Un plan de rehaussement de la sécurité du Parlement envisage de demander leurs empreintes digitales aux journalistes

Le vendredi 24 février 2017, une proposition a fait fortement réagir la Tribune de la presse parlementaire canadienne lors de son assemblée annuelle. La suggestion consiste à imposer  une enquête de sécurité effectuée par la Gendarmerie Royale du Canada (GRC) aux nouveaux membres de la Tribune ayant accès au Parlement d’Ottawa pour couvrir les affaires politiques. Les normes définitives de cette vérification d’identité sont toujours à être discutées par la Chambre des communes. Cependant, pour le moment, l’investigation proposée demande plusieurs informations personnelles, dont les empreintes digitales.

La nécessité d’une telle mesure est une des conclusions de l’enquête indépendante sur la sécurité de l’enceinte parlementaire faite par la GRC suivant la fusillade du 22 octobre 2014. Lors de cet événement, un individu, Michael Zehaf-Bibeau, a tiré sur un soldat au Monument commémoratif de guerre du Canada avant d’entrer dans l’édifice du parlement où plusieurs autres coups de feu ont également été tirés. Dans l’état de crise, un large périmètre de sécurité a dû être érigé et plusieurs édifices du centre-ville d’Ottawa furent évacués. Le tireur a finalement été abattu par les autorités à l’intérieur du bâtiment parlementaire. La GRC a conclu aux fins de son enquête que « tous les utilisateurs réguliers des édifices de l’enceinte devraient faire l’objet d’une enquête de sécurité avant d’obtenir leur laissez-passer. » Dans ce sens, les responsables de la Chambre des communes ont élaboré un projet qui accorderait à un corps policier, soit la GRC, un pouvoir d’investigation sur les nouveaux membres de la Tribune de la presse parlementaire canadienne.

De manière plus précise, cette enquête consisterait d’abord en un questionnaire que le journaliste doit remplir. D’après la version préliminaire, celui-ci contient évidemment des questions nécessaires à l’identification de la personne, mais interroge aussi l’individu sur ses récentes adresses, ses antécédents professionnels, ses études ainsi que sur sa situation matrimoniale. Cette dernière section demande d’ailleurs des informations sur tous ses conjoints des cinq dernières années. Ce formulaire fut d’abord élaboré en considération de la participation du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) au processus d’investigation. Maintenant qu’ils se sont retirés, des modifications au questionnaire sont envisageables. De plus, la récolte d’information aurait une seconde partie, plus controversée, qui oblige le journaliste à se soumettre à la prise de ses empreintes digitales. La GRC justifie cette obligation en indiquant que ces données sont nécessaires afin de procéder à la vérification du casier judiciaire de l’individu et s’assurer de son identité. Elle tente également de rassurer les plus réticents en précisant que les renseignements relatifs aux empreintes sont détruits dans les 120 jours suivant la vérification.

Après avoir récolté toutes les informations requises, le Bureau de la sécurité institutionnelle (BSI) de la Chambre des communes procéderait au processus d’attribution de carte d’accès d’après l’analyse de ces renseignements obtenus. Les critères de refus sont toujours à confirmer, mais la Chambre des communes a précisé que l’existence d’un casier judiciaire ne justifierait pas automatiquement un refus du journaliste. Par ailleurs, le journaliste ayant été refusé aura la possibilité de contester la décision en profitant d’une rencontre avec le BSI et, le cas échéant, elle pourra aussi s’adresser au greffier ou au président de la Chambre des communes.

Actuellement, les employés parlementaires sont les seuls à être soumis à une telle enquête. Bien que leur priorité absolue soit la sécurité pour tous, la porte-parole de l’Administration de la Chambre des communes, Heather Bradley, indique qu’il souhaite surtout atteindre « un équilibre approprié entre la sécurité et l’accès aux sites parlementaires » au moyen de cette mesure. De son point de vue, la Tribune de la presse parlementaire canadienne considère qui s’agit d’un empiétement indésiré de leur compétence. Elle est d’opinion que ses 320 membres ont déjà passée par un processus d’approbation de leur employeur respectif. De plus, jusqu’à aujourd’hui, le choix des journalistes ayant accès librement au Parlement dépendait en totalité de leur responsabilité. Philippe-Vincent Foisy, le vice-président de la Tribune souligne l’importance pour eux de garder leur autonomie dans ce domaine.

Par ailleurs, cette annonce est perçue comme une seconde attaque au droit de liberté de presse suivant la controverse, se déroulant au cours des derniers mois, au Québec et en Ontario, concernant le respect de la confidentialité des sources journalistiques. Concrètement, des craintes ont été soulevées à ce sujet en raison d’autorisations judiciaires de surveillance et de perquisition contre certains journalistes qui ont été accordées aux fins d’enquêtes policières. Ainsi, en novembre 2016, le gouvernement du Québec a mis sur pied la Commission d’enquête sur la protection de la confidentialité des sources journalistiques. Son mandat est d’analyser des dossiers où il y a eu surveillance et perquisition auprès de journalistes afin de s’assurer du respect de la confidentialité des sources qui est un principe important qui doit se poursuivre même lors d’une enquête policière.

Mondialement, on remarque que des mesures de sécurité contre les journalistes ont déjà été adoptées dans d’autres pays. À Paris, une carte délivrée par la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels est nécessaire pour avoir accès à l’Élysée. Toutefois, l’enquête préalable à son obtention n’inclut pas la prise d’empreintes digitales et elle est accordée en fonction de l’analyse de chaque dossier. Un autre cas est celui des États-Unis où des actions plus radicales ont été appliquées. En effet, le président, Donald Trump, a décidé de retirer le droit d’accès à tous les médias américains importants au point de presse quotidien donné par la Maison-Blanche.

Pour 2017, le gouvernement fédéral canadien prévoit un resserrement général de sa sécurité. En ce qui concerne le Parlement du Canada, il souhaite remettre à la GRC un pouvoir d’investigation sur les journalistes couvrants les affaires politiques à partir de ce bâtiment. Leur mandat pourrait s’étaler jusqu’à inclure la prise d’empreintes digitales ce à quoi s’oppose la Tribune de la presse parlementaire canadienne. De plus, de tels changements en matière de sécurité sont à prévoir pour toutes les sphères gouvernementales et des enquêtes de sécurité avec récolte d’empreinte digitale seront obligatoires pour tous les fonctionnaires fédéraux. Ceci est également contesté devant les tribunaux par l’Institut professionnel de la fonction publique. Toutefois, le commissaire à la protection de la vie privée a indiqué que les empreintes sont un moyen d’authentification légitime dans le cadre d’une vérification de casier judiciaire.