Police communautaire à Bridgeport, un mirage?

Pour faire suite à mon dernier topo portant sur l’unité de police communautaire au Missouri et sa composante politique, un élément de l’actualité m’a particulièrement interpellé ces dernières semaines. En effet, la ville de Bridgeport au Connecticut qui vient récemment d’élire un nouveau maire, Joseph Ganim, vient de mettre de l’avant des mesures policières communautaires dans sa ville en commençant par les immeubles à logement. Dans ce topo, une première analyse des mesures proposées par le candidat sera faite, et ce, de manière indépendante à mon opinion sur les réelles motivations du maire et sur son engagement à les mettre en pratique. Un deuxième point portera ensuite sur l’analyse politique du projet, car depuis les élections il y a quelque mois, les policiers et la ville sont extrêmement proches, ce qui peut nous porter à nous questionner sur les bénéfices de cette relation.

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Premièrement, il faut mettre les choses en contexte. Le 11 juin dernier, comme cela a été rapporté dans tous les médias du Connecticut, trois hommes armés ont ouvert le feu lors d’un rassemblement de nuit dans un stationnement et dans un immeuble regroupant de multiples appartements. Savonnie McNeil, 37 ans, venant de Shelton, y a laissé sa vie et huit autres personnes ont été blessées, y compris une femme à l’intérieur de son appartement. Les hommes avaient dans l’idée de faire table rase dans l’immeuble donc, dans les circonstances, le bilan était moins dramatique qu’il aurait pu l’être. Une inquiétude généralisée dans l’ensemble de la ville a commencé à se faire sentir. En effet, les gens se disaient peu en sécurité en raison des événements. Cela avait donné droit à une flèche lancée par le chef de policier à l’endroit du maire sortant qui était toujours en poste à ce moment. En effet, le maire Bill Flinch avait mentionné que « ce genre de chose est tout simplement insensé. Mais nous avons fait des progrès et nous avons le taux de criminalité le plus bas en 40 ans ». Charles Paris, le président de l’union de police de la ville qui avait une vision différente des événements, mentionnait plutôt qu’il fallait « intensifier les patrouilles dans la zone. Nous sommes à court et nous avons besoin d’aide. Le maire dit que le crime est en baisse, mais les tueries avec armes à feu sont en grande hausse, et il faut absolument régler ce problème. » Aujourd’hui, M. Flich n’est plus maire dû à la victoire en novembre dernier de Joseph Ganim qui avait notamment été appuyé publiquement par les policiers, ce qui est une importante variable à se souvenir dans l’analyse des décisions du maire.

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Durant sa campagne, Joseph Ganim s’était fait une priorité de travailler avec les intervenants du milieu, dont les policiers, pour améliorer la sécurité des résidents. Cette semaine, M. Ganim, en partenariat avec les conseils de logement de la ville et le service de police, s’est engagé à verser 600 000 $ pour financer des mesures de police communautaire dans les immeubles à appartements ainsi que 400 000 $ en liaison pour l’amélioration des infrastructures et l’embellissement des différents projets de logements publics. L’investissement permettra d’avoir un groupe de travail composé de deux sergents et seize officiers de police qui seront affectés à de la patrouille aux immeubles ayant un grand nombre de résidents. Les bâtiments ciblés sont, notamment, le Trumbull Gardens où il y avait eu la fusillade, le Charles F. Greene Homes, le PT Barnum Appartements, le Marina Village et le Harborview Towers. Les officiers seront déployés sur deux quarts de huit heures par jour.

Concrètement, l’unité de police communautaire spécialisée effectuera des patrouilles à travers les bâtiments et autour des logements afin de réduire l’incidence de la criminalité par la dissuasion, mais aussi pour tenter d’établir des voies de communication avec les résidents. Les agents de l’unité de police communautaire aideront également à organiser des patrouilles chez les locataires et des discussions avec des groupes de jeunes. Tout cela se fera dans le but que des personnes deviennent des meneurs positifs ayant une meilleure attitude face au crime. Ceux-ci pourront ainsi surveiller les autres résidents vivant dans les bâtiments. Le fait de tenter d’établir des réseaux sociaux pouvant prévenir le crime, est, selon moi, en concordance avec les principes de Mastrofski, Goldstein, Trojanowicz et Bucqueroux qui mentionnaient, entre autres, qu’il faut réorienter la police vers la prévention. Ils mentionnaient que « ce qui est désirable, c’est la sécurité et non la rétribution après les faits ». Restera à voir si cela se traduira par une quelconque baisse de la criminalité au niveau statistique.

Un autre élément proposé par M. Ganim est le fait que le 400 000$ pour les infrastructures pourra être utilisé par le service de police. Concrètement, on propose l’installation de nouvelles caméras de sécurité dans les emplacements publics où il y a des logements. Celles-ci seront reliées au centre de contrôle de la police. Un meilleur éclairage des couloirs, de nouvelles serrures pour les portes et un nouveau système d’intercom seront aussi installés dans le but de produire une plus grande dissuasion pour les malfaiteurs et ainsi assurer la sécurité des résidents. Malgré que des recherches, comme celles de Welshet et Farrington, démontrent un succès mitigé de l’installation de caméras, il est possible que dans cette situation un regard plus optimiste puisse être posé. La raison est qu’en général, l’efficacité des caméras de surveillance dépend de plusieurs autres facteurs dont l’éclairage, la visibilité générale et la présence de personnel de sécurité pouvant répondre rapidement. Ces trois facteurs seront améliorés dans les blocs appartements mentionnés donc on peut espérer une meilleure efficacité des caméras.

Lorsque vient le temps d’analyser les mesures et buts entrepris par le partenariat entre M. Ganim et le service de police, il est évident que, sur papier à tout le moins, les mesures peuvent s’apparenter aux principes de la police de Peel. Certains se retrouvent parfaitement dans ce projet dont, premièrement, prévenir le crime et les désordres plutôt que les réprimer, ce qui sera fait par la modification physique des lieux. Ensuite, il y a aussi le fait de gagner et conserver le respect du public, ce qui est fait par les patrouilles dans les quartiers ciblés et autour des immeubles où les gens sont interpellés et se font expliquer les nouvelles mesures. Finalement, le projet, dans la manière dont il est présenté, tentera de s’assurer de la coopération du public pour faire respecter les lois, car on mentionne la volonté de faire des groupes de discussions avec des jeunes et des résidents qui pourraient devenir des exemples positifs dans la communauté pour faire suivre les ordres et alerter la police en cas de besoin.

L’annonce récente de budgets débloqués et d’efforts soutenus pour une unité de police communautaire renferme aussi son lot de questions sur les motivations du nouveau maire et du service de police. À mon sens, le fait que seulement des actions générales (patrouilles, éclairage, etc) soient annoncées et non pas une liste détaillée des mesures fait en sorte que les gens impliqués semblent plus aimer le concept en soi que son application véritable. Il faut se rappeler qu’il y a un monde entre le discours de la police communautaire et l’application concrète du modèle qui s’avère, la plupart du temps, beaucoup plus complexe que prévu, avec des résultats qui sont généralement moins spectaculaires qu’escompté. Comme Klockars (1988 ) le mentionne, « les forces de police ne veulent souvent pas apporter des modifications à leur comportement et utilisent la police communautaire afin d’acquérir une légitimité. Il faut comprendre que pour avoir des résultats concluants avec la police communautaire, il faut que l’effort soit soutenu et engagé », ce qui ne se présente pas comme cela à première vue à Bridgeport. Comme Bayley le mentionne, « souvent, des agents de police communautaire frustrés sont envoyés dans certaines zones afin d’apprendre à connaître la communauté, mais ne se retrouvent finalement que deux jours toutes les deux semaines sur leur terrain », ce qui est incompatible avec le concept même de la police communautaire où le policier est presque toujours disponible pour la population. Certes, M.Ganim propose des effectifs majorés, comme mentionné précédemment, pour subvenir aux besoins du projet, mais reste à voir si ces 18 nouveaux policiers affectés seront réellement attitrés à des tâches de police communautaire.

Pour ce qui est de l’analyse de ce projet, il faut aussi comprendre les moyens utilisés et les motifs de M. Ganim pour faire avancer un projet de la sorte. Une importante composante de cette nouvelle qui est à considérer est le fait que pour gagner l’approbation et la confiance des gens sur ce projet, M. Ganim et le service de police utilisent la peur du crime pour asseoir leur légitimité. Il faut rappeler qu’aussi tragique que fût la tuerie dans le bloc appartement au mois de juin passé, cela reste un événement assez isolé, mais qui tend à créer une peur généralisée accentuée à des fins électorales. Avec des déclarations dans les médias de la part du maire telles que « souvent, les résidents qui essaient de vivre leur vie quotidienne dans leurs logements sont terrorisés de laisser leurs enfants jouer dehors de peur de qu’ils se fassent tirer par une balle.» Il est clair que M. Ganim veut montrer que ce projet est la solution pour régler le problème et que les policiers sont grandement requis. C’est de cette façon qu’il a gagné son élection soit en étant « Tough on crime » et cela fonctionne. Dans les dernières années, en comparaison, plusieurs élections ont été gagnées par des discours alarmistes de la sorte. Il ne faut penser qu’aux États-Unis où le leader républicain George Bush, en 1988, avait utilisé dans les médias le cas d’un homme noir qui avait violé une femme blanche alors qu’il était en liberté conditionnelle, et ce, pour présenter les démocrates comme à l’égard de la criminalité. Les républicains avait proposé donc mit de l’avant leurs futures projets de loi en campagne, et ce, par l’augmentation des craintes fondées sur la race et avaient finalement remporté l’élection. Cette situation s’apparente donc à celle-ci où un discours alarmiste est utilisé à des fins de légitimité. Comme quoi le fait de faire ressentir une émotion désagréable à sa population comme la peur du crime n’est, certes, pas très moral, mais ô combien payant.

Il faut aussi mettre de l’avant le fait que, comme durant son élection, M.Ganim utilisait le service de police comme train à sa campagne et ses projets en les mobilisant afin qu’ils démontrent leur soutien au projet. Lors des conférences de presse pour annoncer le projet, tout comme dans sa campagne électorale, il était accompagné de policiers et du chef de ceux-ci, M.Paris. Comme Hill (2003) le mentionne, « les regroupements de police ou d’enseignants sont plus que de simples syndicats, car ils représentent, respectivement, les policiers et les enseignants qu’ils côtoient tous les jours. Ce sont donc deux groupes qui sont, pour le grand public, méritants de leur confiance et de leurs propres préoccupations sur des sujets comme la criminalité et l’éducation. Par conséquent, même sans lien formel avec le regroupement des enseignants ou des policiers, ils sont prêts à prendre leur avis électoral ». Cela démontre donc le grand pouvoir des policiers dans le basculement d’une élection ou de l’approbation d’un projet, car étant perçus comme dignes de confiance, les gens indécis ou influençables pourraient pencher en faveur de M. Ganim seulement en raison du support de la police, ce qui est majeur.

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Le fait qu’un candidat s’associe à la police est aussi bénéfique dans l’autre sens où le service de police peut également en retirer d’importants avantages. Dans ce cas précis, l’embauche de policiers s’est faite immédiatement après l’élection de Ganim, mais tout récemment, soit vendredi le 8 avril dernier, Joe Ganim et le sergent Chuck Paris, qui dirige le syndicat de la police, et plusieurs responsables de la ville ont officiellement signé un nouveau contrat avec le service de police pour quatre ans. Celui-ci inclut une hausse rétroactive de 2,5% depuis 2012, et ce, en plus de l’augmentation du nombre de policiers déjà mentionnée précédemment. Il ne faut pas être un génie pour comprendre que les élections d’il y a quelques mois et les bonnes relations entre les deux parties ne sont pas étrangères à cet avancement. Comme le mentionnent Marks et Sklanksky, les groupes de policiers sont généralement « un groupe d’intérêt bien organisé ayant des ressources importantes et de l’influence politique. Les syndicats de police appuient régulièrement des candidats pour ensuite avoir leur soutien dans des mesures proposées ainsi que sur des questions relatives à leur budget ». Les policiers savent tirer avantage d’une position privilégiée auprès d’un décideur influant et ce cas-ci en est un bon exemple.

En conclusion, les annonces de cette semaine sur les efforts et les budgets dirigés vers la police communautaire ne sont pas à dénigrer, car le fait de vouloir améliorer ces pratiques est admirable. Cependant, cela pourrait devenir déplorable si l’étiquette de « Police communautaire » n’est qu’un mot utilisé pour redorer l’image du service de police et du maire par le fait même. Il faut comprendre que l’utilisation policière des médias est une pratique courante. Cela se fait dans le but d’améliorer les relations publiques en recherchant des occasions de présentation positive ou en mettant de l’avant ses besoins en ressources. Reste à voir le vrai visage de cette annonce. Je crois qu’il y a de bonnes chances que cela fonctionne, mais la participation de tous les intervenants du milieu sera requise selon moi. Comme Tillman le souligne, « les autres agences de la ville qui ne sont pas reliées à la police ont un rôle important à jouer pour que ces programmes soient couronnés de succès ». Il donne l’exemple de la ville de Chicago qui est considérée comme ayant l’un des meilleurs services de police communautaire. « Après un programme pilote de deux ans dans cinq quartiers , le programme est opérationnel dans toute la ville, car il est fortement soutenu par un maire bien établi et il est conçu avec un accent sur la participation populaire. » La ville de Bridgeport et son projet de police communautaire est donc un dossier à suivre. 

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