La reconnaissance faciale au service de la sécurité gouvernementale

Dans la gouvernance de la sécurité, les organismes optent de plus en plus pour des solutions technologiques pour mener à bien leurs mandats. On a qu’à penser à l’implantation des radars photo et au système de reconnaissance de plaques d’immatriculation (SRPI) utilisé par les corps policiers. Plus récemment, l’utilisation projetée de la reconnaissance faciale par la Société de l’assurance automobile (SAAQ) fut abordée dans l’actualité. L’idée même d’aller de l’avant avec cette technologie amène des questionnements au niveau des motifs invoqués par l’organisme ainsi qu’aux conséquences de cette technologie sur la vie privée.

En premier lieu, il faut savoir que la SAAQ est présentement à l’étape d’exploration. En effet, en consultant l’appel d’offres, on peut y lire qu’elle recherche un ou des fournisseurs regroupés en consortium pour effectuer une « recherche d’informations technologiques sur les solutions de reconnaissance faciale qui pourraient répondre aux besoins de la Société ». Nous assistons donc à une situation plutôt courante, celle de l’implication de l’entreprise privée pour effectuer une tâche dont la responsabilité est dévolue à un organisme public. Cette collaboration avec des compagnies à la fine pointe est d’autant plus nécessaire, étant donné l’importance du renseignement dans le policing moderne.

Par ailleurs, si l’on se questionne sur le motif d’utilisation de cette technologie, la SAAQ, par l’intermédiaire de son porte-parole, M. Mario Vaillancourt, fait valoir un argument de précision au sujet de l’identité. Cette hausse présumée du niveau de la sécurité se traduirait par une amélioration des outils pour lutter contre la fraude. Par exemple, cette mesure pourrait être utile dans les cas où un individu demanderait plusieurs permis de conduire, ou demanderait des indemnisations sans y avoir droit. Qu’en est-il concrètement au sujet de ce type de délit dont serait victime la SAAQ? Il n’y aurait aucune donnée comptabilisée par cet organisme. Puis, un autre argument est mis de l’avant par le porte-parole: cette technologie est déjà largement répandue dans des organisations similaires.

En effet, l’utilisation de la reconnaissance faciale ou de son projet d’implantation est la réalité d’autres organismes. Par exemple, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) projette d’installer un tel système, similaire à ce qui est déjà utilisé aux États-Unis dès ce printemps. Certes, une constante est bien présente dans le traitement de ces deux nouvelles par les médias : la conséquence de cette technologie sur la vie privée. En effet, par la reconnaissance faciale, la SAAQ deviendrait en quelque-sorte, dépositaire de données biométriques sur l’ensemble des détenteurs de permis de conduire au Québec. Quels sont les usages qui sont projetés par l’organisme et leurs limites pour respecter la vie privée ? Bien que la SAAQ ne s’avance pas sur le sujet, il est primordial de souligner que ce questionnement est très présent, même aux endroits où cette pratique est déjà implantée.

En effet, de nombreuses critiques de cette technologie aux États-Unis proviennent d’organisations américaines de défense des libertés civiles. On souligne notamment que les corps policiers utilisent de plus en plus cette technologie dans les activités policières courantes. Existe-t-il des garde-fous? À ce titre, une étude de la Center of privacy and technology de l’université de Georgetown Law souligne l’ampleur de cette pratique : la moitié des Américains adultes auraient fait l’objet d’une reconnaissance faciale de la part des autorités, pour des raisons variées. Plus encore, une majorité de services policiers américains examinent la possibilité d’utiliser cette technologie pour la surveillance vidéo en temps réel. Enfin, l’étude fait valoir le manque de balises et de mesures de contrôle des agences responsables de l’application de la loi en ce domaine.

S’il devait y avoir un rapprochement entre la situation américaine et celle initiée au Québec par le gouvernement, la reconnaissance faciale pourrait donc servir à de nombreux autres usages que la prévention de la fraude. D’autant plus qu’il existe déjà une collaboration de la SAAQ avec les corps policiers. La reconnaissance faciale pourrait-elle servir à identifier un suspect qui aurait été filmé par une caméra de surveillance ? Serait-ce admissible en cour? Sous un autre angle, des citoyens manifestant de façon pacifique pourraient-ils être identifiés puis fichés comme faisant partie d’un groupe de désobéissance civile? Ces questions au sujet de l’utilisation de la reconnaissance faciale, parfois outrancière, et son effet sur la protection de la vie privée sont légitimes. À cet égard, le professeur Joseph J. Atick,  l’un des pionniers de cette technologie, s’inquiète des dérives du système qu’il a contribué à créer. Il souhaiterait un usage plus réglementé d’une technologie aux avantages souvent détournés. Le professeur fait valoir que s’il n’y a pas de meilleure responsabilisation, il pourrait y avoir des applications et des conséquences inattendues.

En conclusion, la reconnaissance faciale intéresse de plus en plus les organismes gouvernementaux qui désirent bonifier leurs méthodes grâce aux progrès technologiques. De plus, le partenariat entre plusieurs organismes est déjà bien présent. La reconnaissance faciale pourrait donc amener une meilleure protection du gouvernement contre la fraude. Tel que vu, il s’agit du motif officiel de son utilisation éventuelle. Toutefois, il est légitime de se questionner sur les usages détournés, à l’insu des citoyens. En effet, la menace sur les droits et libertés semble bien réelle. Bien que la SAAQ ne soit qu’à la phase d’exploration en matière de reconnaissance faciale, il sera intéressant de suivre l’évolution de ce dossier. À ce titre, une question de première importance méritera d’être étudiée davantage. Comment s’assurer que la reconnaissance faciale soit utilisée correctement, de façon éthique et respectueuse des droits et libertés individuelles ?