Refus de prendre une plainte contre un collègue: policier reconnu coupable d’entrave à la justice
Cette histoire a débuté dans la nuit du 26 au 27 octobre 2012 lorsque Nicolas Sheridan, agent à l’emploi du service de police de la communauté algonquine d’Eagle Village en Abitibi-Témiscamingue, a procédé à l’arrestation de Mathieu Lemoyne à la sortie d’un bar. Ce dernier a été conduit au poste où des gestes violents ont été commis à son endroit. Le 27 octobre au matin, Lemoyne s’est rendu au poste de la Sureté du Québec (SQ) de Témiscamingue pour déposer une plainte contre l’agent Sheridan. Sur place, l’agent Christophe Fortier n’a pas voulu enregistrer la plainte criminelle. Ce dernier a été reconnu coupable d’entrave à la justice en refusant de prendre la plainte d’un citoyen le 27 novembre 2015 et sa sentence est prévue pour le 21 mars 2016.
Pour quiconque s’intéresse à l’étude de l’activité policière, il est ici grandement intéressant d’analyser cette affaire sous l’angle de la gouvernance et la déviance de la police.
En sol canadien, la gouvernance policière, comprise ici comme étant la surveillance et le contrôle des activités policières, s’opère selon plusieurs modèles qui se distinguent selon leur mode, leur style et leur forme. Dans le cas de l’agent Fortier, on assiste ici à un mélange entre le mode contrôle (règles visant à prévenir les inconduites), le style administratif (surveillance hiérarchique) et la forme interne de surveillance (où l’organisation policière se surveille elle-même).
Le code de déontologie découlant de la Loi sur la police est la règle qui doit guider les policiers dans leurs interactions avec le public. Ce type de surveillance n’a évidemment pas eu l’effet escompté. Il est inscrit à l’article 7 que : le policier doit respecter l’autorité de la loi et des tribunaux et collaborer à l’administration de la justice. Notamment, le policier ne doit pas empêcher ou contribuer à empêcher la justice de suivre son cours. L’agent Fortier a refusé à trois reprises de prendre la plainte de Lemoyne et il l’a aiguillé dans plusieurs directions afin d’éviter de devoir enregistrer une plainte criminelle. L’article 9 mentionne que le policier doit agir de façon impartiale et éviter les situations où il serait en conflit d’intérêts. Il est avéré ici que les deux policiers étaient des amis personnels et que l’agent Fortier a agit de la sorte pour protéger son comparse.
En second lieu, pour le style, le supérieur de Fortier, le lieutenant Auger, a dit à plusieurs reprises à l’agent Fortier qu’il devait prendre la plainte, comme l’exigent ses fonctions. Il lui a même donné l’ordre de faire un rapport: On ne refusera jamais de prendre une plainte, prends une déclaration pure, prends des photos, on fera des analyses (R. c. Fortier)
Finalement, pour la forme, le lieutenant Auger a informé le détective François Berger, de la division des affaires internes de la SQ, des circonstances de l’évènement et ce dernier a décidé de faire enquête.
Le comportement de l’agent Fortier est une forme de criminalité policière, qui s’exécute lorsque le policier profite de sa position pour transgresser la loi. Ses actions l’ont amené à être poursuivi en cour criminelle et finalement reconnu coupable d’entrave à la justice, donc bien au-delà du manquement déontologique. C’est une déviance policière couramment appelée «protection» (laisser faire des activités illégales). Lorsque Lemoyne est arrivé au poste de la SQ, l’agent Fortier était déjà au fait des évènements de la veille, à savoir que le citoyen avait été malmené au poste d’Eagle Village par les policiers qui l’avaient arrêté. Il a lui-même admis avoir remarqué des ecchymoses sur le citoyen. En tant que policier, on peut dire de façon pratiquement certaine que l’agent Fortier savait que de telles pratiques sont contraires aux normes de conduite qui s’appliquent dans le cadre de ses fonctions et il n’a pas agit pour les réprimer (ironie du sort, l’agent Sheridan, accusé de voies de fait dans cette affaire, a été acquitté).
L’article de David Prince tourne beaucoup autour des échanges de textos entre les deux agents (qui sont par ailleurs amis) et de toute la haine qu’ils entretiennent envers le lieutenant Auger en l’invitant au suicide. Ces informations sont plutôt de nature à faire sensation. À ce propos, le titre même de l’article mérite attention : Ses textos lui coûtent son emploi de policier. Est-ce vraiment les échanges de messages textes qui ont fait perdre son emploi à l’agent Fortier? Ces messages ne font partie que des éléments de preuve. Il serait plus juste de dire que ce sont les agissements de l’agent Fortier précédant lesdits messages qui ont conduit à sa destitution.