image de la GRC. D’un point de vue stratégique, cette dernière mesure est particulièrement contraignante pour ces policiers qui se servent de ces plateformes pour recruter de futurs membres un peu partout au Canada. De son côté, la direction de la Gendarmerie réfute toutes ces allégations.
Il faut savoir que ce conflit de travail ne date pas d’hier. À ce jour, les agents GRC forment le dernier corps de police d’importance non syndiqué au pays, malgré le fait que la Cour suprême leur ait reconnu ce droit en janvier 2015. Le tribunal avait alors rendu sa décision en stipulant que le régime de relation de travail de l’employeur brimait la liberté d’association des travailleurs, un droit inscrit dans la Charte canadienne des droits et libertés. Le gouvernement alléguait alors que cette exclusion était nécessaire pour préserver la neutralité et l’efficacité du service de police.
Cette affaire est d’intérêt pour l’étude du policing dans la mesure où elle nous renseigne sur les dynamiques de contrôle interne au sein de la gouvernance de police fédérale. Au-delà de cette « culture de la peur » évoquée par ces allégations, ces formes d’outrage de la direction dans le processus d’accréditation syndicale de ces employés contreviennent aux normes du travail, selon le professeur de relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (UQO) Jean-François Tremblay. Cette situation est paradoxale puisque l’application de la loi est pourtant l’un des fondements théoriques de l’activité policière depuis l’ère réformiste des années 1960. Rappelons que la direction de la GRC a déjà fait l’objet de plusieurs controverses au niveau de ses pratiques institutionnelles par le passé. Dans les années 1970, les dérives sécuritaires perpétuées au Québec à l’endroit du mouvement souverainiste, révélées par les commissions McDonald et Keable, avaient d’ailleurs mené au retrait des activités de surveillance de son mandat, et de ce fait, à la création du SCRS, un nouvel organisme de renseignement civil.
Si les informations de Radio-Canada s’avèrent fondées, cela signifiait que la direction de la GRC utilise ses ressources humaines et ses technologies de renseignement à des fins de réprimande et de dissuasion vis-à-vis de son personnel. L’article mentionne d’ailleurs que depuis sa plainte, l’agent Mancer fait face à des sanctions disciplinaires pour avoir fait la promotion du syndicalisme sur son lieu de travail. En raison de la structure institutionnelle de la GRC, les plaignants ont très peu de recours contre l’employeur, considérant que le Programme de représentants des relations fonctionnelles (PRRF) est sous la direction de la Gendarmerie. Peu importe le contexte, une plainte déposée dans un organisme, à l’endroit de ce même organisme, ne garantit pas un traitement objectif.
En attendant l’adoption par le Parlement du controversé projet de loi C-7, qui doit encadrer le processus de syndicalisation de la GRC, il sera intéressant de constater la façon dont la direction de la Gendarmerie, avec son mode de régulation par les plaintes, va réagir au mécontentement de certains de ces agents. L’échec des tentatives d’implantation d’un modèle de police communautaire au Québec montre bien que la collaboration des agents et de leur syndicat et essentielle à l’application des politiques imposée par la direction. L’histoire de la police aux États-Unis, et plus particulièrement à New York, témoigne quant à elle que des conditions salariales jugées insatisfaisantes par les agents ouvrent la voie à la corruption. Selon Pierre-Yves Bourduas, ex-sous-commissaire à la GRC cité dans l’article, les policiers fédéraux n’ont pas obtenu d’augmentation au cours des dernières années et gagnent aujourd’hui environ 20 000 $ de moins que leurs homologues provinciaux de Calgary ou d’Edmonton. Pour maintenir l’intégrité et efficacité du service de police, la direction et les agents de la GRC n’auront d’autre choix que de trouver rapidement un terrain d’entente.