Vie privée du citoyen: la GRC dans l’eau chaude?

Récemment, la Gendarmerie Royale du Canada s’est fait prendre de court lorsque l’équipe de Radio-Canada a dévoilé dans un article que plusieurs dizaines de leurs agents ont porté atteinte à la vie privée de Canadiens et de Canadiennes par l’utilisation non permise de bases de données policières. Les infractions auraient été commises entre 2010 et 2015 par quelque 62 agents qui auraient été accusés par la GRC de s’être servi des bases de données  à des fins personnelles. Toutefois, seulement 33 des 62 policiers se sont fait réprimander pour leur geste. Les sanctions varient grandement, allant de la simple réprimande -ce qui représente la majorité des cas- jusqu’au renvoi. On a également pu remarquer que les infractions ont été commises non pas dans une seule province, mais pour l’ensemble du Canada.

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En ces cinq ans, la GRC a conclu de par une enquête interne qu’environ la moitié des plaintes reçues concernant l’utilisation non permise de bases de données policières étaient fondées. De plus, on a pu constater que dans plusieurs cas, les informations personnelles collectées illégalement ont été partagées avec une tierce personne.

Cela a pour effet d’ébranler la confiance des citoyens envers l’ensemble du corps policier puisque ses membres ont, grâce à leur position d’autorité, empiété sur les droits et libertés de la personne. Ceci va à l’encontre même des objectifs visés par la Gendarmerie Royale du Canada, c’est-à-dire d’être proactifs en créant des liens amicaux avec la population dans le but de recueillir des informations de la part du public ou de prévenir des attentats terroristes, par exemple. La collaboration du public est un élément essentiel à la résolution d’enquêtes puisque les citoyens – des témoins de première ligne – sont à la fois les yeux et leurs oreilles de la police. Chacun est moralement tenu, si l’on puis dire ainsi, de rapporter quelconque événement suspect aux autorités policières sans craindre de représailles (notons qu’au Québec, dans les agglomérations urbaines de plus de 500 000 habitants, le programme de protection des témoins assure la sécurité physique de ceux ayant confié des informations contre des criminels dangereux).

Les sanctions des policiers fautifs varient à l’extrême: simple avertissement, thérapie, formation, suspension de salaire pour une période de dix jours ou congédiement. Toutefois, il convient de mentionner que seulement un agent s’est fait remercier alors que dans la plupart des cas, une simple remise à l’ordre a été faite.

Ce n’est pas la première fois que l’on critique la discordance des sanctions internes de la Gendarmerie Royale du Canada: selon l’avis de Michael Kempa, professeur de criminologie à l’université d’Ottawa, «il n’y a pas toujours d’alignement entre la nature des mauvais comportements [des agents] et les sanctions».

Par ailleurs, selon des éthiciens, ces agents auraient agi contrairement au code déontologique de la GRC puisqu’ils ont usé de leur position d’autorité pour s’approprier des renseignements confidentiels, ce qui représente « un manquement à l’éthique flagrant et important ». En dépassant ainsi le cadre légal de leur intervention, ils mettent en péril la confiance du public et perdent en crédibilité autant au Canada qu’à l’international. Il convient de se remémorer comment le contrôle social a évolué et quelles sont les origines de la GRC pour mieux comprendre en quoi la situation actuelle est est polémique.

Premièrement, le contrôle social dans notre société postmoderne est principalement externe et institutionnalisé: nous laissons les autorités policières utiliser leur pouvoir de coercition légitime délivré par l’État pour assurer notre sécurité. Mais si ces moyens perdent leur légitimité, y a-t-il un risque de compenser de manière informelle? Plusieurs recherches le suggèrent.

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Deuxièmement, la GRC justifie une grande partie de son travail par les principes de la pénologie classique, combinant surveillance et dissuasion, pour prévenir le crime. Or, il semble qu’elle ne soit pas en mesure d’appliquer ces principes fondamentaux au sein même de son institution. Même les représentants de la loi doivent se soumettre aux principes énoncés dans la Charte canadienne des droits et libertés, qui stipule dans le cinquième article du chapitre premier que «toute personne a droit au respect de sa vie privée» et que tous «ont droit à une égale protection de la loi».

Ainsi, des  institutions étatiques qui ont pour mission de protéger les droits des citoyens contreviennent paradoxalement à l’autonomie ou aux libertés individuelles. C’est ce que tente de dénoncer le récent article de Radio-Canada dans le contexte où vie privée et sécurité publique s’opposent. Le Nouveau Parti Démocrate (NPD) s’est prononcé sur le sujet des agents ayant infiltré les bases de données en qualifiant de «très préoccupante» la situation à laquelle fait face la GRC.

Cette situation délicate se rapproche étrangement de l’affaire d’espionnage du journaliste Patrick Lagacé, qui a fait couler beaucoup d’encre dans les médias québécois ces derniers mois. Cela nous pousse à nous demander jusqu’à quel point les autorités policières peuvent s’incruster dans la vie privée des citoyens au nom de la sécurité publique…