Médias et police : analogie de deux entités

La police et les médias sont deux grandes entités en constante interaction. Monsieur Guillaume Lepage, journaliste à La Presse canadienne, a écrit un billet qui fait état de la relation qu’entretiennent les médias avec les corps policiers. Il rapporte qu’il fut un temps où les médias avaient une relation très étroite avec les services policiers. Ils avaient accès aux bureaux d’enquête et fraternisaient ouvertement avec les policiers. Avec l’avènement des services de « relations médias » de la police, cette dernière a maintenant un canal de communication officiel qui fait irrémédiablement en sorte que la situation n’est plus la même. Avec ce changement de cap, la police a entre autres comme objectifs de 1) contrôler le message véhiculé aux médias et 2) d’encadrer le traitement de l’information à l’interne.

Le premier objectif semble se réaliser. David Santerre, journaliste interrogé dans le cadre du billet de Lepage, déclare sentir le changement opéré au sein du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) et soutient que leur discours est beaucoup plus formel et formaté. Il rapporte aussi que la surveillance des messages médiatiques s’est beaucoup fait sentir lors des manifestations étudiantes du printemps 2012. En décrivant le SPVM comme étant plus « corporatiste » qu’avant, il est même possible de percevoir un certain mécontentement de sa part. Pour ce qui est du deuxième objectif, son implantation semble moins facile. Daniel Renaud, autre journaliste interrogé par Lepage, affirme que bien qu’il soit maintenant difficile d’avoir des informations privilégiées de la part de sources internes de la police, « les corps policiers ne pourront jamais empêcher quelqu’un qui veut parler de le faire. » Ce passage confirme d’ailleurs ses dires : Il y en a aussi beaucoup qui continuent à parler malgré tout. Il faut simplement faire ça en cachette en utilisant, par exemple, la bonne vieille méthode de la cabine téléphonique. (Ceci est tout de même curieux… On assiste à l’étalement au grand public d’une tactique de contournement de règles internes au sein même des organisations policières. L’histoire ne dit pas si Renaud a conservé ses sources !)

Lepage débute son article ainsi : D’un côté, les médias, de l’autre, les corps policiers. Entre meurtres, enquêtes et manifestations, tenter de maintenir une relation de collaboration n’est pas toujours une partie de plaisir. En dépit de cette réalité, il n’en reste pas moins que leurs besoins mutuels font toujours en sorte qu’ils ont besoin l’un de l’autre. La police a besoin de communiquer afin, entre autres choses, d’obtenir du budget, de faire avancer des enquêtes et de montrer son efficacité. La presse est pleinement consciente de ces impératifs. En effet, le présent billet en fait explicitement mention. Malgré le fait que la situation ne soit plus la même qu’autrefois, il rapporte que le SPVM est l’un des corps policier qui reste le plus enclin à collaborer avec les médias : Le SPVM connaît plus de difficultés au niveau budgétaire. Les boîtes d’enquête ont donc intérêt à ce que les affaires sortent pour justifier leur importance. […] Les policiers ont aussi intérêt à ce que des choses soient écrites, parce que ça fait évoluer les enquêtes, bouger les lignes et parler les gens. Les médias, eux, ont besoin d’informer. Les gens aiment les faits divers et, qu’il l’aime ou non, le public est fasciné par la police. Une fois de plus, les médias sont tout à fait conscients de cet impératif qui est le leur : Les journalistes doivent également faire leur bout de chemin pour conserver la confiance des relationnistes et s’assurer de leur collaboration. Ils doivent s’imposer des limites lorsque vient le temps de diffuser une information qui pourrait compromettre une enquête ou des arrestations. […] C’est du donnant-donnant.

En rapportant l’exemple de l’affaire Ian Davidson, Lepage souligne que de vives tensions sont possibles entre les médias et les services policiers, à cause entre autres du traitement de certaines affaires criminelles. Ex-policier du SPVM, Davidson avait tenté de vendre une liste d’informateurs secrets à la mafia. Certains médias avaient communiqué des informations sensibles alors que Davidson était toujours sous enquête. Suite à son suicide, le ministre de la Sécurité publique avait d’ailleurs commandé une enquête sur la fuite des dites informations. Lepage mentionne que cette enquête fut condamnée par la Fédération professionnelles des journalistes du Québec et par plusieurs médias.

De manière consciente ou non, Lepage souligne ainsi le fait que les médias n’aiment pas la critique. Jean-Paul Brodeur, criminologue et chercheur québécois, a énoncé certains aspects des médias qui permettent d’expliquer cette attitude. (Il faut savoir que Brodeur attache également ces aspects à l’attitude qu’adoptait la police, surtout via les services de renseignements, il y a une quarantaine d’années. Même si Lepage qualifie la relation médias-police comme un mariage forcé, il n’est reste pas moins qu’ils sont beaucoup plus près l’un de l’autre qu’il ne peut le laisser entendre.) La sacralité des médias fait en sorte que toute tentative de dénonciation de leurs agissements s’éteint de façon quasi-systématique ; ceci a d’ailleurs comme conséquence que l’on ne peut pas accumuler tant de savoir sur l’industrie. L’industrie de la presse, de part sa puissance, engendre la peur et vient paralyser toutes formes de critique à son endroit. Les médias légitiment leurs activités via le droit de savoir de la population. Cette légitimation a pour effet de bloquer toute remise en question de son fonctionnement. Elle agit donc comme moyen d’intimidation. Cette notion de «droit de savoir» de la population vient également justifier leurs activités, en transformant une demande interne en demande externe. En fait, elle est utilisée pour justifier leur industrie. La dénégation des bavures tire son bien-fondé du fait que la fin justifie les moyens. Il est facile de prétendre au droit à l’information pour les justifier. L’absence de responsabilité se traduit par la forte résistance des médias à toute tentative de contrôle externe. Leurs principaux arguments se traduisent par l’atteinte à la liberté de presse et la censure.