La police et les médias : une relation complexe

La relation entre les médias et la police est depuis toujours une relation complexe. D’un côté, on retrouve l’utilisation policière des médias et de l’autre, l’utilisation médiatique de la police. Ces deux différentes utilisations rendent la relation ambiguë. Cette relation ambiguë est fondée sur des besoins mutuels. D’un côté, on retrouve le besoin de la police de communiquer, à travers les médias, son efficacité, de rassurer le public, d’améliorer son image et de se légitimer, d’obtenir du budget et/ou de faire avancer des enquêtes. De l’autre côté, on retrouve le besoin des journalistes de vendre et d’informer. Pour y arriver, les journalistes présentent des faits divers provenant des policiers, qui sont toujours populaires et qui sont une bonne source de fibre émotive, ils présentent une vision dichotomique à l’égard de la police et utilise la fascination du public envers la police pour atteindre leurs buts.

En raison de cette relation ambiguë fondée sur des besoins mutuels de l’un et de l’autre, certains problèmes peuvent émerger dans la relation entre ces deux entités. En effet, l’exemple suivant témoigne bien d’un de ces problèmes. Un journaliste du nom de Patrick Lagacé a fait l’objet de 24 mandats de surveillance entre janvier et juillet 2016. La raison débute à la fin 2015 alors que le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) ouvre une enquête concernant un de ses agents, Fayçal Djelidi. Celui-ci est un enquêteur spécialisé dans les gangs de rues, soupçonné par son employeur de fabriquer des preuves. Il est l’un des deux policiers accusés à l’été 2016. Le SPVM constatait à ce moment que des informations qu’il avait obtenue dans le cadre de ses enquêtes étaient publiées dans les médias. Le corps de police voulait donc savoir qui étaient les contacts de M. Djelidi. Le SPVM aurait alors trouvé qu’il avait des contacts avec M. Lagacé. Le SPVM aurait donc effectué une requête pour placer le téléphone de M. Lagacé sous surveillance.

Ici, plusieurs choses sont en jeu. Premièrement, la confidentialité des sources du journaliste, mais aussi, la réputation des policiers. En sachant, que les médias sont « forts » sur les bavures policières ainsi que sur les événements remettant en question leur professionnalisme, les policiers ainsi que le juge en question dans l’affaire, avaient beaucoup à perdre. Par contre, cela, ne les a pas empêché d’effectuer les différentes vérifications sur M. Lagacé. Il est important de rappeler que le fait que la police ait demandé des mandats de surveillance à l’endroit de M. Lagacé représente une mesure exceptionnelle. Par ailleurs, le SPVM assure que les données obtenues avec les différents mandats sont protégées et ne sont pas utilisées, puisqu’elles sont conservées dans une clé USB sous voûte, ce que ne croit pas Patrick Lagacé.

Ce qui est inquiétant dans cette histoire, c’est le fait qu’on se serve des journalistes pour coincer des policiers alors que la relation entre ces deux entités est déjà très complexe. Selon M. Bantey, avocat spécialisé en droit des médias, cette histoire ressemble à une expédition de pêche par des policiers afin d’obtenir de l’information. Pour lui, il n’y a aucune justification pour ces mandats. Et pourtant, la Cour suprême a été très claire, avant de délivrer un mandat de surveillance, elle doit être sûr que les enquêteurs ont épuisé toutes les autres méthodes disponibles. Malheureusement, il aurait été très facile de suivre le policier en question et le mettre sous surveillance plutôt que d’utiliser le journaliste. Comme l’affirme Jean-Thomas Léveillé, président par intérim de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) :

Une telle façon de faire par les policiers, autorisée par un juge,  est une attaque contre le journalisme d’enquête. Au bout du compte, ce sont les citoyens qui sont perdants.

En effet, cela risque de créer un climat où les sources, les gens qui détiennent de l’information d’intérêt public vont cessé de parler aux journalistes parce qu’elles auront peur de se faire coincer ou de se faire réprimander. Dans le domaine des médias ce n’est pas quelque chose de bon, ni pour la police, ni pour les journalistes puisque sans sources ni un ni l’autre ne pourra satisfaire ses besoins.

De plus, deux enjeux s’entremêlent dans cette histoire. Il y a la liberté de presse, et tout le monde reconnaît le rôle et l’importance de la liberté de presse dans une société libre et démocratique. Et de l’autre côté, on a l’indépendance judiciaire qui est aussi à la base d’une société libre et démocratique. Ce concept de liberté de presse renvoie a un des sept aspects principaux des médias soit la sacralité de celle-ci. En effet, les médias sont en quelque sorte sacrés puisque leur droit est protégé par la charte. De plus, un deuxième principe entre en jeu dans la situation, la puissance de la presse. Il est donc difficile de la critiquer sans se buter à la liberté de presse.

Enfin, la FPJQ soutient que l’espionnage de M. Lagacé s’inscrit dans un phénomène d’érosion de la protection des sources journalistiques et de la liberté de presse au fil des ans. En effet, même la Cour suprême qualifie de simpliste l’affirmation selon laquelle il est toujours conforme à l’intérêt public de préserver la confidentialité des sources secrètes. Malheureusement, ce n’est pas la première fois que les lois sont détournées au détriment de la liberté de presse. Rappelons l’histoire des deux journalistes, Joël-Denis Bellavance et Gilles Toupin de La Presse, qui avaient été espionnés en 2007 par des agents de la GRC ainsi que l’histoire dans laquelle la Sûreté du Québec avait effectué une perquisition au Journal de Montréal, et avait saisi l’ordinateur de son reporter judiciaire Michaël Nguyen. Ces tendances depuis quelques années rendent inquiétantes les futures relations entre la police et les médias. De plus, ces tendances amènent à se questionner sur l’impact qu’elles auront sur le public. Leur confiance pourrait grandement être brimée par une image décousue des agents de l’État ne respectant pas leur plus grande source d’information. Comment sera-t-il possible pour les policiers et les journalistes d’obtenir de l’information si les sources ne livrent plus l’information et si les journalistes ne sont plus en bonne relation avec les policiers ? Une pente glissante est en train de s’installer et un réajustement devrait certainement se mettre en place afin de rétablir la confiance entre les deux entités.