Enquête du Globe and Mail: taux élevés de plaintes pour agressions sexuelles jugées «non fondées»
En février dernier, le Globe and Mail a publié une enquête réalisée sur une période 20 mois et se basant sur des données de près de 870 corps policiers au sujet des plaintes pour agressions sexuelles. L’enquête révèle qu’en moyenne, au Canada, 19 % des plaintes pour agressions sexuelles étaient classées en étant considéré comme sans fondements. Les chiffres varient avec des pourcentages aussi bas que 8 % à Saint-Jean de Terre-Neuve (St. John’s) et jusqu’à 51 % à Saint-Jean (Saint John) au Nouveau-Brunswick.
Quelques jours à peine après la publication de l’étude par le Globe and Mail, une cascde de corps policiers canadiens ont indiqué avoir pris la décision de revoir des dossiers classés d’agressions sexuelles jugés non fondés, selon des modalités différentes en fonction des différents corps de police. Parmi ces forces policières, on peut notamment compter la Gendarmerie royale du Canada, la Sureté du Québec, la Police provinciale de l’Ontario ainsi que les neufs corps de police du Nouveau-Brunswick.
Au-delà du milieu policier, le milieu politique s’est également saisi de l’affaire. Le ministre de la Sécurité Publique du Québec a annoncé que les plaintes des corps policiers de la province seraient révisées. Pour sa part, le gouvernement fédéral a annoncé dans son budget, déposé le 22 mars 2017, qu’il ferait des investissements de l’ordre de 100 millions $ pour contrer la violence fondée sur le sexe. Cette décision fait écho, en plus de l’enquête du Globe, à un rapport déposé le 20 mars 2017 par le Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes, qui dépeint un portrait très similaire de la situation.
Ces fortes réactions des corps policiers, à grand coup de communiqués et de conférences de presse, ont de quoi réjouir. En effet, la révision de ces plaintes déclarées infondées ne peut être qu’une bonne nouvelle pour les victimes d’agressions sexuelles, et aussi pour ces statistiques dérangeantes. Bien que l’enquête fasse état d’un ratio de plaintes infondées d‘agressions sexuelles presque deux fois supérieure au ratio de plaintes infondées de voies de faits physiques, ces chiffres sont issus des statistiques policières, et ne tiennent donc pas compte du chiffre noir de la criminalité. Il y aura donc plus d’une façon pour les forces de l’ordre d’atténuer ces statistiques afin de brosser un portrait plus reluisant. Les différents corps policiers ne fonctionneront pas tous de la même façon pour ces révisions, certains, comme c’est le cas de la GRC, reverront tous les cas de l’année 2016, et quelques-uns d’années antérieures, pour s’assurer que les décisions étaient « raisonnables et justes au regard de la preuve », alors que d’autres services dépouilleront plusieurs années de plaintes, parfois en ouvrant même la porte à une révision des critères de fondements pour s’adapter à la réalité actuelle.
Les mots utilisés dans le communiqué de la GRC sont cependant fort importants. Toute personne connaissant le fonctionnement du système pénal sait que des procédures ne sont entamées qu’avec une base de preuve suffisamment solide, et ce pour assurer que la poursuite se rende à son terme. Il sera donc intéressant de voir si les modifications qui seront apportées occasionneront un réel changement sur le ratio de condamnations ou si les poursuites seront simplement abandonnées à une étape ultérieure, ne faisant ainsi que diminuer le nombre de plaintes sans fondement pour augmenter le nombre d’abandons de procédures ailleurs dans le processus judiciaire. Dans tous les cas, cela aura probablement comme impact d’améliorer la confiance du public envers les corps policiers en faisant savoir aux personnes que la police prendra leurs plaintes au sérieux sans pour autant avoir un impact sur la criminalité ou sur les condamnations, mais bien que sur l’opinion publique puisqu’on pourra souligner la baisse des plaintes classées comme infondées.
Toutes les organisations n’ont pas mentionné avec précision la façon dont elles procéderont, ni les objectifs visés, dans leurs démarches. Le gouvernement du Québec a annoncé son intention de réviser notamment les protocoles de traitement des plaintes pour l’ensemble des corps de la province. Un autre des développements qui pourra avoir des répercussions majeures est le dossier des allégations d’abus de la part des agents de la Sureté du Québec de Val-d’Or envers des femmes autochtones. Ce dossier qui faisait encore beaucoup de remous il y a quelques mois, et également auprès du milieu policier, pourrait reprendre de la vigueur avec la réouverture des plaintes, qui n’avaient donné lieu à aucune accusation contre des agents.
Les services de relations avec les médias de la Sécurité publique et des différents corps policiers devront répondre fortement dans les prochains mois par rapport à cette affaire afin de redorer l’image de la police et d’améliorer la confiance du public envers leur travail. Ils ont malgré tout tous bien pris la balle au rebond presque aussitôt que l’enquête fut publiée. Il s’agit là après tout d’un combat régulier que les porte-paroles doivent mener afin que les médias les aident à recevoir la collaboration du public. Cette collaboration demeure essentielle dans le modèle de la police répandu actuellement, fortement axé sur la communauté et la proximité avec les citoyens, et ce même s’il ne s’agit pas à proprement parler de polices communautaires, au-delà du langage.
Bien entendu, si les responsables se contentent de conférences de presse et de déclarations sans apporter de réels changement aux procédures, ni au traitement des plaintes, il y a de fortes chances que cela ternisse l’image des forces policières, et par conséquences nuisent à l’efficacité de leur travail lors des contacts avec les citoyens. Se limiter de la sorte aux paroles creuses serait par ailleurs l’une des principales erreurs à éviter afin de prétendre réellement à une police basée sur le modèle de la police communautaire. Le véritable défi pour l’administration de la sécurité sera en fait justement de naviguer entre respecter les exigeants critères de preuves des principes de la justice, qui ne dépendent pas des corps policiers, et la mise en place de changements convaincants pour le public qui permettra de renforcer l’assurance de celui-ci d’être bel et bien protégé par les forces de l’ordre.