Bureau des enquêtes indépendantes: une réponse sans moyens

L’année 2016 a vu la création au Québec du Bureau des enquêtes indépendantes. Or, dès son entrée en opération officielle le 27 juin, la directrice de l’organisme déclarait clairement que son organisme était sous-financé, malgré son rôle vital à jouer.

L’organisme est le résultat de plusieurs années de débats et de mise en place au sein de l’appareil législatif, mais il est également la réponse demandée par de nombreux organismes, notamment la Commission des droits de la personne, et experts à ce qu’on pourrait appeler un problème de culture du policing. En effet, depuis plusieurs années, la Protectrice du citoyen reproche au fonctionnement, selon lequel les policiers enquêtent sur les bavures d’autres policiers, de nuire à l’apparence de transparence du processus judiciaire. De fait, après des débats sous le gouvernement libéral de Jean Charest, le gouvernement péquiste qui l’a suivi a également œuvrer à la mise en place d’une solution. Le sujet est revenu d’ailleurs en force avec l’affaire Villanueva, en 2008. C’est 5 ans plus tard, un peu avant le dépôt du rapport du coroner dans cette dernière affaire en 2013 que la loi sur la police a été modifiée officiellement afin de permettre la création de ce que qui sera désormais connu comme le Bureau des enquêtes indépendantes. Il aura fallu attendre jusqu’à 2015 pour la mise en place de la structure et de l’administration. En revanche, avant même sa mise en opération officielle, en plein processus d’implantation et d’embauche des enquêteurs et du personnel, la directrice du bureau a elle-même soulevé les problèmes de sous-financements dont souffrait l’organisme dans l’accomplissement de son mandat.

Bien que la création du Bureau semble adresser un problème réel de partialité, sa mise en place laisse place à moins de certitude à ce sujet. En effet, déjà en 2012, la Protectrice du citoyen déposait un mémoire concernant le projet de loi 46 qui devait viser à préparer le terrain pour l’instauration de l’organisme, y critiquant les mesures inefficaces pour ce besoin de transparence. L’organisme a en effet vu le jour, et a depuis sa création reçu différents mandats. En revanche, dans sa structure et son fonctionnement, on peut déceler des lacunes qui laissent entrevoir des problèmes de partialité, à tout le moins envers la sphère politique, voire le milieu policier.

En ce qui concerne sa structure, la loi prévoit que la moitié des enquêteurs du Bureau proviennent du milieu policier. Bien que cela peut sembler naturel afin d’obtenir une expertise d’enquête valable, les enquêteurs non-issus du milieu policier suivent malgré tout une formation, de l’Université du Québec à Trois-Rivières, afin d’obtenir une expertise d’enquête selon les besoins du Bureau. De plus, ces dernières candidatures s’adressent bien entendu à des investigateurs et enquêteur du milieu privé, donc qui ont déjà dû recevoir leur permis de la part du Bureau de la sécurité privé en fonction de leur formation ou expérience. Les embauches du BEI passent également par le même processus que les embauches de la fonction publique du Québec. Elles doivent donc passer par le Conseil du trésor et respecter les mêmes conditions que tout emploi de ce palier gouvernemental. En comparaison, des organismes tel que le Protecteur du citoyen, qui dépendent pourtant de fonds publics, sont malgré tout totalement indépendants dans leur processus d’embauche, mais également dans leur gestion budgétaire. Durant le processus de recrutement des enquêteurs, le ministre de la sécurité public suppléant de l’époque avait même écarté des candidatures, sans fournir de justifications, malgré la prérogative qui incombait à la directrice du BEI, ce qui n’a pas aidé l’espoir d’impartialité durant sa mise en place.

Ce que la sortie de la directrice du BEI démontre de plus, c’est que le fonctionnement même de l’organisme est un vecteur d’ingérence de plus, puisqu’il dépend de l’argent que le ministre de la sécurité public veut bien lui remettre pour bien réaliser sa mission, selon les critères du mandat défini. Or, le budget actuellement alloué couvre déjà avec peine les salaires des différents employés, et c’est sans compter les prix exorbitant de déplacements hors des grands centres qui peuvent s’avérer nécessaires. Le BEI se doit en effet de pouvoir enquêter à la grandeur du Québec, que ce soit à Gaspé, Montréal, Matagami, ou, en théorie,  Salluit. En revanche, si les activités du BEI sont déjà jugulées par un manque de fonds avant sa mise en opération, on ne saurait imaginer les possibles répercussions sur la partialité lorsque des gens dépendront clairement de ce revenu comme gagne-pain ou lorsque le BEI sera en conflit idéologique avec un gouvernement en place. Il importe également de mentionner que dans ses pouvoirs, le BEI ne peut lui-même déposer d’accusation ou entamer de procédures. Il ne fournit, un peu à l’instar d’un rapport de recommandations du Coroner, qu’un rapport d’enquête au DPCP qui lui prend la décision d’entamer une procédure ou non, ce dernier étant bien entendu nommé par le ministre de la justice.

Les principes énoncés par Sir Robert Peel en 1829, afin de mettre sur pied un service de police efficace, et sur quoi se base en théorie nos corps de police modernes, défini clairement que la confiance et la coopération du public est essentiel, et le débat des dernières années au Québec nous indique que cette confiance s’acquiert par la transparence dans les affaires où la police enquête sur la police. Peel avait également énoncé qu’un service de police se devait de servir la loi et non pas un gouvernement. Alors que depuis de nombreuses années on fait état d’ingérence politique dans des corps de police, certains suggérant des commandes politiques lors d’utilisation d’agents provocateurs, ou encore avec les changements de direction à la SQ en fonction des successions de gouvernements, on peut être en droit  de se demander si la mise en place de cette mesure manquera de mordants pour les cas réellement importants, ou ceux hautement sensibles. Après tout, les implications partisanes ou d’ingérence au sein du corps de police national est l’un des arguments de base pour la création d’un organisme indépendant d’enquête sur les policiers. Cette impression d’avoir raté la cible de l’apparence d’impartialité n’est peut-être que temporaire. Peut-être est-ce que ce ne sera que le temps pour le BEI de faire ses preuves et d’obtenir sa propre réputation en tant qu’institution démocratique qui lui permettra de se libérer davantage de certaines de ses limitations actuelles. Si le public, les organismes comme les citoyens, fait d’ailleurs état de la priorité que représente le BEI, peut-être sera-t-il capable de se donner les libertés nécessaires pour son indépendance. Une chose est certaine, tant que l’organisme n’aura pas toute la latitude pour mener ses enquêtes, qu’il sera toujours près du milieu policier et du gouvernement pour son fonctionnement et pour sa structure, il ne représentera probablement qu’une solution vide de moyens, ou de la poudre aux yeux législatives, du moins en ce qui concerne sa raison d’être initiale de transparence et d’apparence d’impartialité.