Les suspensions se poursuivent au SPVM

La crise qui secoue le Service de police de la Ville de Montréal se poursuit. Les allégations de fabrication de preuves émises à l’endroit du SPVM par d’anciens hauts gradés de l’organisation soutenant ayant été injustement démis de leurs fonctions font boule de neige. Après le déclenchement par le ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux, d’une vaste enquête administrative à la fin du mois de février, sont officiellement suspendus le 22 mars l’inspecteur Martin Renaud et le commandant Pascal Leclair pour cause d’« allégations criminelles ». Rappelons que la Sûreté du Québec (SQ) chapeaute présentement la révision de tous les dossiers des enquêtes internes du SPVM. Très peu d’informations sont présentement disponibles quant aux causes précises de la suspension de l’inspecteur Renaud. Toutefois, le journaliste Patrick Lagacé fait la lumière sur le processus qui a mené à la suspension du commandant Leclair. Relatons les faits.

L’affaire débute en mai 2011 lorsqu’Isabelle Côté, policière au SPVM, est la cible de lettres anonymes envoyées dans les postes de police. Une enquête est alors déclenchée pour trouver la source de l’envoi. Entre-temps, M. Leclair devient le patron du service responsable de ladite enquête. Or, il cacha tout ce temps son lien personnel avec Mme Côté. Ce n’est qu’un an plus tard, en mai 2012, que l’enquêteur chargé du dossier eut vent du rapport personnel entre son patron, M. Leclair, et Mme Côté. « Ce conflit d’intérêts représentait une entorse aux règles déontologiques policières », nous dit M. Lagacé, citant ses sources. Le commandant était dans l’obligation de révéler la nature de son rapport avec la policière sous enquête. Pourtant, à ce moment, la division des Enquêtes internes du SPVM n’intervint pas.

Il semble que sa proximité avec l’ancien directeur adjoint du SPVM, Bernard Lamothe, lui aussi récemment suspendu suite à l’enquête de la SQ, ait valu à M. Leclair une certaine immunité face à ses écarts déontologiques. Les sources de M. Lagacé sont formelles : « M. Leclair était un protégé de Bernard Lamothe ». En plus, « des policiers croient que sa proximité avec M. Lamothe a évité à M. Leclair de subir une enquête dès que son conflit d’intérêts a été connu, ainsi qu’une sanction plus lourde, quand il y a finalement eu enquête interne. » En effet, avec la poursuite de l’enquête interne, l’histoire jusqu’alors balayée sous le tapis finit par éclater au grand jour à la fin de l’année 2013. Or, bien que le dossier ait atterrit sur le bureau du patron des Enquêtes internes, Costa Labos, M. Leclair n’écopa que de cinq jours de suspension, qu’il eut à purger durant une période où il est habituellement en vacances. Il fut également promu commandant neuf mois plus tard.

Cette situation apparaît pertinente à l’étude de l’activité policière pour deux raisons. Elle soulève d’une part la question de la sous-culture policière et d’autre part celle de la relation entre les médias et la police.

Robert Reiner soutenait que la sous-culture policière, conçue comme un ensemble de normes régissant les actions d’un groupe social, comprenait sept facettes. Parmi celles-ci, on retrouve le couple solidarité interne/isolation externe, le machisme ainsi que la culture du secret. Se développant dès le cégep, la solidarité entre étudiants de Techniques policières se renforcera tout au long de leur carrière dans les forces de l’ordre. Cette solidarité est intimement liée à une forte isolation par rapport au reste de la totalité sociale. Membres d’un petit groupe soudé, mais fermé sur lui-même, les policiers sont sujets à ne pas rapporter les fautes commises par leurs homologues. Tout semble indiquer que c’est cela qui s’est produit dans le cas de M. Leclair. Il paraît avoir été protégé à l’interne jusqu’à ce qu’une entité externe au SPVM, la SQ, ne force sa suspension pour une durée indéterminée.

En ce qui concerne le machisme, bien qu’il y ait aujourd’hui environ 30 % de femmes au sein des services de police, ces derniers ne se démasculinisent pas pour autant. Le harcèlement sexuel envers les policières n’est plus un mythe. Bien sûr, à ce point, on ne peut affirmer que c’est l’objet de la suspension de M. Leclair. Par contre, les lettres envoyées anonymement à Mme Côté, son lien personnel avec M. Leclair et la protection dont semble avoir bénéficié le commandant soulèvent des questionnements en ce sens.

Quant à la culture du secret, elle implique également la relation entre police et médias. Alors que la confiance est forte entre membres du corps policier, la suspicion règne vis-à-vis du public, et en particulier face aux médias. Depuis une dizaine d’années, les policiers n’ont plus le droit de s’adresser directement aux médias, c’est le département des relations publiques qui gèrent les communications. Cette gestion de l’information se ressent dans le cas de M. Leclair. D’abord, M. Lagacé nous dit : « Mme Côté avait promis de répondre à notre demande d’entrevue du 10 mars. Elle s’est ravisée la semaine dernière et a choisi de ne pas faire de commentaire. » On constate que le contact avec les journalistes s’établit difficilement, et sans doute indépendamment de la volonté des policiers. De plus, Vincent Larouche, de La Presse, prend le soin de préciser : « L’annonce de la suspension des deux hommes par le SPVM aujourd’hui a été faite au moment exact où prenait fin le huis clos imposé aux médias qui couvraient le budget fédéral à Ottawa, à un moment où le budget était assuré d’éclipser la plupart des autres nouvelles. » Si on peut évidemment y voir un exemple de contrôle de l’information par la police, on peut également déceler dans cette attention du journaliste le résultat du rapport tendu entre médias et police, qui, bien sûr, n’est pas à sens unique.