Unité de police communautaire au Missouri
Dans la mémoire de plusieurs personnes, particulièrement celles vivant aux États-Unis, l’affaire Michael Brown est un des événements les plus marquants des dernières années et qui a toujours des implications majeures aujourd’hui. Il faut se rappeler que cet événement mettait en scène Darren Wilson, un policier blanc qui a tiré plusieurs fois sur Michael Brown, un jeune noir qui travaillait sur un chantier et qui s’était présenté au policier les mains bien en évidence. Il n’en fallait pas plus pour que des tensions raciales resurgissent dans la ville de Ferguson et dans tout l’État du Missouri. Des manifestations et des émeutes eurent lieu dans les semaines suivant l’événement en signe de protestation face au geste du policier. Aujourd’hui, les impacts de ce mouvement peuvent être perçus à la grandeur de l’État du Missouri et c’est le cas dans la ville de Columbia située à moins de deux heures de Ferguson. En effet, cette petite ville au centre du Missouri a mis en place un programme de police communautaire, soit le « Community Outreach Unit (COU) », l’unité de police communautaire de la ville, qui fût fondée en 2014 et qui est toujours en action aujourd’hui.
Premièrement, l’unité de police communautaire de la ville de Columbia s’est donné comme mission d’améliorer grandement leur relation avec le public, et ce, par une augmentation des opportunités de communication avec la communauté dans le cadre de partenariats communautaires dans différentes zones de la ville. Alors qu’au départ seulement deux agents étaient affectés à l’unité, le budget a été augmenté en 2015 et cela a fait en sorte que six agents y travaillent maintenant. Les moyens fixés pour s’assurer de l’atteinte de la mission sont, entre autres, d’écouter et d’agir sur les soucis et les préoccupations de la communauté, mettre en place un réseau de contacts avec les organismes de la ville, créer un environnement dans lequel les membres de la communauté sont à l’aise de communiquer avec la police et appliquer la loi de manière responsable pour bâtir la confiance avec ceux qui font appel à leurs services. Ces moyens ne sont pas sans rappeler les 9 principes du Metropolitan Police Service énoncés par Charles Rowan et Richard Mayne qui incluent, entre autres, de gagner et conserver le respect du public, s’assurer de la coopération du public pour faire respecter les lois, viser la coopération du public plutôt que la coercition et servir la loi de façon impartiale. Il a une comparaison évidente entre, par exemple, le principe de « viser la coopération du public » de la police anglaise et celui du service de police de Columbia de « créer un environnement dans lequel les membres de la communauté sont à l’aise pour communiquer avec la police » pour ne nommer que cette ressemblance évidente entre les deux.
Concrètement, les policiers au sein de cette unité investissent le plus clair de leur temps dans des quartiers précis de la ville pour parler aux résidents et apprendre à les connaître, et ce, même quand il n’y a pas d’appel là-bas. Énormément d’ateliers de prévention sont aussi organisés par l’unité comme des groupes de discussion avec les citoyens et les acteurs de la région pour diminuer les tensions raciales dans la ville. Des policiers vont aussi dans les écoles pour parler de l’application des lois et des risques associés à leur transgression, mais aussi pour parler de leurs droits juridiques et de l’alcool ou des drogues. Pour la clientèle adulte, les agents tentent d’établir un contact et d’offrir une aide à la population en offrant du mentorat sur le budget familial et les services de santé mentale par exemple. Il est clair que ces actions sont considérées comme étant bénéfiques et elles sont reconnues par une majorité d’intervenants dans le milieu policier comme l’organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) qui affirme dans son guide de 2008 qu’une « bonne relation avec la communauté et ses membres peut aussi mobiliser les gens à être respectueux de la loi à apporter leur soutien et même fournir une aide directe aux policiers s’ils voient « leur » agent de police en danger ». Il est important de mentionner que toutes ces actions sont en concordance avec les actions typiques qu’un agent de police communautaire doit faire, soit être assigné à un quartier, consulter et informer les citoyens et imaginer et organiser des événements où citoyens et policiers peuvent se rencontrer.
De plus, le projet respecte, en théorie, les fondements de Mastrofski, Goldstein, Trojanowicz et Bucqueroux, car il y a prise en compte de la communauté qui découle d’une reconnaissance du pouvoir de contrôle informel des groupes sociaux. Cela est fait en tentant d’être en relation avec la population le plus souvent possible, et ce, dans le but de pouvoir compter sur eux dans les interventions et dans une prévention des actes pouvant être commis. Le fait d’être présent dans les écoles et dans des centres communautaires pour rendre les gens plus responsables démontre aussi cette volonté. Finalement, selon les auteurs, le policer doit être au courant de ce qui se passe dans la communauté pour laquelle il est «coresponsable». C’est pour cela que les agents de l’unité de police communautaire à Columbia se déploient dans des quartiers précis, et ce, même lorsqu’il n’y a pas d’appels, car ils veulent être à l’affût de tout ce qui se passe pour prévenir de potentielles conséquences.
Au niveau des résultats, il existe présentement peu de données accessibles pour démontrer une possible baisse de la criminalité, mais des rapprochements avec la population peuvent cependant être perçus, ce qui démontre une certaine efficacité des mesures appliquées. L’officier Gamal Castille relate que « les gens ne nous accueillent peut-être pas à bras ouverts, mais beaucoup de gens commencent à nous parler ». Il rappelle, par contre, un aspect important de la police communautaire, soit le fait qu’il est difficile de quantifier concrètement les conséquences de l’unité. Il affirme en rapport aux interactions avec le public que « beaucoup d’entre elles ne sont pas vraiment quantifiables, car il est difficile de mesurer les interactions que nous avons eues avec les gens dans la rue ». Il faut aussi comprendre que les effets de ces programmes se font majoritairement sur le long terme d’où le manque d’information pour le moment, mais il est cependant possible de faire des projections des résultats futurs. Dans l’étude de MacDonald (1988), on suggère qu’au niveau national, le lien entre la mise en œuvre de mesures de police communautaire et la réduction de la violence est difficile à faire. En effet, les résultats de cette étude suggèrent que la publicité autour de ces mesures et l’adoption de ces stratégies par les services de police à travers le pays a eu peu d’effet sur le contrôle de la criminalité violente ou sa réduction au fil du temps. Sans avoir un regard pessimiste sur les futurs résultats tangibles de l’unité de Columbia, il serait surprenant de voir une baisse impressionnante de la criminalité, mais il est cependant possible de voir une meilleure satisfaction du public pour le travail des policiers avec le temps.
Malgré que toutes ces mesures fassent énormément de sens sur papier, les policiers ne semblent pas partager totalement ce point de vue. Dans le plus récent sondage de la « Matrix consulting group » qui a interviewé 144 des 201 employés du département de police de la ville, il est possible de voir des signes d’insatisfaction au sein même du service de police face à l’instauration de l’unité. En effet, presque tous les répondants se disent en désaccord avec le fait que les unités de patrouille ont suffisamment de temps pour mener des actions communautaires en même temps que le traitement des appels du service. Une majorité des répondants sont aussi fortement en désaccord sur le fait qu’il y a suffisamment d’agents pour répondre aux besoins de la communauté. Plus précisément sur l’unité de police communautaire, les policiers sont majoritaires à croire que celle-ci n’a pas été efficace dans l’amélioration des relations communautaires ou la réduction la criminalité. Plus encore, environ 40% des répondants jugent que les liens avec la communauté sont soit «mauvais» ou «très pauvres », sans aucune qualification de « très bon ».
Tout cela vient à remettre sérieusement en doute l’efficacité de cette unité, mais aussi le soutien de celle-ci par les policiers eux-mêmes qui ne semblent pas croire en ce style de police et semblent exprimer un certain cynisme. Il est clair, selon moi, que le fait que les policiers fassent preuve de cynisme face à cette unité peut venir affecter la viabilité du projet. Dans son étude, Lee (2011) mentionne, en rapport à des officiers sud-coréens appliquant des activités de police communautaire comparables à celles faites dans ce cas précis que « le cynisme envers la police communautaire et son efficacité a négativement influencé l’application de celle-ci. En outre, le cynisme a influencé négativement l’appartenance des policiers à la communauté et leur satisfaction au travail, ce qui a conséquemment influencé négativement l’engagement aux actions communautaires. » On peut donc réellement se demander si la police communautaire mise en place à Columbia n’est pas seulement une question d’image et d’engagement dans l’application.
Un autre aspect important à considérer selon moi dans l’analyse de cette unité est le grand rôle joué par les médias. En effet, si l’incident à Ferguson n’avait pas fait les manchettes et que plusieurs intervenants sociaux ou politiques n’avaient pas mentionnés sur des tribunes qu’il y avait un besoin pour une police plus près des gens partout au Missouri (d’autre endroits commencèrent aussi à appliquer des principes de police communautaires au même moment), je ne crois pas que le conseil de ville de Columbia et le service de police se serait autant empressés d’instaurer ces mesures et cette unité sans cet élan de dramatisme face à la situation.
Il faut rappeler l’influence énorme que les médias ont sur la plupart des organisations de police, car elles peuvent parfois amener à des modifications, l’adoption ou l’abandon de certaines mesures. Comme Stuart Soroka (2014) le mentionne dans son étude, « les travaux en cours nous disent que les médias peuvent dessiner et maintenir l’attention du public à des questions particulières. Ils peuvent changer le discours autour d’un débat sur une politique à adopter à l’aide du dialogue ou de la rhétorique de persuader ou dissuader le public. » Dans ce cas-ci, les médias ont clairement influencé l’opinion des résidents de la ville, ce qui a donc forcé la main des élus.
Il ne faut pas non plus oublier le rôle joué par le gouvernement dans la création de cette unité. Premièrement, les gouvernements ont bien sûr un impact important sur les organisations policières. Ce sont eux qui votent les budgets alloués et les lois et règlements que la police devra en principe faire respecter. Dans ce cas-ci, le fait que le conseil de ville ait reçu de l’argent supplémentaire dans le service de police, précisément pour l’unité de police communautaire, témoigne du pouvoir du gouvernement dans la création ou non de certaines mesures policières. Deuxièmement, il faut comprendre que c’était également une réponse pour calmer l’ardeur des citoyens qui, après les incidents de Ferguson, y sont allés de manifestations sur l’action des policiers dans tout l’État du Missouri , mais attribuant aussi une part de responsabilité aux élus en place. Pour rétablir le lien de confiance, le conseil de ville s’est donc associé au service de police pour aller de l’avant avec cette unité de police communautaire.
On peut aussi y voir une opportunité en or pour faire un gain politique au sein de la population pour le maire Bob McDavid. Avec l’élection municipale en vue, il ne fait aucun doute que ce changement dans les activités policières a été fait dans le but d’être reconnu par la population comme une personne agissant de manière légitime, et ce, dans l’optique de gagner leur vote. Comme Claire Benit-Gbaffou & Katsaura (2014) le mentionnent dans leur étude concernant les actions des élus, « pour accéder et rester dans cette position, ils ont besoin d’être reconnus comme légitimes, à la fois par leurs circonscriptions et par les institutions dont ils espèrent tirer des ressources pour la distribution, ou obtenir le pouvoir de façonner des projets locaux, ce qui contribue à la construction et au maintien de leur légitimité dans la communauté. » C’est exactement ce qui s’est produit avec le fait que le gouvernement a capitalisé sur une situation politique pour y asseoir son pouvoir politique.
En conclusion, il est clair pour moi que la police communautaire peut fonctionner dans une certaine mesure, mais il faut un engagement clair d’aller dans cette direction et ne pas avoir d’attentes démesurées à long terme, car les effets des mesures adoptées tendent à diminuer avec le temps. La cinquième édition du livre de Victor E Kappeler et Larry K Gaines sur la police communautaire (2009) tend à aller dans le même sens en mentionnant que « la police communautaire n’est pas juste une tactique qui peut être appliquée pour résoudre un problème particulier et qui peut être abandonnée une fois que l’objectif est atteint. Elle implique une profonde différence dans la façon dont la police considère que son rôle et sa relation avec la communauté. Seulement adopter une ou plusieurs tactiques associées à la police communautaire ne suffit pas. » Au final, on ne peut qu’espérer que l’unité de police communautaire de Columbia saura démontrer les bienfaits ce modèle.