Le SPVM accusé de fabrication de preuve
Le Service de police de la ville de Montréal (SPVM), baigne dans l’eau chaude depuis la diffusion d’une entrevue menée par l’émission « J.E » à l’antenne de TVA le 21 février dernier. Dans cet épisode, deux ex-policiers montréalais font tomber un mur de secrets, révélant au grand jour la corruption qui règne au sein du deuxième plus grand service de police municipale au Canada. Pour la première fois depuis leur fin de carrière abrupte, le 17 juin 2013, les hauts gradés Jimmy Cacchione et Giovanni Di Feo font état des injustices dont ils ont été victimes de la part de l’organisation policière pour laquelle ils ont offert un cumulatif de 58 ans de service.
En 2012, Cacchione et Di Feo mettent sur pied leur propre enquête à partir de soupçons de cas de corruption récurrents au sein des forces de la police constabulaire montréalaise. Ils veulent entre autres investiguer sur la possibilité que des agents du SPVM reçoivent une récompense pécuniaire du crime organisé en échange de services policiers. Entre temps, les agents d’origine italienne ne se doutent pas qu’ils sont sous écoute électronique par la Gendarmerie Royale du Canada (GRC). C’est notamment à travers cette technique d’enquête que la GRC apprend que Caccione et Di Feo préparent une lettre à l’intention du ministère de la Sécurité publique et des médias afin de faire la lumière sur les cas de corruption qu’ils ont déterrés à l’intérieur du Service de police de la ville de Montréal.
Les médias ont une influence énorme sur la plupart des organisations de police. Ils influencent l’opinion publique, mais également la manière dont certaines opérations sont menées et l’adoption ou l’abandon de certaines stratégies. Dans le cas qui nous concerne, comme l’employeur des ex-policiers ne prenait aucune mesure pour vérifier, voire rectifier la situation, l’appel à une plus grande autorité et aux médias avait probablement pour but de générer un vent d’action face à la déviance policière dont le SPVM est accusé. En juin 2012, sous la menace de nouvelles pouvant mettre le service de police dans l’embarras, les policiers Cacchione et Di Feo sont rapidement appelés au quartier général où leur congédiement leur est annoncé. Sans qu’aucune arrestation n’ait lieu et qu’aucune accusation criminelle ne soit portée à leur égard, les deux hommes font l’objet de 12 accusations disciplinaires qui entraînent automatiquement la perte de leur grade, uniformes et enseignes. Grâce à un règlement à l’amiable, les procédures disciplinaires sont annulées, mais démolissent néanmoins leur réputation.
Au regard du bouclier dont se munissent sans tarder les dirigeants à la tête du SPVM pour protéger l’image de leur organisation policière, il y a lieu d’évoquer la culture du silence et du soupçon qui règne au sein du service de police de la métropole. Rappelons qu’une sous-culture est un ensemble de normes et de concepts appris à travers l’expérience d’avoir à fonctionner dans un groupe social. Cette sous-culture produit une certaine manière d’être et d’agir en imposant des croyances, des attitudes, des pratiques habituelles aux membres du groupe. D’après le Me Alain Arsenault, avocat montréalais représentant régulièrement des victimes d’actes policiers, il n’y a pas de quoi être surpris en ce qui a trait aux manigances dont un agent de la paix peut être la cible au sein même de l’organisation pour laquelle il travaille. « […] Une game se joue à l’intérieur des corps de police. Elle se joue depuis toujours et ça dure parce que la [sous-]culture policière en est une de suspicion, de conservatisme, de silence. » Ayant brisé l’omerta en s’adressant à « J.E », les ex-policiers Cacchione et Di Feo ont été dénoncés.
Se retrouvant dans de mauvais draps parce qu’il inventerait des allégations et travestirait la réalité pour créer des mandats afin de faire accuser certains policiers, le SPVM devra subir une investigation de manière à poser un éclairage sur les accusations portées contre lui. À cet effet, le ministre de la Sécurité publique du Québec, Martin Coiteux, juge que les accusations contre la police municipale de la ville de Montréal nécessitent une réponse immédiate. Ce que le ministre Coiteux entend ici, c’est l’importance d’imposer une nouvelle gouvernance, c’est-à-dire de mettre en place des activités visant à établir et à contrôler les organisations policières publiques. D’ailleurs, l’un des modes de gouvernance est la redevabilité. Ce mode est une activité réactive, déclenchée par un incident qui exige qu’une évaluation de la problématique soit faite et qu’une discipline soit instaurée afin de la corriger. Autrement dit, on demande des comptes à l’administration policière.
Bien que le directeur du SPVM, Philippe Pichet affirme qu’à sa connaissance, ses policiers ne fabriquent pas de preuve, il a demandé à la Sûreté du Québec (SQ) d’enquêter sur les faits présentés par « J.E ». Le service de police provinciale dispose du pouvoir d’offrir des services d’enquête criminelle et des services spécialisés aux polices municipales.
De leur côté, le Parti Québécois (PQ) et la Coalition avenir Québec (CAQ) « ont plutôt réclamé que le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) soit saisi de l’affaire. » Jean-François Lisée, Chef du Parti Québécois, avance que « La façon de rétablir la confiance n’est pas d’avoir une police qui enquête sur une autre police […] ». Cependant, Coiteux rappelle qu’au Québec, le BEI ne peut investiguer sur l’affaire puisqu’il n’a ni la formation ni le mandat de le faire. Le maire de Montréal, Denis Coderre, s’est prononcé en faveur de la décision du directeur du SPVM en ce qui concerne le transfert du dossier à la SQ. Selon Coderre, ce qui importe, c’est de maintenir la confiance du public envers les institutions québécoises.