Radars photo: quand David fait trébucher Goliath
Au Québec, la sécurité routière est très présente dans l’actualité. En fait, l’argument soulignant l’importance de la sécurité routière vient légitimer, jusqu’à un certain point, plusieurs formes de contrôle social formel dont les radars photo font partie. Fin novembre 2016, un verdict décisif est tombé: la manière d’appliquer la loi par ces outils technologiques est déficiente, voire illégale. C’est ce qui ressort des propos de l’honorable juge Serge Cimon dans son jugement.
Une automobiliste reçoit une contravention pour avoir circulé à 141 km/h dans une zone de 70 km/h. Un grand excès de vitesse qui lui coûte 1160 $. L’Infraction est contestée et la Couronne a le fardeau de présenter une preuve hors de tout doute raisonnable. Ce test de la cour ne sera pas réussi, ce qui portera un sérieux coup concernant l’usage de ces appareils.
Dans son jugement, le juge Cimon qualifie la preuve présentée de déficiente. Plus précisément, la faille relevée par la défense relève du fait que la preuve constitue du « ouï-dire », ce qui n’a aucune valeur probante à la cour. Ici, c’est l’aspect normatif qui est remis en question. En effet, la façon de faire actuelle est-elle vraiment conforme à ce qui doit être fait ? Plus simplement, un policier ne peut attester par écrit la présence des panneaux affichant la limite de vitesse ainsi que la calibration de l’appareil s’il ne l’a pas lui-même constaté. Même si un collègue l’a fait. La cour n’accepte pas de preuves de « seconde main ».
Le débat juridique met en lumière une autre observation: la demande de retrait du constat par la Couronne. On peut apprendre, toujours selon le jugement, que cette demande semble « motivée par le fait d’empêcher le Tribunal d’examiner la prétention de la défenderesse à l’effet que la preuve en matière de cinémomètre photographique fixe est basée sur une preuve par ouï-dire illégale et inadmissible ». Pourtant, une telle demande avait déjà été accueillie dans une cause antérieure. Cette fois-ci, cette requête ne sera pas acceptée afin de favoriser une décision sur le fond. La justice ayant suivi son cours, le jugement défavorable à l’utilisation des radars photo devra être pris sérieusement en considération dans la pratique future.
À cet égard, au lendemain du jugement, les organismes impliqués (Sûreté du Québec et direction des poursuites criminelles et pénales) sont en mode « appropriation » du jugement. Une question cependant: qu’arrive-t-il des autres constats d’infraction émis avec cette même pratique de travail ? En effet, les arguments de Me Rousseau, avocat de la partie défenderesse, pourraient être repris par d’autres automobilistes présumés fautifs. Pour le moment, des centaines de causes sont mises en veilleuse. Cette situation représente donc un enjeu monétaire important.
En effet, 690 000 constats d’infraction ont été émis par des radars photo depuis 2009 au Québec. Le total des amendes s’élève à 92 millions de dollars. Selon le juge, les radars photos sont souvent perçus par les justiciables comme des « vaches à lait » utilisés pour produire des revenus. Toutefois, le ministre des Transports, Laurent Lessard, fait valoir l’argument de la sécurité routière, souvent invoqué pour accompagner les mesures mises en place. Le message: ralentir permet d’améliorer le bilan en sécurité routière.
Ces propos du ministre permettent de présenter la situation des radars photo sous un angle plus acceptable. En effet, obtenir une excellente note au niveau du bilan routier profite à tout le monde. Moins de collisions, moins de blessés, de morts et par le fait même, une réduction des coûts amenés par la gestion des collisions et des victimes.
Le système policier québécois se base sur le concept de « policing by consent », ou police consensuelle. Bien que l’utilisation des radars photo ne semble pas faire consensus dans la population et que la cour ait formulé certains reproches dans leur utilisation, il est à prévoir que des modifications dans la façon de présenter la preuve seront mises de l’avant. En fait, ces modifications seront incontournables pour poursuivre leur utilisation, car le DPCP ne compte pas aller en appel du verdict.
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