Le «prince du pot» : enquête et médias

Au matin du 15 décembre dernier, huit magasins de la chaîne britanno-colombienne Cannabis Culture ouvraient leurs portes à Montréal. Le copropriétaire âgé de 58 ans, Marc Emery, s’autoproclamant le « prince du pot », promettait d’en ouvrir dix au total. L’ambition fut de courte durée. Moins de 48 heures plus tard, le 16 décembre au soir, six des huit commerces vendant illégalement de la marijuana à tout individu âgé de 19 ans et plus, furent la cible de perquisitions par des dizaines d’agents du Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM). Dix personnes, dont M. Emery, ont été arrêtées et accusées de complot, de trafic de stupéfiants et de possession dans le but d’en faire le trafic. Quant aux deux emplacements non visés par la police, ils ne présentaient plus d’activités. « Les policiers ont saisi 18 [kilogrammes] de cannabis, de l’argent comptant et de l’équipement servant au trafic de cannabis », nous apprend La Presse.

Comparaissant le samedi suivant, M. Emery obtint sa remise en liberté à condition de verser un dépôt de 5000 $, de s’engager à garder la paix et de promettre de résider à son domicile de Toronto. Il lui est également interdit de communiquer avec les neuf autres individus ciblés par les arrestations, d’entrer en contact avec des personnes liées à la culture de marijuana en sol québécois et de posséder ou de consommer des stupéfiants, sauf si une prescription médicale l’y autorise. En ce qui concerne les autres accusés, ils furent relâchés dans la nuit du 16 décembre, sous promesse de comparaître. M. Emery retournait en cour le 15 février pour poursuivre les procédures législatives. Étrangement, aucun média n’a produit d’article relatant le déroulement de ce passage devant le tribunal.

Plus récemment, on apprenait que c’est le premier article de La Presse, publié trois jours avant les perquisitions et indiquant l’emplacement approximatif de trois futurs locaux de Cannabis Culture, qui a engendré la suspicion policière envers l’entreprise et déclenché l’enquête du SPVM. Une douzaine d’appels provenant de citoyens auraient également « justifié l’intervention policière » par la suite.

Le SPVM a d’abord entrepris de surveiller les trois immeubles suspects, notamment en épiant les individus qui s’y présentaient, de même qu’en relevant l’immatriculation de ces derniers, avant que cela ne les mène à découvrir les cinq autres futurs postes de vente de la chaîne. Les forces de l’ordre auraient également contacté M. Emery pour le dissuader de poursuivre ses démarches pour établir sa franchise à Montréal. Comme on le sait, cette tentative échoua. Une fois les magasins ouverts, le SPVM envoya des agents d’infiltration sur les lieux et utilisa des billets de banque marqués pour démontrer la vente illégale de cannabis à des individus sans prescription médicale. Une agente infiltrée aurait notamment reçu l’offre de « travailler comme vendeuse pour eux à partir de la semaine prochaine pour 14 $ au noir. »

Trois modalités de l’activité policière sont en jeu dans cette situation. Il s’agit d’abord d’une belle illustration du mythe de la proactivité policière. En effet, alors que l’on conçoit aisément, entre autres grâce aux représentations de la police qui émanent du cinéma ou des séries télévisées, que les forces de l’ordre sont constamment à l’affût de la moindre possibilité de désordre ou continuellement en train de traquer le crime, il s’avère que le travail policier est majoritairement réactif. Seul 3 à 5 % des activités policières seraient proactives. Bien qu’il soit vrai que la police soit ici intervenue sur le terrain, il n’en demeure pas moins que le déclenchement des opérations fut provoqué de manière externe.

Cela nous amène à traiter de la relation entre la police et les médias, puisque ce sont justement ces derniers qui ont produit l’information d’une future vente illégale de marijuana. Alors que l’opinion des policiers est majoritairement défavorable à l’égard du journalisme, ce qui s’illustre notamment par le fait que la communication directe entre police et médias ait été abolie au profit d’un département de relations publiques, il semble que les journaux puissent parfois être utiles aux services de police. Ce fut le cas dans l’affaire Emery, bien que l’information n’était pas directement dédiée au SPVM. Ajoutons que les appels provenant du public ont été une forme de collaboration citoyenne à la police dans cette histoire. C’est ainsi que les médias et le public peuvent être d’une grande aide à une police fortement réactive.

Finalement, les méthodes employées par le SPVM renvoient à la distinction entre investigation et instigation. Les policiers ont d’abord entrepris ce qui s’apparente à une investigation classique : surveillance et recherche des identités. N’ayant pas réussi à empêcher l’ouverture des boutiques illégales, l’instigation, au cours de laquelle le crime est provoqué de manière plus proactive par la police, s’avéra nécessaire pour prouver l’illégalité des activités de Cannabis Culture. Agents infiltrés et achats permirent au SPVM d’arrêter et d’inculper M. Emery et ses associés.