Plainte d’agression sexuelle ignorée à Uashat-Maliotenam : un cas de police politique ?

Le 16 février dernier, la diffusion de l’émission Enquête sème la consternation dans la communauté innue de Uashat-Maliotenam, située tout près de Sept-Îles sur la Côte-Nord. Dans un reportage saisissant sur les ravages de la pédophilie sur les réserves du Québec, on apprend que le service de police autochtone local aurait levé les yeux sur les plaintes de plusieurs femmes formulées à l’endroit du chef Mike McKenzie. Dans un article du journal Le Devoir publié dans les heures suivant la diffusion de l’émission sur ondes de Radio-Canada, le service de police a réagi en affirmant sa « totale indépendance » face au conseil de bande de la petite communauté de près de 3500 habitants.

Les événements remontent à l’an dernier alors qu’une femme de 26 ans veut dénoncer une agression sexuelle qu’elle aurait subie à l’âge de 13 ans. Elle se rend à plusieurs reprises au poste de police pour de porter plainte, mais personne ne veut prendre sa déclaration. McKenzie, le présumé agresseur, est bien connu dans la communauté et exerce une position d’autorité depuis plusieurs années, ce qui rebute les autorités à entamer toute action susceptibles de lui nuire. Il faut savoir que les 35 corps de police autochtone du Québec, créée en vertu de la Loi sur la police, relèvent directement de l’autorité des conseils de bande. Or, dans ce cas-ci, la présumée victime a dû recourir aux services d’un avocat pour obtenir finalement l’aide de la Sûreté du Québec (SQ) de Sept-Îles, autorisée à intervenir dans la réserve seulement sur demande de la Sécurité Publique de Uashat mak Mani-Utenam (SPUM). Le chef Mckenzie sera finalement accusé d’agression sexuelle sur un mineur en juin 2016. Il a plaidé non coupable lors de son enquête préliminaire et continue d’occuper ses fonctions à la tête du conseil. Sa comparution suit présentement son cours au Palais de justice de Sept-Îles. Cette affaire est d’intérêt pour l’étude du policing puisqu’elle soulève la question de la subordination de l’appareil policier à l’appareil politique dans les communautés autochtones. À Uashat-Maliotenam, les conséquences de ce phénomène sur le déploiement de l’activité policière sont de deux ordres.

D’abord, vu la proximité manifeste entre les forces de l’ordre et le conseil de bande, il est légitime de présumer qu’une plainte formulée à l’endroit d’un chef est traitée comme s’il s’agissait d’une plainte envers le service de police lui-même. Or, le système classique de régulation interne ne favorise pas le citoyen dans la mesure où celui-ci doit porter plainte à l’intérieur de l’organisme face auquel il se dit victime. Cette formule est intimidante et visiblement inefficace dans des cas comme celui-ci où les droits et les intérêts de la plaignante ne semblent pas avoir été pris en compte. Il ne s’agit pas d’un cas isolé puisqu’on apprend également dans l’article que récemment, un ancien chef de la communauté attikamek de Wemontaci et son chef de police ont été conjointement impliqués dans une affaire criminelle similaire. Si la complicité entre pouvoir politique et pouvoir policier sape le dispositif de dénonciation mis à la disposition des victimes, elle entrave également le déploiement de l’activité policière en général puisque le signalement d’un citoyen constitue généralement la première étape du déclenchement d’une intervention. Si les citoyens qui sont ignorés, ou perdent tout simplement confiance envers le service de police, l’efficacité de ce dernier est compromise puisque les agents ne peuvent assurer seul le contrôle social, le maintien de l’ordre et la lutte à la criminalité.

Ensuite, cette ingérence du politique favorise la corruption des services de police. Même si le SPUM clame son indépendance face au conseil de bande et affirme avoir recours aux services de la SQ dans ce genre de dossiers particuliers, les témoignages présentés dans le reportage télévisé font état d’une forme de corruption classique. En effet, le chef McKenzie semble avoir eu droit à la protection de la police, puisque ses activités illégales qui ont été dénoncées ont été ensuite ignorées. Des preuves semblent également avoir disparu. En effet, on apprend dans l’article que dans une autre d’affaire d’agression sexuelle récente, le service de police aurait « perdu » une trousse médico-légale, une théorie à laquelle la mère de la victime n’adhère pas du tout devant la lenteur des procédures. On peut généralement expliquer cette forme de corruption par une supervision défaillante, dû à l’organisation spécifique des rapports de pouvoir dans la communauté innue, où toutes les vérifications sont assurées à l’interne. Bien qu’ils n’ont aucun contrôle sur l’administration de leur service, les agents du SPUL semblent avoir néanmoins bafoué un des principes fondamentaux de Peel, stipulant que la police doit servir la loi, et non constituer un bras du pouvoir politique en place.

En raison de leur imputabilité ministérielle, les instances de gouvernance devront faire la lumière sur ces événements et prendre les mesures nécessaires pour favoriser l’indépendance du corps policier vis-à-vis le conseil de bande et pour assurer la prestation d’un service d’ordre efficace dans la communauté. Dans un autre article paru au cours de la même semaine, le ministre de la Sécurité publique Martin Coiteux affirmait s’en tenir à l’enquête publique en cours sur les relations avec les autochtones, alors que Geoffrey Kelley, ministre responsable des Affaires autochtones, se dit préoccupé, et rappelle que chaque situation autochtone doit être prise dans sa spécificité. Chose certaine, corriger cette situation ne sera pas chose simple considérant que deux ordres importants de contrôle social sont impliqués dans cette affaire. Leaders autochtones et policiers ont également des sous-cultures qui leurs sont propres, ce qui complexifiera encore davantage toute intervention visant à changer le système institué sur la réserve.

Somme toute, l’instauration de corps de police autochtones est un moyen légitime d’assurer une plus grande harmonisation dans la prestation de services dans les communautés du Québec. Des mesures similaires ont d’ailleurs été prises à Val-d’Or l’automne dernier pour répondre à une crise également suscitée par la diffusion d’un reportage-choc sur le sort des femmes autochtones. L’affaire de Uashat-Maliotenam montre cependant que ces agents ne sont pas à l’abri des conflits d’intérêts avec leurs dirigeants. Il faut malgré tout éviter de stigmatiser les services autochtones puisque l’ingérence du politique dans les affaires policières se produit également dans les plus hautes instances provinciales. À chaque élection, un nouveau directeur de la Sûreté du Québec est généralement nommé par le premier ministre sortant.