Ismaël Habib: le terrroriste contre Mr. Big
Les opérations de type «Mr. Big» sont bien connues par leur utilisation dans le démantèlement de réseaux criminels ainsi que dans l’obtention d’aveux. Généralement, ces opérations visent à faire avouer un crime passé. Dans le cas d’Ismaël Habib, il s’agissait de prouver l’intention de commettre un crime, soit d’avoir tenté de quitter le pays pour se joindre au groupe armé de l’État islamique.
Dans son cas, la GRC a organisé environ vingt scénarios, pour faire croire au suspect, monsieur Habib, qu’il travaillait au sein d’une organisation criminelle de falsification de passeport et de passeurs. C’est finalement après plusieurs mois qu’il a avoué à l’un des agents qu’il comptait aller rejoindre l’organisation terroriste de l’État islamique en Syrie. Cependant, selon l’accusé, il n’aurait tenu les propos relatifs au fait de joindre l’État islamique que pour répondre aux attentes de l’organisation criminelle, alors qu’en réalité il ne voulait que rejoindre sa femme et ses enfants et que la police exploitait ce désir.
Il ne s’agit pas ici de fournir une explication des détails et de la légitimité des opérations Mr Big en général, mais bien d’analyser si son application est possible dans le cas présent, puisque la principale accusation portée fait l’objet d’une nouvelle loi, soit celle de l’article 83.181, ajouté en 2013 au Code criminel.
Les opérations de type Mr Big ont fait leurs preuves à maintes reprises, notamment devant la Cour Suprême. La jurisprudence est d’ailleurs très fournie à ce niveau. Dans le cas du procès d’Ismaël Habib, c’est le premier procès d’un adulte canadien en vertu de la Loi sur la lutte contre le terrorisme, plus précisément pour avoir tenté de quitter le pays afin de participer à une activité terroriste. C’est du même coup la première enquête de type Mr Big menée par la GRC en la matière.
Une question décisive dans le cas de monsieur Habib, serait de savoir si l’on peut faire avouer à quelqu’un un crime qu’il n’a pas encore commis? Dans plusieurs cas, comme celui bien connu au Québec d’Alain Perrault, les suspects racontent avoir tout inventé pour satisfaire le grand patron de ladite organisation criminelle montée de toute pièce par la GRC. Plusieurs croient d’ailleurs que bon nombre d’innocents seront inculpés suite à l’usage de cette technique.
Dans ce cas bien précis, on doit se demander si ces aveux sont recevables et si la police est allée trop loin.
Selon la Couronne, « ses aveux ont été recueillis alors qu’il savait qu’il pouvait partir à tout moment, sans tension, coercition ou violence, dans un contexte où les interlocuteurs ont même fait des blagues. Il était dans une discussion d’affaires. » On peut donc conclure que cette opération a été faite en bonne et due forme et qu’il n’y aurait eu aucun abus dans la procédure que ce soit par la menace ou la violence.
Dans des enquêtes où bon nombre de preuves ont été récoltées contre le suspect, il est plus simple pour la police de confirmer l’aveu de l’accusé hors de tout doute raisonnable et ainsi de le faire inculper. Dans ce cas-ci cependant, si ces aveux sont basés sur une intention de commettre et non sur un geste posé, il est beaucoup plus difficile de confirmer cette allégation.
Devons-nous alors se fier au bon jugement dont les policiers font preuve dans l’application de leur pouvoir discrétionnaire ? En effet, si la Gendarmerie Royale Canadienne n’avait pas des doutes basés sur des preuves que ces intentions étaient fondées et qu’elles auraient pu nuire à la sécurité nationale, elle n’aurait pas pris la chance de déclencher ce type d’opération qui peut coûter jusqu’à 400 000$.
À la lumière de ces informations et de ces ambiguïtés, on comprend donc que ce premier procès sera décisif au niveau jurisprudentiel pour déterminer si cette technique pourra être utilisée dans les cas reliés à d’éventuelles menaces terroriste à l’avenir.